Naissance, de Charles Ferdinand Ramuz
La sage-femme a dit:" ça y est !"
Elle est grosse et rouge, elle rit
et puis elle a encore dit:
" Tout le monde sait ce que c'est."
Et la mère aussi a souri.
Elle était blanche comme un drap.
C'est une fille,
une de plus dans la famille,
c'est une fille et puis voilà.
La chambre sentait fort l'été,
les contrevents étaient tirés,
on entendait les chars rentrer,
dehors les lézards dormaient sur les pierres;
et sur la route,
les poules rousses
gloussaient comme un tout vieux qui tousse,
en se roulant dans la poussière.
830 - [p. 43]
Alain BORNE
L'Eau fine
Ne regrette pas que la nuit soit venue plus tôt avec l'ondée
le beau noir pluvieux du velours de l'été
enserre la terre
ne regrette pas la lumière...
les formes sont mortes
les arbres se figent au-delà des vitres
Il n'y a plus que la petite lampe de la chambre
et ce papier où je vois trembler d'autres temps
écoute le sable blessé :
plus aucun pas sur l'allée
écoute l'air :
plus aucun vol, plus aucun vent
écoute la pensive pluie aveugle tâtonner
"Voici, dit-elle, la terre tiède
voici ses feuilles et ses maisons
voici l'odeur de ses moissons
et la margelle brûlée des puits
voici dit-elle je viens avec la nuit
blanche sur son front noir"
écoute le destin entravé qui frappe
ta vie se ferme : ouvre la porte à ton enfance.
Paul CLAUDEL
Feuilles de Saints
La Mère et le Père
La mère est ce qu'il y a de patient et de fidèle et de tout près
et de toujours pareil et de toujours présent.
C'est toujours la même figure attentive, et c'est toujours, sous
son regard, le même enfant,
Qui sait que tout lui appartient sans pitié et qui vous trépigne
de ses deux pieds sur le ventre.
Mais le père est ce qui n'est jamais là, il sort et l'on ne sait
jamais au juste quand il rentre.
L'hôte aux rares paroles du repas que le journal dès qu'il a
quitté la table, réengloutit :
Un bonjour, un bonsoir distraits, une ou deux questions de
temps en temps, une explication difficile et pas finie.
Puis subitement parfois quelques jeux violents et courts et
l'intervention terrifiante de ce gros camarade.
Et cependant c'est bon, cette grosse main quand on ne sait
plus au juste où l'on est, qui vous prend, ou sur le front
cette caresse furtive quand on est malade.
Gérard de NERVAL
Odelettes
La cousine
L'hiver a ses plaisirs : et souvent, le dimanche,
Quand un peu de soleil jaunit la terre blanche,
Avec une cousine on sort se promener...
"Et ne nous faites pas attendre pour dîner",
Dit la mère.
Et, quand on a bien, aux Tuileries,
Vu sous les arbres noirs les toilettes fleuries,
La jeune fille a froid... et vous fait observer
Que le brouillard du soir commence à se lever.
Et l'on revient, parlant du beau jour qu'on regrette,
Qui s'est passé si vite... et de flamme discrète :
Et l'on sent en rentrant, avec grand appétit,
Du bas de l'escalier, - le dindon qui rôtit.
Wang Wei
Trésor de la Poésiee chinoise, adapté par Claude Roy
La pluie nouvelle mouille la colline,
Le crépuscule est un petit automne,
La lune brille entre les pins,
le torrent est clair parmi les rochers.
A travers les bambous
j'entends rire les lavandières
qui reviennent à la maison,
Le parfum du printemps inspire puis expire.
Comment le retenir avant qu'il ne s'échappe ?