Apaiser nos tempêtes n'est pas un roman vers lequel je me serais spontanément tournée. Mais l'ayant reçu en version audio dans le cadre de ma participation au Prix audiolib, je me suis lancée dans son écoute avec curiosité et sans a priori. Et ma conclusion est que si c'est un roman que je n'aurais pas forcément aimé lire, j'ai pris plaisir à l'écouter.
Cela tient d'abord à la qualité d'interprétation de
Maia Baran qui arrive à donner une voix distincte à chacune des deux héroïnes du roman. Très vite, le ton, l'intonation, la cadence, la fragilité dans le timbre de voix ou au contraire, une certaine implacabilité, permettent de reconnaître le personnage dont il est question. J'ai également apprécié l‘instrumentalisation des phases de transition qui apporte une certaine douceur venant contrebalancer des événements et situations parfois difficiles…
Les thématiques abordées dans ce roman sont multiples et tournent beaucoup autour de la maternité et de la parentalité : l'avortement dans une Amérique où on tente encore de vous culpabiliser sur le sujet, le rôle de mère, le deuil de l'enfant idéal et le deuil tout court, les relations mères/enfants conflictuelles, l'épuisement parental (a fortiori dans un foyer monoparental), la difficulté d'être parent pauvre et de devoir choisir entre s'occuper de son enfant et travailler pour le nourrir, le jeu d'équilibriste afin de concilier épanouissement professionnel/personnel et rôle de mère…
L'autrice aborde d'autres sujets de société comme l'influence du milieu social d'origine sur sa vie, les travailleurs pauvres contraints de s'adapter à un marché du travail qui ne leur est pas favorable ou encore, les préjugés autour des SDF rendant leur (ré)insertion bien difficile. Ces thématiques secondaires sont amenées avec justesse, ce qui les rend d'autant plus marquantes et révoltantes… On découvre aussi brièvement la réalité du système d'aide social américain que j'ai trouvé assez violent psychologiquement, mais aussi la difficulté pour la société d'accepter l'art comme métier. Une réflexion intéressante est d'ailleurs apportée sur ce moyen d'expression encore trop souvent dédaigné…
La maternité n'est pas un sujet qui me parle directement, mais je reconnais avoir été touchée par la vie de Cerise et d'Anna. Deux femmes très différentes l'une de l'autre, dont le seul point commun est d'avoir été confrontées à une grossesse non désirée, et d'avoir dû choisir entre devenir mère jeune ou avorter. Cerise, encore mineure et malgré les protestations de sa mère, va choisir de garder l'enfant, Anna d'avorter. Si je ne remets pas en question le choix de Cerise, j'ai été révoltée par la manière dont un couple très porté sur la religion manipule la jeune fille afin qu'elle garde le bébé en lui faisant des promesses vite oubliées. À travers cet exemple,
Jean Hegland met en avant le côté encore rétrograde d'une partie de la population américaine sur le sujet de l'avortement, un droit qui ne semble finalement jamais acquis…
D'ailleurs, je n'approuve pas une phrase du résumé que je trouve trompeuse : « des années plus tard, ce choix aura déterminé le cours de leur vie ». Si évidemment, sa décision de garder son bébé aura un impact sur la vie de Cerise, le fait d'avorter n'en aura pas sur celle d'Anna. Elle y fait une ou deux fois allusion, mais c'est tout, cela n'a pas de conséquence sur sa vie, contrairement à un drame qui frappera sa famille des années plus tard. Un drame qui adoucira une femme à laquelle j'ai eu du mal à m'attacher. Elle n'est pas méchante ni désagréable, mais elle garde une réserve qui donne parfois l'impression qu'elle est coupée d'une partie de ses sentiments. J'ai néanmoins apprécié la manière dont elle va faire de son mieux pour faire face à une situation difficile, tout en essayant de retrouver sa passion pour la photographie qui s'est étiolée sur l'autel de ses responsabilités et de son rôle de mère.
Cerise, quant à elle, est un personnage à fleur de peau, mais comment être mère quand la vôtre n'a pas vraiment été là pour vous et que vous êtes encore vous-même une adolescente ? On la voit ainsi se débattre d'abord en tant que jeune mère célibataire, puis en tant que femme aux prises avec une adolescente difficile… Cerise m'a touchée, fait traverser par tout un tas d'émotions divers et varié, et suscité en moi un grand sentiment d'empathie. Mais mes sentiments vont petit à petit évoluer ! Épuisée par sa situation financière et le fait d'être toujours seule contre vents et marées, elle s'endurcit fortement, d'autant que sa fille, adolescente rebelle, ne lui facilite pas la tâche. J'avoue avoir eu beaucoup de mal à comprendre certaines de ses réactions, et plusieurs de ses décisions et/ou absences de décision m'ont mise en colère. Je n'ai pas compris comment on pouvait en arriver là, mais j'ai compris comment une mère épuisée pouvait finir par renoncer.
Pour autant, l'autrice ne juge jamais ses personnages. Au contraire, elle nous dévoile leur vérité, leur vie, leurs forces, leurs faiblesses, leurs espoirs et leurs peines, sans jamais tenter de les embellir ou de les enlaidir. Elle nous propose ainsi le portrait sans concession de deux femmes devenues mères ou de deux mères qui n'en restent pas moins femmes dans une société pas toujours tendre avec elles. Si on ne tombe pas dans le pathos, j'ai néanmoins parfois regretté une légère tendance au drame, un peu comme si la vie se devait toujours d'être difficile et apporter son lot de contrariétés. Heureusement, des scènes plus tendres et joyeuses viennent illuminer le récit, et lui apporter cette touche d'espoir qui permet à chacun d'avancer même quand survient le pire…
En conclusion,
Jean Hegland aborde avec force et réalisme différents sujets comme la maternité à travers la vie de deux femmes très différentes l'une de l'autre, mais qui ont en commun le poids des responsabilités. Elles vont traverser des épreuves difficiles, être parfois à la limite de sombrer, mais elles finiront par puiser dans leurs échanges et leurs expériences la force d'avancer et de braver les tempêtes. Fort, poignant et profondément humain, un roman social qui interpelle sans juger et forme sans concession le portrait d'une Amérique à double visage où être mère, c'est parfois ne cesser de lutter.
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