Tu vas me tuer, poisson, pensa le vieil homme.
Mais c'est ton droit. Je n'ai jamais rien vu de plus grand, de plus beau, de plus calme et de plus noble que toi, mon frère. Approche donc et tue-moi. Peu m'importe qui tue qui.
C'est un grand poisson et je dois le convaincre, pensa-t-il. Je dois absolument l'empêcher de prendre conscience de sa force et de ce qu'il pourrait faire s'il prenait la fuite. Si j'étais lui, je donnerais tout ce que j'ai maintenant et je foncerais jusqu'à ce que quelque chose casse. Mais Dieu merci, ils ne sont pas aussi intelligents que nous qui les tuons, même s'ils sont plus nobles et plus capables.
L’homme, c’est pas grand-chose à côté des grands oiseaux et des bêtes.
Mâche bien, pensait-il; tires-en tout le jus. C'est certain qu'avec un peu de sel et du citron, ça aurait meilleur goût.
Mais aucune de ces cicatrices n'était récente. Elles étaient aussi vieilles que des érosions dans un désert sans poisson.
" C'est pas parce que tu crevais de faim que t'as tué ce poisson-là, se dit-il. Ni pour le vendre. Tu l'as tué par orgueil. Tu l'as tué parce que t'es né pêcheur. Ce poisson-là tu l'aimais quand il était en vie, et tu l'as aimé aussi après. Si tu l'aimes, c'est pas un péché de l'avoir tué. Ou c'est-y encore plus mal ? "
- Poisson, dit le vieil homme, il va bien falloir que tu meurs. Faut-il que je sois tué, moi aussi ?
A présent, seul et hors de vue de la terre, il était amarré au plus gros poisson qu'il eût jamais vu.
Mais l’homme ne doit jamais s’avouer vaincu, dit-il, un homme, ça peut être détruit, mais pas vaincu.
J’ai dit au gamin que j’étais un drôle de bonhomme, dit-il. C’est le moment ou jamais de le prouver.
Qu’il l’eût prouvé mille fois, cela ne signifiait rien. Il fallait le prouver encore. Chaque aventure était nouvelle. Dans l’action, le vieux ne pensait jamais au passé.