Ce roman datant de 1970 n'est sans doute pas le plus marquant de son auteur, c'est une pièce un peu à part dans l'oeuvre foisonnante de
Inoue Yasushi. Son titre français ne traduit pas du tout le titre original japonais, « Keyaki no ki », qui serait plutôt « le bois de keyaki ». Cette précision est cruciale, car le keyaki, un arbre qu'on appelle aussi l'orme japonais est aussi central dans ce livre que le personnage humain principal, Ushioda, Ki-itchiro de son prénom.
Inoue nous apprend que le keyaki est un arbre qui peut vivre extrêmement longtemps, et plus il est vieux, plus il permet de fabriquer de beaux meubles de tradition japonaise. du coup, s'en procurer de bons est difficile, et de plus en plus car il est victime de la pollution, au point qu'il faut largement l'importer d'autres contrées où s'étend son aire d'implantation.
Monsieur Ushioda, 57 ans, est chef d'une grande entreprise de Tôkyô. Très occupé par ses fonctions, il aspire à avoir un peu de temps pour lui le dimanche, mais c'est bien difficile, il est tout le temps dérangé par des coups de fil et visites intempestives, que gère sa femme Mitsuko. Les deux, et leurs trois enfants, deux garçons et une fille qui vivent encore en grande partie chez leurs parents, prennent un malin plaisir à s'envoyer des remarques acides et mesquines. Les enfants prennent le parti de leur mère pour trouver leur père un poil dépassé par l'évolution de la société, 1968 est passé par là comme partout ailleurs. le loisir favori de Ki-itchiro, souvent inspiré par les échanges avec sa femme, ses enfants, sa lecture des faits divers, est d'écrire des billets d'humeur dans un journal. Il est aussi très sollicité, qui par un vieil ami pour être témoin de mariage de son fils, qui par ses propres rêves, parfois éveillés, ou un ami mort vient lui parler jusqu'à pousser Ki-itchiro à lui rendre visite au cimetière à deux heures de là d'autoroute !
Mais la visite qui va tout changer est celle d'un vieillard, Yasumi, qui a créé à Tôkyô une association de défense des keyakis, attaqués par la pollution et par l'urbanisation à outrance qui les menacent de disparition. Ki-itchiro et sa femme se trouvent entraînés dans une longue, très longue visite des sites Tokyoïtes des plus beaux keyakis. Au début, la politesse les contraints quelque peu à se coltiner l'intarissable Yasumi, mais peu à peu, Ki-itchiro va se prendre au jeu…
Il ne se passe pas grand-chose de très fondamental dans ce roman, et le dénouement de la maigre intrigue n'a rien de révolutionnaire. Il comporte cependant plusieurs points d'intérêt. Déjà, l'humour sous-jacent, un peu à l'anglaise, dans les échanges entre Ki-itchiro et sa femme notamment. C'est un vieux couple, les piques fusent, mais on sait se tenir, point d'engueulades, ici on est chez des japonais, et bourgeois de surcroît. Un clin d'oeil aussi lorsque Ki-itchiro savoure la mésentente flagrante du jeune couple dont il a assisté au mariage un mois plus tôt, lorsqu'il les revoit en panne au bord d'une route. La femme ne s'en laisse pas compter, le mari va devoir faire son éducation…Pas de doute, on est au Japon machiste, et Ki-itchiro amusé les projette certainement en vieux couple aigri comme le sien désormais ! Intéressant aussi quand on voit l'évolution du pays, sa modernisation, la perte de coutumes devenues un peu ésotériques…Ki-itchiro va aussi se découvrir un contradicteur acharné qui démonte systématiquement ses billets. Piqué dans son orgueil, en colère, il va le rencontrer…pour se rendre à l'évidence au vu du contexte, il ne peut que faire amende honorable…
Inoue nous montre des personnages parfois un peu dépassés par ces changements, mais souvent pas si mécontents. Autant par son style, comme toujours à la fois simple et non dénué d'élégance, que sur le fond, il se montre en cela plus moderne et optimiste qu'un Kawabata tellement nostalgique du Japon ancien. Sur le fond, son discours est d'une étonnante actualité, il faut défendre les arbres, ces sentinelles de la santé de notre environnement. Et son ton teinté d'humour dédramatise le couple, et la vie, incitant à en profiter un peu et ne pas se prendre trop au sérieux !
Sous ses airs de comédie, ce roman est d'une lecture plutôt agréable, même si certains passages son longuets. Sans être inoubliable, il dévoile une nouvelle facette de l'oeuvre d'
Inoue, ce grand écrivain aux mille visages.