PRÉLUDE
Papillon violet que veloute un or pâle,
Pensée en cœur, ô fleur si chère aux cœurs pensifs,
J'aime ton aile double et ton triple pétale,
Pervenche des cyprès, violette des ifs.
J'ai préféré ton ombre à la clarté des roses,
Ô deuil délicieux aux regards attentifs
Toi qui sais réveiller les vieux rêves moroses,
Corole en fleur, ô fleur si chère aux cœurs pensifs.
Ton visage de fleur obscurément ovale
D'un funèbre plaisir charme un esprit pervers,
Car, entre l'aile double et le triple pétale
Le masque de la mort assombrit tes ors verts.
Ta chair a la couleur des belles améthystes,
Et de sombres parfums, affaiblis et lascifs,
Voluptueux velours si doux à des doigts tristes,
Pervenche des cyprès, violette des ifs.
Amour! Ô tendre Amour! d'une langueur égale
À celle du passé, n'enivrez pas le jour!
Papillon violet que veloute un or pâle,
N'ouvrez plus votre vol, Amour! ô triste Amour!
Fermez votre aile double, et d'un triple pétale
Violet, parfumant mes cyprès et mes ifs,
Papillon de la nuit éternelle et d'or pâle,
Palpitez au tombeau fleuri des cœurs pensifs.
FRESQUE
Psyché ! Psyché ! — Quelle est cette divine plainte ?
Cette clarté, ce cri, ce souffle, cet émoi ?
Qui croise sur mon front des ailes d’hyacinthe ?
Pourtant la chambre est close et ma lampe est éteinte…
— Ô ma Psyché, c’est moi.
Reconnais-moi. Je suis l’esprit puissant et triste,
Celui-là qui vient tard retrouver sa Psyché
Et, frère de la nuit qui l’aime et qui l’assiste,
Dans les airs violets ouvre un vol d’améthyste
Et de fleur de pêcher.
Je suis celui qu’on cherche et ne sait pas attendre
Parce qu’il laisse errer par les aubes de mai
Son fantôme trop beau, trop charmant et trop tendre ;
Toi-même, ô ma Psyché, tu n’as pas su comprendre,
Et pourtant je t’aimais.
Celui qui dut chérir entre toutes les femmes
La faible, la coupable et si douce Psyché,
Parce qu’elle est son cœur, parce qu’elle est son âme,
Et qu’il vient à son tour, en abritant la flamme,
Sur son lit se pencher.
Celui qui déroulant tes voiles amarante,
Te rend ta jeune grâce et tes yeux pleins de jour…
O Psyché qui jadis ferma ton aile errante,
Papillon réveillé, vole à ta fleur vivante,
Reconnais ton Amour.
L’Amour vainqueur du temps, des astres et des nombres
Qui, tenant ton cher corps entre ses bras couché,
D’un grand vol sans rival t’enlève enfin dans l’ombre,
Jusqu’au plus haut d’un ciel voluptueux et sombre
Pour toujours, ô Psyché !
LUNE SUR LA MER
Au fond du crépuscule vert
Le croissant de la lune a l’air
D’un coquillage,
Et nacré, courbe, lisse et clair
Polit les conques de la mer
À son image.
À quelle oreille dans la nuit,
Lune triste ! se plaint et luit
Mystérieuse,
Votre voix pareille à ce bruit
Houleux qui s’enfle, et qui remplit
La conque creuse ?
Divine lune, ta rumeur
Voudra-t-elle bercer mon cœur
Qui se lamente ?
Verse à mon rêve ta lueur
Ainsi qu’à la nocturne fleur
L’arbre et la plante !
Le pin léger, noir et vibrant,
Garde encor ton étrange chant ;
Sous son écorce ;
Harmonieux, sombre et mouvant,
Ton murmure il le livre au vent,
Ô lune torse !
Je garderai dans mes cheveux
Ta verte rumeur si tu veux,
Toi qui pour plages
As le ciel rose ou ténébreux,
Comme les grèves sont les cieux
Des coquillages.
Et comme la plante du pin
Imite le soupir marin
D’une spirale,
Mes vers répéteront sans fin
Ton écho paisible et serein,
Ô lune pâle !
Marie de RÉGNIER – Entretien avec son biographe Robert Fleury (France Culture, 1991)
Un extrait de l’émission « Du jour au lendemain », par Alain Venstein, diffusée le 14 mars 1991. Invité : Robert Fleury