- C'est pas le moment de penser à ce qui te manque. Pense plutôt à ce que tu peux faire avec ce qu'il y a.
C'était un vieil homme qui pêchait seul sur une barque dans le Gulf Stream et en quatre-vingt-quatre jours il n'avait pas attrapé un seul poisson.
Quand le jeune garçon revint, le vieux dormait dans son fauteuil et le soleil était couché. Le jeune garçon enleva du lit la vieille couverture militaire et la disposa par-dessus le dossier du fauteuil sur les épaules du vieux. C'étaient de curieuses épaules , puissantes en dépit de la vieillesse , le cou aussi conservait de la force: on en voyait moins les stries dans cette posture de sommeil qui maintenait la tête penchée en avant. La chemise du vieux avait tellement de pièces qu'elle ressemblait à la voile de sa barque; ces pièces avaient pris en se fanant mille teintes variées. La tête, elle, était très vieille.
— Repose-toi un bon coup, mon petit, dit-il. Et puis tâche de gagner la terre ; tu as ta chance. Tout le monde a sa chance : les hommes, les oiseaux, les poissons. Son dos était raide par suite du froid de la nuit. Il en souffrait terriblement, et cette petite conversation lui redonnait du cœur.
Il était une fois un vieil homme, tout seul dans son bateau, qui pêchait au milieu du Gulf-Stream. En quatre-vingt-quatre jours, il n'avait pas pris un poisson. Les quarante premiers jours, un jeune garçon l'accompagna ; mais au bout de ce temps les parents du jeune garçon déclarèrent que le vieux était décidément et sans remède salao, ce qui veut dire aussi guignard qu'on peut l'être. On embarqua donc le gamin sur un autre bateau, lequel, en une semaine, ramena trois poissons superbes.
Puis il se sentit malheureux en songeant que le poisson n'avait rien à manger et sa détermination à le tuer ne s'en trouva pas diminuée d'autant. Combien de personnes nourrira-t-il ? pensa-t-il. Mais ces gens méritent-ils de le manger ? Non, bien sûr. Il n'existe pas une personne qui mérite de le manger si l'on considère sa conduite et sa grande dignité.
Il l'avait prouvé mille fois mais cela ne signifiait rien. Il le prouvait à nouveau maintenant. Chaque fois était une première fois et il ne pensait jamais au passé lorsqu'il était engagé dans l'action.
Il avait choisi de rester dans l'obscurité des eaux profondes, loin des pièges, des traquenards et des fourberies. Moi j'ai choisi d'aller le chercher là où il n'y a plus âme qui vive. Plus un seul être au monde. Maintenant nous sommes liés l'un à l'autre, nous le sommes depuis midi. Et personne ne viendra nous aider, ni lui ni moi.
Seulement je n'ai plus de chance. Mais qui sait ? Peut-être aujourd'hui. Chaque jour est un jour nouveau. Il vaut mieux avoir de la chance. Mais je préfère être exact. Et alors quand vient la chance, on est fin prêt.
Un homme, ça peut être détruit, mais pas vaincu.