Mâche bien, pensait-il; tires-en tout le jus. C'est certain qu'avec un peu de sel et du citron, ça aurait meilleur goût.
Mais aucune de ces cicatrices n'était récente. Elles étaient aussi vieilles que des érosions dans un désert sans poisson.
" C'est pas parce que tu crevais de faim que t'as tué ce poisson-là, se dit-il. Ni pour le vendre. Tu l'as tué par orgueil. Tu l'as tué parce que t'es né pêcheur. Ce poisson-là tu l'aimais quand il était en vie, et tu l'as aimé aussi après. Si tu l'aimes, c'est pas un péché de l'avoir tué. Ou c'est-y encore plus mal ? "
- Poisson, dit le vieil homme, il va bien falloir que tu meurs. Faut-il que je sois tué, moi aussi ?
A présent, seul et hors de vue de la terre, il était amarré au plus gros poisson qu'il eût jamais vu.
Mais l’homme ne doit jamais s’avouer vaincu, dit-il, un homme, ça peut être détruit, mais pas vaincu.
J’ai dit au gamin que j’étais un drôle de bonhomme, dit-il. C’est le moment ou jamais de le prouver.
Qu’il l’eût prouvé mille fois, cela ne signifiait rien. Il fallait le prouver encore. Chaque aventure était nouvelle. Dans l’action, le vieux ne pensait jamais au passé.
Dieu merci, ces bêtes-là, c'est pas aussi intelligent que les humains qui les tuent. ça les empêche pas d'être meilleures que les humains, et plus malignes, dans un sens.
Ce qu'on pêche n'a pas d'importance. L'important c'est d'avoir pêché. Alexandre Vialatte.
Il embrassa la mer d'un regard et se rendit compte de l'infinie solitude où il se trouvait. Toutefois il continuait à apercevoir des prismes dans les profondeurs ténébreuses. La ligne s'étirait à la proue ; d'étranges ondulations parcouraient l'eau calme. Les nuages se portaient à la rencontre des alizés. En avant de la barque, un vol de canards sauvages se découpait contre le ciel ; il disparut, puis reparut, et le vieux sut que nul n'est jamais complètement seul en mer.