La Poursuite de l'idéal

Sa pusillanimité s’éteindrait-elle avec les années ou devrait-il, toute sa vie, composer avec elle ? Qui était-il ? Celui qu’il aimerait devenir, ou un autre, moins brillant, semblable à tous ces êtres humains moyens qui peuplaient les rues ?

Dans ses rêveries diurnes il se voyait en grand poète célébré, accueilli, pour des conférences, à l’ambassade de Buenos Aires, au consulat d’Oslo, dans un palais vénitien ; il était prêt à tous les combats, et d’abord au grand combat avec l’œuvre à venir ; il était résolu à gagner de l’argent, vite et bien. Dans la réalité, il n’avait pas même défendu, devant la fermeté de Fleur, son point de vue sur la mise en scène d’On ne badine pas avec l’amour ; dans la réalité, il n’osait même pas demander à Olga s’il était bien vrai qu’elle s’était baignée nue ; dans la réalité, aucune entreprise ne se pressait pour s’attacher ses services ; dans la réalité, il avait reculé face à l’invitation de Constance d’aller la retrouver à Naples, trop pleutre pour l’enlever à son Hadrien pourri.

Dépenser davantage consisterait à mettre en péril son autonomie. Chaque jour, il consultait sa boîte mail : aucune réponse à ses C.V. ne s’y trouvait. Il en éprouvait plus de soulagement que de désappointement. Néanmoins, la promesse d’un emploi l’eût débarrassé de ses angoisses financières.

Baudouin, lui, se réjouissait des petits culs bien serrés dans des jeans coupés ; sa vision de l’histoire contrastait, on le voit, avec celle de Cyrille ; quant à Fleur et Driss, une gaieté permanente les habitait en songeant au bouillonnement artistique et philosophique dont le chef-lieu du Vaucluse était l’objet. Pierre traînait une mélancolie qui ne l’empêchait pas de tenir son rôle de chef ; Olga s’émerveillait de la beauté de la ville, sans être incommodée par la foule, comme si sa sensibilité eût neutralisé les laideurs de la multitude.

Pour Driss, la poésie n’avait pas grande importance, il se présentait comme un esprit scientifique, objectif et politique ; sa thèse s’intitulait : La Politique française de l’immigration. Socio-histoire d’une domination. Fleur parlait plus de pédagogie que de littérature ; Nadège et Inès luttaient pour la légalisation de la PMA et de la GPA ; et Baudouin, pour l’épanouissement de sa propre sexualité, ce qu’il résumait par cette formule : « Tant qu’il y aura des petits culs, la situation ne sera pas désespérée ! »

Il écrivit un poème en vers libres, où des ombres antiques frôlaient, dans de grands parcs déserts, des voyageurs revenus de tout, où d’anciennes amantes, sur des terrasses, les mains sur de froides balustrades, regardaient, mélancoliques, les étreintes du passé.

On vivait sous le mode de la moquerie et du badinage. Driss aimait brocarder le caractère planificateur de Pierre ; même sa mère reprochait, gentiment, à son fils de chercher à régenter la maison. Ce dernier, par jeu, en rajoutait, accentuait son rôle de général domestique. Fleur, ostensiblement, refusait de mettre la table, de faire la vaisselle, le ménage, ou toute autre activité ménagère l’arrimant à un emploi ancestral de femme soumise.

Les orientations sexuelles des uns et des autres au pire l’ennuyaient et au mieux le laissaient indifférent. Cyrille ne se passionnait que pour ses propres désirs, tout en approuvant que le reste de la planète se fiche complètement de son orientation sexuelle. Mais Pierre était concerné par les nouveaux drames de l’espèce humaine.

Ce n’est pas la nostalgie que j’aime, ce sont ces moments-là, cet été-là. Tenez, si vous me demandiez de retourner, tout de suite, à Madère, j’accepterais sans hésiter.

 Ce que l’on souhaite ardemment finit toujours par arriver sous un mode inattendu.