Jusqu'en 1914, l'Arménie faisait partie de l'empire ottoman mais était divisée entre la Turquie, la Russie et la Perse.
A la fin du XIXe s. , un groupe d'opposants au sultan, forme un comité « Jeunes Turcs » composé de nationalistes et de progressistes, qui vise à assimiler toutes les minorités. Les Arméniens revendiquent leur identité nationale, refusent de payer les lourds impôts dont ils sont accablés et d'admettre les exigences turques. Début de l'éradication. En 1909, même topo en Cilicie, au sud-est de l'Anatolie.
En 1914, la Turquie entre dans la Première Guerre mondiale à la demande de l'Allemagne. D‘avril à l'automne 1915, les déportations de masses et les tueries systématiques des Arméniens ont lieu dans les provinces d'Anatolie orientale proches du front russe et dont les populations sont soupçonnées d'intelligence avec l'ennemi.
Le présent « roman documentaire » retrace cet épisode de l'extermination qui durera jusqu'à l'automne 1916.
En 1922,
Paule Henry Bordeaux accompagne son académicien de père dans les nouveaux territoires sous mandat français (Syrie et Liban) à l'invitation du Haut-Commissariat du Général Gouraud. Elle rencontre des survivants des massacres de 1915 et, bouleversée par leurs témoignages, lit et étudie tout ce qui a été écrit sur l'éradication de l'Arménie.
La narration est faite par Antaram Djivanian, rescapée, que l'auteure rencontre sur le bateau qui les ramène à Marseille. Antaram a vécu avec les siens la marche de la mort à travers les régions montagneuses et désertiques, escortés par des gendarmes ottomans omnipotents qui n'hésitaient pas à rançonner les convois, à précipiter les enfants dans l'Euphrate, à tronçonner les femmes susceptibles d'avoir avalé de l'or ou des bijoux, sans oublier les viols répétés, et l'absence de nourriture et d'eau.
Antaram est achetée par un Kurde Kizilbache qui la rend épouse et mère. Sans fuite possible, elle finit par amadouer sa personnalité rebelle et à s'intégrer à cette communauté de brigands dans laquelle elle n'est pas maltraitée. Tandis qu'elle vit dans le Dersim à l'insu de tous, son grand-père participe à la lutte de libération nationale menée par les Volontaires du Caucase qui, grâce à leur position géostratégique et à leur vaillance désespérée, obtinrent la création d'une république d'Arménie éphémère de 1918 à 1920.
Par un subterfuge que je vous invite à découvrir, il libère sa petite-fille de ses geôliers. C'est ainsi que tout ce petit monde se retrouve sur le bateau qui les conduit de Beyrouth à Marseille.
Une impressionnante préface de l'historienne Taline Ter Minassian introduit cette fiction réaliste. « Qu'une jeune fille de dix-huit ans ait eu en quelque sorte la prescience du génocide, en objective le fait sans en connaître la notion, est l'impulsion remarquable de ce roman » (p. 17).
Réédité en 2014 en vue de la commémoration du centenaire du génocide arménien (ce terme « génocide » a vu le jour en 1944 sous la plume de l'Américain Rafaël Lemkin), ce livre est le premier de
Paule Henry Bordeaux. Il a été rebaptisé «
L'Immortelle de Trébizonde », immortelle (fleur) étant la signification d'Antaram. Dommage. Cette étonnante performance littéraire, saluée par la critique, fut publiée en 1930 après des années de recherches et de recoupements sur cette histoire très compliquée de l'Arménie.
Paule Henry Bordeaux, passionnée par l'Orient, s'attacha surtout à des personnages féminins « hors-cadres ».
Je dédie particulièrement cette critique à Cacha en la conviant, ainsi que vous tous, à lire cette page tourmentée de l'Histoire du XXe s. que l'auteure a su rendre complète et passionnante.