En théorie, je suis la lectrice idéale pour ce genre de roman.
Le thème d'abord : le Japon des péninsules, petites îles reculées où même les rizières traditionnelles ont été abandonnées aux marais. Je déploie déjà dans ma tête le tatamis, les feuille de riz, les pierres chaudes de soleil, la lumière rasante et la forêt cascadant jusqu'à la mer. J'écoute les oiseaux que je ne connais peut-être pas, repère les plants auxquels l'air humide et chaud a donné une vitalité presque effervescente. Je suis prête à laisser les lieux et les histoires m'emporter dans un vent d'ailleurs et d'apaisement. Des vêtements de lin peut-être, des plats simples composés de légumes, avec un peu de bonite râpé, un condiment au nom inconnu et chantant, des voisins pittoresques et authentiques. Une vie simple et rustique que je vivrais dans les lignes qui me les décrivent. Parfait.
L'histoire à présent : arrivée à la deuxième partie de sa vie, la narratrice, habitant Tokyo depuis qu'elle est adulte, a décidé, sur un coup de tête, d'acheter une parcelle perdue au bout d'une péninsule revenue presque à un état sauvage, à plus de 500 km de chez elle. Elle y a fait construire une modeste maison où elle décide de venir vivre pour un temps indéterminé. Elle y éprouve le passage des saisons qui, selon un ancien calendrier, ne sont pas au nombre de quatre mais bien six fois plus nombreuses tant l'attention aux passages, aux variations invite à raffiner à l'extrême les seuils dont on décide d'orner le temps qui passe. Une forme de fantaisie inoffensive et essentielle. Un acte qui n'engage qu'elle mais le fait profondément. Tout ceci me parle et je m'attends à rencontrer une amie, une autre moi-même presque. Parfait de même.
Et ?
Eh bien, si on prend en considération le nombre d'heures que j'ai passées avec ce livre dans les mains, le nez en l'air à rêvasser, on peut se dire que l'objectif d'une douce méditation poétique sur notre rapport au cours du temps a été atteint. Il suffirait pour le croire d'omettre que mes rêveries n'ont eu nul besoin de
la péninsule aux 24 saisons pour s'élancer. En regardant les branches de mon jardin s'agiter dans le vent, la lumière jouer sur le mur de pierres, j'étais bien loin de la péninsule et malgré tous mes efforts, mes prédispositions et mon envie réelle de profiter de cette invitation exotique à une échappée, j'en suis restée à distance.
Je venais de quitter Hernandez et son style fiévreux, c'est vrai. C'est d'ailleurs intentionnellement que je suis partie au Japon après cette brûlante halte espagnole. J'aspirais à l'épure d'un air salin, au mordant d'une amertume qui vivifie, à l'esquisse d'un simple trait d'encre pour rendre la pureté d'un instant. J'aspirais à une forme salutaire de choc thermique. Mais plutôt que la fraîcheur, c'est l'opaque auquel j'ai été confrontée. La narratrice raconte les minuscules événements de sa vie quotidienne dans cette campagne. Et ces derniers restent à distance, ne trouvent aucun écho, n'ouvrent rien en moi. Est-ce une question de traduction ? de rythme des phrases ? Elles sont parfois juxtaposées dans une absence de lien logique qui devrait faire émerger la plénitude du sens, comme le blanc fait vivre la rondeur des pleins sur les estampes japonaises anciennes. Mais non, l'absence a fait verrou. Je n'étais même pas agacée juste parfaitement indifférente et, conséquemment, assez vite ennuyée. Dans un jardin zen, ce livre aurait été une pierre et j'en aurais été une autre. Sans qu'on parvienne à se dire quoi que ce soit. Ce qui n'aurait pas fait un parfait jardin zen d'ailleurs. Tant pis, je vais continuer à rêvasser en regardant les arbres, eux ne m'ont jamais promis plus qu'ils ne donnaient.