Nous sommes coupables dès que nous nous levons le matin : d’où viennent les oranges de notre jus d’orange, le café de notre café, le chocolat de notre chocolat, et le chrome de la radio que nous allumons pour écouter les mauvaises nouvelles du jour ? Tout en nous affranchissant fièrement des dogmes de la religion, nous nous sommes fabriqué un péché originel bien à notre image : insidieux, omniprésent, hégémonique.
Absence de vie sociale, mise à part, notre quotidien, au Peintre et à moi-même, ressemblait de façon presque pénible à ce qu’il est en temps ordinaire. Que l’écart violent entre l’état du monde et ce quotidien agréable crée un malaise, une gêne, voire un vertige…
(Leméac, p.10)
En fait, ô mes sœurs, la solution est simple. Bon, ça risque de prendre quelques centaines de milliers d’années, mais les résultats seront probants, je vous le promets : il nous faut apprendre à aimer les doux.
À force d’admirer, de se pâmer devant, de voter pour, de soupirer après, de copuler et nous reproduire avec les gagnants, les mecs-mecs, les battants, les musclés, les testostéronés, les alphas, les riches, les Trump, les Alexandre le Grand, les DSK, les Amin Dada, les Gengis Khan, les Ivan le Terrible, les Jeff Besos, les Jules César, les Attila le Hun, nous avons sélectionné pour les mâles de notre espèce des gènes certes utiles dans le passé, mais parfaitement catastrophiques dans le présent. Nous devons de toute urgence nous arrêter.
Les livres ne sont pas des bulles. Ce sont des tapis volants.
Magiquement, silencieusement, sans pétrole aucun, ils nous font voyager vers d’autres pays, d’autres époques, et découvrir de l’intérieur l’expérience d’êtres très différents de nous. C’est là un privilège réel, objectif. C’est aussi un espoir, à répandre le plus largement possible.
(Léméac, p.92-3)
La tourte voyageuse, par exemple : il n’y en a plus une seule, et on pense qu’il en va de même du courlis esquimau. En danger de disparition plus ou moins immédiate sont la grue blanche et le bécasseau spatule. Menacés aussi, à moyen terme, sont le tétras des armoises, le tétras des prairies, l’eider à duvet, la macreuse à bec jaune, le harelde kakawi, le plongeon à bec blanc, le grèbe esclavon, le pluvier siffleur, le pluvier montagnard, le bécasseau semipalmé, le bécasseau à col roux, le bécasseau cocorli et le bécasseau roussâtre, la mouette blanche et la mouette tridactyle, le guillemot à long bec, le harfang des neiges, le martinet sombre, le colibri roux, la moucherolle à côtés olive, la pie-grièche migratrice, le geai des pinèdes, le moqueur de Bendire, la grive des bois, le pipit de Sprague, le roselin de Cassin, le gros-bec errant, la paruline à ailes dorées, la paruline rayée, le quiscale rouilleux et le quiscale bronzé, la sturnelle des prés et le bruant à ventre noir.
C’est beau, les noms. Les noms d’oiseaux albertains survivront quelque temps aux volatiles eux-mêmes, après quoi ils s’éteindront à leur tour.
Car si l'écriture se fait dans la solitude, elle ne se fait pas dans le vide. Comme toute forme de création, elle est enracinée. Elle ne jaillit pas d'un esprit nomade, hors famille, hors ethnie, libre de toute attache, dégagé de la gangue de l'Histoire.
Peu avant sa mort, mon vrai papa m’a montré une carte postale qu’il vient de recevoir : photo d’un aigle planant haut dans le ciel ; message cursif parmi les nuages : Ne renoncez jamais à vos rêves ! Et mon père de me dire en souriant : « Si j’ai appris une chose au cours de ma longue vie, Nancy, c’est qu’au contraire, il faut savoir renoncer à ses rêves quand ce ne sont pas les bons, et en formuler d’autres. »