Toutes les mères ont un jour éprouvé un sentiment de culpabilité à l'idée d'avoir failli aux exigences de la mère parfaite.
Jessamine Chan, pour son premier roman livre une vision dystopique de la maternité moderne en transformant des peurs universelles en cauchemars absolus.
Cette satire, parfaitement exécutée, met en scène une mère célibataire qui partage la garde de sa fille de 18 mois avec son ex-mari. Lors d'une journée particulièrement difficile, "la journée d'enfer ", elle laisse sa fille seule dans son trotteur pendant 2 heures.
Techniquement, l'accusation n'est pas fausse; Frida a vraiment laissé Harriet sans surveillance. Mais alors qu'elle avoue son erreur et se repentit sincèrement , les autorités refusent de l'écouter et interprètent chacun de ses arguments comme la marque de sa perversion et la preuve de son incapacité à être mère.
Pour garder ses droits parentaux et retrouver la garde de sa fille, Frida doit accepter de passer 1 année dans l'école des mauvaises mères, en compagnie de femmes dont les fautes vont de laisser un enfant jouer seul dans le jardin ou de trop le dorloter, jusqu'à la maltraitance.
Le sentiment d'injustice éprouvé par celles qui se sentent accusées à tort ne peut durer. A longueur de journée, elles doivent répéter ces deux mantras humiliants : "Je suis une mauvaise mère, mais j'apprends à être bonne" et, plus terrifiant encore "Je suis narcissique. Je suis un danger pour mon enfant."
Dans cette école du futur où l'intelligence artificielle a une fonction coercitive, chaque femme reçoit une poupée robotique, plus vraie que nature, avec laquelle elle doit pratiquer des compétences maternelles très codifiées, comme la durée d'un câlin, le contact visuel ininterrompu ou le chronométrage du temps nécessaire pour arrêter les pleurs de l'enfant.
Les poupées enregistrent non seulement les réactions des mères qui sont sous la surveillance constante d'instructrices en blouse rose mais également toutes les émotions. "Leurs schémas de clignotement et leurs expressions seront surveillés pour détecter le stress, la peur, l'ingratitude, la tromperie, l'ennui, l'ambivalence et une foule d'autres sentiments."
Chaque séquence est sanctionnée par des examens que personne ne peut réussir tant le niveau d'exigence est impossible à atteindre.
S'ensuivent donc des punitions comme la privation du contact téléphonique avec l'enfant réel ou l'absence de toute nouvelle.
Ce dispositif panoptique est également responsable de dépression et de suicide.
Sous l'oeil de ces Big Mothers, des femmes qui, comme chez
Margaret Atwood servent de geôlieres à d'autres femmes, elles doivent apprendre à ne plus avoir ni besoins, ni désirs.
Jessamine Chan a confié avoir mené une enquête sur les services sociaux pour écrire son roman. Elle a découvert sans trop de surprise, que les femmes noires et latinos, ainsi que les personnes à faible revenu ou souffrant de troubles mentaux, sont plus spécifiquement concernées par les contrôles des services de l'état. On pourrait penser, dit-elle, que les familles qui ont des problèmes avec les services de protection de l'enfance sont coupables de maltraitance. C'est ce qu'ils veulent nous faire croire. En réalité, il s'agit plus souvent de négligence, et cette négligence est souvent générée par la pauvreté. Comme ces enfants obligés de jouer dans la rue parce qu'il n'y a pas de place dans l'appartement.
Ainsi, la composition raciale de l'école est majoritairement noire et latino avec une poignée de mères blanches, et Frida qui est d'origine sino-américaine. L'auteure reproduit ici un contexte sociologique réel pour accréditer cette idée d'une surveillance d'état qui se focalise davantage sur les classes sociales en difficulté. Elle veut également montrer qu'un système qui criminalise les mères célibataires peut aussi être un système qui interdit l'avortement et réduit les femmes, toutes les femmes, à leur capacité à procréer et à materner
Jessamine Chan, dans la lignée de
Margaret Atwood, met en lumière le prix exorbitant que paient les femmes dans une société patriarcale qui les méprise et qui n'a de cesse de les punir pour assurer leur désir de domination.
Ce code d'éthique maternel, bâti sur la honte et la culpabilité, n'a d'autre vocation que de grignoter la liberté des femmes.