Je ne crois pas qu'il y ait lieu de présenter
Armel Job, l'écrivain le plus connu et prolifique de Wallonie après
Georges Simenon. "
Une drôle de fille", parue cette année-ci, constitue son 26ème ouvrage. C'est surtout parmi les jeunes que cet ex-instituteur de grec et latin et ex-directeur de collège à Bastogne, est exceptionnellement apprécié, à en juger par les distinctions et prix que cet écrivain a reçu grâce à des lecteurs adolescents.
1958 ! Nous sommes en l'année de l'Exposition Universelle de Bruxelles avec ses hôtesses en charmant uniforme et la construction du célèbre monument de l'Atomium, dont une des neuf sphères cache un excellent restaurant.
Armel Job a 10 ans et dans sa région, en la petite ville (fictive) de Marfort, en pleine campagne wallonne, a lieu, le 13 septembre, un événement, à première vue inoffensif, mais qui aura des répercussions hautement dramatiques.
La psychiatre, Léopoldine Vandelamalle, directrice de l'Oeuvre nationale des orphelins de guerre, pousse
la porte de la boulangerie de Marfort, non pas pour s'acheter du pain, des "pistolets" ou des éclairs, mais avec une demande précise au boulanger Ruben Borj et son épouse Gilda : d'offrir un contrat d'apprentissage à la pauvre orpheline, Josėe Piron, qui a le même âge que leur fille Astrid, 16 ans et est née à Liège en 1942. Toute sa famille est morte lors d'un terrible bombardement allié à Houffalize en janvier 1945 et Josée, la seule survivante, y a perdu l'ouïe et la vue pendant plusieurs semaines. Elle en a gardé une "légère déficience mentale", mais c'est une fille paisible, docile et joyeuse.
Sans enthousiasme délirant les Borj acceptent. Gilda, qui a un sacré travail à la boulangerie, avec son ménage, ses 2 gosses - car Astrid a un frère Rémi - et son mari, voit déjà ses rudes journées un peu soulagées et Ruben a calculé que cela ne lui coûterait que 80 francs belges par semaine comme rétribution (soit 8,57 € par mois, 1 € = 40,3399 FB et un gros pain de 900 grammes coûte 8 FB).
Pas trop rassurés sur les capacités de vente de la nouvelle recrue "pratiquement illettrée", Gilda et Ruben doivent constater que Josėe compte très vite et bien, comme si elle a une calculatrice en tête et qu'on puisse lui faire confiance avec les clients.
Le 11 octobre s'ouvre à Marfort le dancing - de nos jours on dirait discothèque - le Wigwam. Non sans difficultés, Astrid et Josėe réussissent à se rendre à l'ouverture. Josėe est totalement émerveillée par le chanteur Henri Breyre et son succès, la chanson "Diana" qu'elle chantonne avec lui. Après c'est une "tornade venue de l'autre côté de la mer du Nord (qui) va s'abattre sur le Wigwam" : Tommy Steele, le roi du rock and roll.
Les décibels que ce troubadour moderne produit, accompagné par un orchestre déchaîné, en combinaison avec un jeu de lumières crues et fortes, sont, hélas, trop forts pour notre pauvre Josėe qui fait une crise d'épilepsie.
Pour Gilda c'est le signal du départ de la "drôle de fille", mais la diplomate Vandelamalle persuade les Borj à donner à Josėe une seconde chance. Entretemps, il est de notoriété publique qu'elle a une voix de cristal et chante le tube à la mode, "Diana", à la perfection. Aussi bien que pour la messe de minuit de Noël, c'est Josėe qui assurera en solo le "Stille Nacht, heilige Nacht" ou "le douce nuit, sainte nuit" en version allemande à l'église Saint-Remacle de Marfort. Dans l'église entière "tout s'est figé. Les chuchoteurs impénitents pour une fois font pénitence, les tousseurs incontrôlables se contrôlent"... Bref, le succès est immense et comme le concert est retransmis en direct sur les ondes de la radio, apprécié en très haut lieu. En effet, la reine-mère Élisabeth de Belgique est tellement impressionnée par la performance de notre héroïne qu'elle l'invite à son Palais de Stuyvenberg à Bruxelles.
Son colossal talent fait évidemment des jalouses parmi les quinze jeunes filles de la chorale des Libellules, en particulier chez Astrid. L'invitation royale envenimera la situation à l'extrême. Je vous laisse découvrir ce dénouement dramatique, ainsi que le post-scriptum de l'auteur, qui nous transporte en mai 2018.
En l'été 1958 j'allais sur mes 12 ans et
je me souviens que le
dimanche de la kermesse dans le village de mes parents (Vive Saint-Éloi/Sint-Eloois-Vijve, aujourd'hui incorporé à Waregem) après la grand-messe, les cantiques faisaient place dans les hauts-parleurs du centre du hameau à "Diana" dans la version anglaise de Paul Anka. le chanteur d'origine canadienne et de parents libanais a établi, à l'âge de 16 ans, avec ce disque le record du monde des 45 tours le plus vendu dans l'histoire : 9 millions d'exemplaires.
Armel Job dans ce roman, ne fait que confirmer ses différents talents : de raconteur, de fin psychologue, de maître évocateur de situations, endroits et contextes. J'accorde volontiers et avec grand plaisir une mention spéciale pour sa langue et l'emploi d'expressions, locutions, métaphores... rarement utilisées et cependant si éloquentes.