Poulets grillés

Quant à Rosière (...) elle philosophait avec Merlot qui, le cul dans son fauteuil, aidait psychologiquement.
- Plutôt mer ou plutôt montagne ! cracha Rosière. Pourquoi imposer un camp ? On peut pas tout prendre, peut-être ? Cette manie qu'ont les gens ! C'est toujours : t'es plutôt Beatles ou Rolling Stones ?
- Pink Floyd ! fit la voix de Dax dans le fond.
- ... Hallyday ou Eddy Mitchell ?...
- Sardou ! aboya Dax qui, à défaut de comprendre, avait le mérite de l'enthousiasme.
- Chien ou chat, sucré ou salé, je suis plutôt ci, je suis plutôt ça... Conneries, oui ! Pourquoi pas : t'es plutôt table ou plutôt chaise ? conclut Rosière.
(...)
- Absolument, chère amie ! Le choix, toujours le choix, exactement ce que je disais.

Puis il attendit, simplement, étirant l’instant pour laisser le champ libre à la paranoïa qui, à coup sûr, grimperait. Torrez faisait cet effet. En sa présence, les flics évoluaient tels des arachnophobes dans un panier de mygales. Les plus téméraires se dispensaient juste de courir. Parfois une tête brûlée se faisait le coup du toréador et s’approchait, le corps en alerte. Un regard et il repartait. Les fous jouent avec la mort, mais pas avec la poisse. La poisse vous promet le pire : la maladie, la ruine, l’accident, pour vous, vos proches, à petit feu et sans gloire. La poisse gangrène là où on ne l’attend pas.

La commissaire ne croyait pas à la poisse, mais elle redoutait la persévérance des pessimistes.

- Tu votes à chaque fois que tu payes dans notre société. Les urnes, on s'en tamponne, c'est le caddie qui compte !

- Vous êtes là uniquement parce qu'on ne peut pas vous révoquer ! coupa Buron en martelant chaque syllabe. Ça va rentrer ? On vous paye pour jouer aux dominos ou tricoter. Demandez à Evrard de vous apprendre la belote et fichez-moi la paix une bonne fois pour toutes, commissaire.

Les coupons de réduction. L'estomac de Capestan se noua de nostalgie au souvenir de sa grand-mère. Chaque matin, cintrée dans son kimono à motifs brun et or, elle s'installait au bout de la grande table de monastère de la cuisine. Elle versait l'eau chaude sur la chicorée, ajoutait du lait et deux sucres, allumait sa cigarette, puis attaquait la pile de prospectus reçus la veille. Elle tournait chaque page méticuleusement et, lorsqu'une offre lui semblait alléchante, elle calait sa cigarette dans l'encoche du cendrier, prenait la paire de ciseaux posée à côté et découpait la promotion distinguée. Elle les classait, au fur et à mesure, en trois piles : alimentaire, droguerie, services. C'était comme empiler des billets de banque, avec en plus la couleur, la variété, une ouverture sur un monde où tout était à tester. Aucun de ses petits-enfants assis à la table ne se serait avisé de perturber un travail d'une telle importance. Ils observaient, fascinés.
(p. 237-238)

- Remarquez, le bermuda en cette saison... il est réchauffé.
- Les ados, niveau vêtements, c'est pas la température qui compte pour eux.
- Vous avez un ado aussi ?
- J'ai de tout, répondit T. sérieusement.

Il y avait Dax, un jeune boxeur qui avait abandonné autant de sueur que de cervelle sur le ring. Le nez épaté et le sourire content, il observait la vie avec l'enthousiasme d'une otarie dans les vagues.

Enveloppé d'une odeur de pinard a faire décoller le papier-peint, il entama sa conversation mondaine. Il palabra, elles reculèrent, il palabra derechef, elles abdiquèrent.

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Elle tenait un atout, elle ne savait pas encore dans quel jeu.