En six excellents récits,
Junji Ito nous emmène dans le monde de l'étrange. La recette est souvent la même, un personnage, en général une femme, voit son attitude changer subitement, au point d'en être méconnaissable pour ses proches. Les qualificatifs sont à adapter à chacune des histoires : pantin, zombie, somnambule, telles des marionnettes, elles deviennent une sorte de jouet d'une main invisible…cela créé une atmosphère inquiétante, chargée d'angoisse, d'autant que l'entourage ou les humains alentours ne brillent pas forcément par leur tolérance vis-à-vis de la différence.
Dans
le voleur de visages, la nouvelle élève d'un lycée a le don de devenir le sosie des personnes qu'elle côtoie. Pour s'en défendre, les élèves et personnels de l'établissement vont enfiler des masques…Dans Les épouvantails, le père d'une jeune fille suicidée s'empare d'un épouvantail trouvé dans le champ attenant au cimetière pour menacer l'ancien petit ami de sa fille qu'il tient pour responsable de sa mort. Il plante l'épouvantail au pied de la tombe, mais dans les jours qui suivent, ce totem prend peu à peu les traits de sa fille…Bientôt toutes les familles installent des épouvantails…mais les revenants semblent comme décidés à assouvir une vengeance. Dans Chutes, une cohorte de villageois se mettent un soir à se diriger comme des pantins vers une colline. Erika, qui a été sauvée de justesse de la pendaison par son ami et se trouvait dans un lit d'hôpital, en fait partie. Mais alors que tous ont disparu, montés au ciel d'après un sdf qui les a vus, elle est retrouvée inanimée dans un arbre. A son réveil à l'hôpital, elle pressent que des gens vont tomber du ciel. Et en effet, il en tombe, ce qui va lui attirer l'hostilité des familles qui la tienne pour responsable de ces disparitions. Dans Les fils rouges, le jeune Tomoo est plaqué par sa copine Momoko. Quelques jours après, des fils apparaissent à son poignet. Et impossible à couper. On croit d'abord qu'il a tenté de se suicider, mais les fils gagnent d'autres parties de son corps, et son grand-père y voit la main de sa défunte épouse, référence à la légende des 1000 femmes qui seraient venues le coudre pendant la nuit…Crédible ? A moins que…Tomoo se souvient de ce que Momoko lui avait dit, ce lien si fort que les unissaient l'un à l'autre…Serait-ce possible que la métaphore soit bien réelle ?! Et comment s'en sortir lorsqu'on est devenu une véritable bobine de fil ?! Dans Mes ancêtres, la jeune Risa semble être devenue subitement amnésique, elle ne réagit plus à Shuichi qu'elle devait épouser. Elle cauchemarde bientôt sur ce qui semble être une énorme chenille. Shuichi tente de l'amener chez lui, ou son vieux père est malade. Mais le père grabataire a toute l'apparence de cette chenille monstrueuse !!! Quoiqu'à y regarder de plus près, sa tête est prolongée d'un chapelet d'autres têtes, celles de tous ses ancêtres. Et le vieux entend bien avec Shuichi que la lignée familiale se poursuive, autant dire que Risa a tout intérêt à prendre ses jambes à son cou…à moins que sa mémoire, et sa volonté avec, ne flanchent à nouveau ! le récit Les ballons aux pendus clôture le recueil de la meilleure manière. La jeune Kazuko en est le personnage central. le lecteur la trouve terrée chez elle, appelée par sa propre voix venant du dehors. Auparavant, sa camarade de classe et déjà starlette médiatique Terumi a été retrouvée pendue, apparemment suicidée à la façade de son immeuble. le petit ami de la victime, Shin'ya se met à voir sa tête, énorme, dans le ciel ! Il aimerait retrouver sa belle…mais sa tête géante lui tend une corde…où il passera la sienne sans hésiter, affichant lui aussi son visage géant aux cieux ! Et bientôt, Kazuko et ses copines vont être attaquées par leurs propres têtes géantes descendues du ciel telles des ballons avec leur corde pendante, puis rapidement tous les habitants de Tokyo seront visés ! Kazuko voit sa famille et ses amis décimés les uns après les autres. Va-t-elle pouvoir s'en sortir, face à ces entités diaboliques ?!
Le voleur de visages est une nouvelle fois un recueil de qualité. J'ai tourné les pages avec gourmandise, car si l'impression générale est parfois celle de situations quelque peu répétées, l'ambiance est à l'étrangeté, à l'angoisse, au suspense, et les chutes ou fins ouvertes, cela dépend des récits, sont souvent convaincantes et rarement en faveur des héros. L'auteur va sonder l'inconscient, notre inconscient avec ses terreurs d'enfant enfouies, qu'on aurait dit à jamais, et qui finalement affleurent à la surface, prêtes à nous submerger. La mort rôde toujours, en particulier le suicide, à la source de plusieurs des récits de cet opus. Parmi ses qualités, on louera la construction du scénario et sa progression, et un dessin très fin, rendu dans la précision du trait et l'expressivité des visages. Même si le qualificatif horreur me semble toujours surfait (un ado serait peut-être plus sensible), on évite la plupart du temps le grand-guignolesque. Décidément,
Junji Ito est une valeur plus que sûre dans l'univers du manga noir !