Très cher frère (Oniisama e en Japonais) fut publié en 1975 au Japon. Il s'agit de l'une des oeuvres de Ryoko Ikeda, l'auteur de la légendaire Rose de Versailles. Prenez garde, lecteurs! Ne vous fiez pas à la ravissante couverture du manga et à l'appelation "shôjo manga" que l'on attribue à tort à cet ouvrage! En dépit de ses graphismes si délicats, des personnages aux chevelures volumineuses et aux yeux aussi étincelants que des joyaux, des dentelles et que sais-je encore, nous avons affaire à un josei, c'est à dire un manga destiné à de jeunes adultes, du fait des thèmes sérieux et sombres qu'il aborde. L'histoire débute sur l'entrée de la jeune Nanako Misonoo, une adolescente issue de la classe moyenne, au prestigieux lycée Seiran, un établissement fréquenté par des jeunes filles de la haute bourgeoisie et de l'aristocratie. Dans ce lycée, une confrérie exclusive regroupant les élèves les plus brillantes, gracieuses et talentueuses suscite l'admiration des élèves, ainsi que leur jalousie. Il s'agit de la Fraternité, un club exclusif dont le fonctionnement est calqué sur celui des clubs des lycées et universités des États-Unis. Ce club est dirigé par la ravissante Fukiko que toutes les élèves nomment révérencieusement "princesse", et d'autres filles aux allures de mannequins. Chaque année, quelques élèves sont sélectionnées comme candidates potentielles pour faire partie de la Fraternité. À la surprise générale, Nanako est choisie, ce qui lui vaut de s'attirer les foudres de ses camarades, qui feront tout pour l'inciter à quitter la confrérie. Voici un manga épistolaire d'une rare qualité, qui s'apparente à un roman d'initiation ; un manga épistolaire, puisque Nanako adresse des lettres à un professeur qui lui faisait la classe au collège, et qu'elle considère comme un grand frère, d'où le titre du manga. Nanako, douce, ingénue et naïve au début du manga, est amenée à quitter brusquement le temps de l'enfance.
L'adolescente fait face à la malveillance des autres élèves et ne divulgue rien de ce qu'elle endure à ses parents. Néanmoins, grâce à quelques alliés, Nanako fait face aux injustices dont elle est victime. Une mystérieuse jeune fille, Rei, vêtue comme un homme, devient son amie, ainsi que Kaoru, la meneuse de l'équipe de basket du lycée. Outre les épreuves de sa vie de lycéenne, Nanako est stupéfaite par l'animadversion qui règne entre Fukiko et Rei, puisque cette dernière subit des sévices moraux et physiques de la part de Fukiko.
Lire ce manga n'a absolument rien d'une promenade de santé, et s'il se trouve parmi vous des personnes ayant vu le dessin animé basé sur ce manga, je pense qu'elles comprendront aisément où je veux en venir; dépression, suicide, anorexie, maladie incurable, addiction aux médicaments, masochisme... voilà les sujets que le manga aborde, avec un ton qui rappelle énormément le mélodrame. Ne soyez pas rebutés.
Très cher frère est une oeuvre superbe qui nous en apprend considérablement au sujet des institutions japonaises. En outre, il se trouve que les situations dépeintes dans le manga de Ryoko Ikeda demeurent encore d'actualité dans le Japon de l'ère Reiwa comme le harcèlement scolaire, le taux de suicide chez les lycéens japonais, la place de la femme dans la société... Il est intéressant de remarquer que le club de la Fraternité constitue une échappatoire pour les lycéennes qui en font partie. Dans ce gynécé, elles jouissent d'une liberté totale, sans la moindre présence masculine. Elles s'aggripent désespérément à cet infime pouvoir puisqu'elles sont conscientes que dès que leur scolarité au lycée, puis à l'université, sera achevée, elles seront cantonnées à des sphères traditionnelles et familiales. Concernant l'histoire, le récit est bien construit, de même que les personnages. le dénouement abrupt de l'intrigue, ainsi que le manque de développement des personnalités des personnages m'ont toutefois laissé sur ma faim : le lecteur n'apprend rien au sujet des différents membres de la confrérie. le coup de crayon de Ryoko Ikeda est toujours aussi chargé d'émotion: tantôt le lecteur s'émerveille, tantôt il est consterné. Si vous avez apprécié La Rose de Versailles, vous serez probablement sous le charme vénéneux de
Très cher frère.