Le meilleur des mondes est une dystopie considérée comme le fer de lance de ce genre mettant en avant l'idée d'une société futuriste et cauchemardesque pour surligner les travers de notre société réelle. Que raconte le livre prophétique et culte d'
Aldous Huxley ? Dans une société eugéniste où les nouveaux-nés sont conçus dans des usines de production (une fécondation in-vitro), les embryons sont élevés dans des tubes de verre puis arrangés par des produits chimiques afin d'être déterminés dans une certaine classe. La société en question oblige ces gens à une destination sociale à laquelle ils ne peuvent échapper. Les enfants sont éduqués dans des centres d'éducation où est perpétré un bourrage de crâne constant (on leur fait de l'hypnogénédie, c'est-à-dire de l'éducation par le sommeil.) afin de les forcer à aimer leur existence future pour grossir leur productivité. le monde du livre est construit comme une société pyramidale, de la plus noble des castes jusqu'à la plus faible, chacun à son échelle a un rôle à accomplir dans la société. On compte : les Alphas, les Bêtas, les Gammas, les Deltas et les Epsilons. Toutes les personnes sont conditionnées par des manipulations chimiques et en fonction sont rangées dans ces catégories. le lavage de cerveau qu'ils doivent subir permet de construire des réponses préfabriquées aux problèmes de tous les jours. Ainsi, ils ne connaissent pas les émotions de douleur, de souffrance et la peur de mourir, car leur chimie interne est alternée par la soma (une drogue que l'on peut comparer à un antidépresseur) et ne voit que les idées positives. Cette société les maintient dans un état de bonheur parfait, sans aucune frustration, stresse ou inquiétude, elle comble son vide par ses désirs primaires. La notion de famille n'existe plus et donc forcément l'amour ainsi que la sexualité sont devenues stériles, il n'y a plus que des relations libres et des échanges de corps sans valeur. La culture est également interdite, car elle est considérée comme le meilleur outil permettant de lutter contre l'émergence d'une forme d'autoritarisme voulant détruire
L Histoire. Quant à Dieu et les religions, elles ne font plus partie de ce monde, à la place, la population voue un culte à l'ingénieur
Henry Ford, symbole fort d'un capitalisme industriel de surconsommation. L'oeuvre parle des inquiétudes de son époque la dénonciation des dangers du consumérisme de masse ou encore les menaces du communisme (d'ailleurs, quelques noms font référence à des personnages historiques issus du communisme.) où la suprématie de l'organisation et de la structure gagnent sur les libertés individuelles. Elle met au centre de son récit la question de l'eugénisme, cette tentation de créer une hypothétique race parfaite que le nazisme mettra en avant dans ses idées. À l'heure d'aujourd'hui où la science est détournée au profit d'une remise en question du darwinisme et de l'évolution humaine ainsi qu'avec la maîtrise de la génétique et de l'ADN, l'eugénisme est un sujet plus que central. Ainsi, Huxley construit un monde terrifiant, mais volontairement caricatural et exagéré dans ses traits. Il n'a pas l'idée de nous faire croire à son monde, mais celle de nous faire réfléchir sur le nôtre à travers sa dystopie.
Bernard Marx est l'un des personnages issu de l'usine de production qui permet de féconder des nouveaux-nés. C'est un homme catégorisé dans la haute caste, mais dont le traitement fut légèrement raté et le rendant différent de ceux de sa propre classe. Pris d'envie de liberté et remettant en question la société dans laquelle il vit (il se demande ce qu'
il éprouverait, s'
il était libre et non asservi par son conditionnement.), Bernard, au cours du récit, rencontre John dans un centre de sauvage au Nouveau-Mexique (un camp pour les gens nés par des voies naturelles) et le ramène à Londres pour le « civiliser ». Ce dernier, grand romantique à l'inspiration shakespearienne, tente de dire aux hommes de se libérer de ce carcan, mais à force d'essayer et de voir que la population se conforte dans leur mode de vie sans âme, il finit par se suicider. Tandis que Bernard, en essayant de gagner de la notoriété auprès de sa caste après avoir ramené John, se voit exilé. En effet, le personnage a toujours essayé de chercher la reconnaissance sociale, Huxley décrit très bien le besoin de l'humain à vivre ensemble et avec les siens. Si nous sommes rejetés comme
Bernard Marx, on critique le système, mais une fois dans ce système, tout va parfaitement. Cela l'a donc rendu bêtement audacieux, égoïste et présomptueux. Dans la société des Meilleurs des mondes, on rentre dans son rang comme le personnage de Lenina. Elle qui tombe amoureuse de John, mais qui ignore par la suite ce sentiment, car cela ne convient pas aux désirs inculqués par les moeurs de sa société. Au cours du récit, on s'aperçoit que John devient le personnage principal, celui à qui on s'identifie forcément le plus. C'est un idéaliste n'ayant pas été formaté et voulant sortir les gens de ce formatage. Il refuse de succomber au bonheur factice imposé par la société et devient un être solitaire pensant que la liberté vaut mieux que n'importe quel confort. Mais son suicide définit un état tristement pessimiste, car finalement, John est devenu malheureux par sa solitude et par le fait de ne pas être aimé par Lenina comme il souhaiterait et parce qu'il ne peut pas l'aimer réellement non plus. Les autres n'acceptent pas sa liberté et pour qu'il ait cette liberté, il doit être seul puis en quelque sorte souffrir et à avoir mal, donc refuser ce bonheur artificiel. Citons ce bel extrait du protagoniste pris dans une envolée lyrique enflammée : « Mais je n'en veux pas du confort. Je veux Dieu, je veux de la liberté, je veux de la bonté. Je veux du péché. » Sa dimension christique lui donne des airs de martyr qui s'opposent à cette société lisse, conforme, industrialisée et oubliant les principes de la Nature. Malgré tout, on constate que la population du roman préfère ce confort procurant un bonheur imbécile qu'une réalité inconfortable et par moment anxiogène, mais au moins sincère, c'est-à-dire une réalité où l'on vit avec la passion et où l'on ressent la violence.
Ce qui rend prophétique et fascinante cette oeuvre, c'est qu'elle est une société n'étant pas autoritaire, contrairement, par exemple, à 1984. Elle est seulement la manifestation de la volonté de son peuple préférant se délaisser dans l'utilitarisme et dans le consumérisme. En cela, Huxley fait appel à notre raison et se demande si l'Homme a-t-il vraiment envie de liberté ? Car finalement, la recherche de ce bonheur que l'on élève continuellement nous amène mécaniquement à une société du court terme et à nous faire vivre uniquement dans le désir assouvi. Forcément, cela nous interroge dans notre propre perception et l'auteur nous invite à ne pas se laisser aller dans la facilité du matérialisme, de nos pulsions directes et d'une forme d'hédonisme qui fatalement nous engage dans la paresse. Huxley voyait juste, car il pensait que les sociétés se dirigeraient vers des formes autoritaires beaucoup plus subtiles. C'est-à-dire une société qui sous ses apparences de démocratie domine par le loisir, l'endormissement des masses, la surconsommation et le divertissement. L'esclavage n'est donc pas forcé, car la population se laisse aller dans sa servitude. Ce sujet nous fait penser évidemment au film Matrix où une partie de la société vit dans un parfait confort, sans savoir qu'elle est contrôlée par des machines. La population n'a aucune raison de se rebeller, car pour elle, tout va bien dans
le meilleur des mondes. Presque cent après,
le Meilleur des mondes a alors capté toutes les problématiques de notre ère actuelle et notamment celle de l'Occident. Ce genre de livre nous rappelle à quel point il faut être attentif à nos libertés et ne pas se laisser happer par la sémantique de la démocratie libérale actuelle étant dans une volonté excessive de protéger et de créer des lois liberticides au nom du collectif, du bien-être de chacun et de la liberté. Pour conclure, je citerai cette phrase de Menier, l'un des administrateurs de cette société qui résume parfaitement et de façon terre-à-terre (rendant le propos encore plus effroyable) la pensée de celle-ci : « Dieu n'est pas compatible avec les machines, la médecine scientifique et le bonheur universel. Il faut faire son choix. Notre civilisation a chois
i les machines, la médecine et le bonheur. »