Petite réflexion personnelle : pourquoi ce titre «
La nuit des pères », alors que
Gaëlle Josse parle de son père à elle, qui ne l'a pas aimée, qui n'arrive pas à traverser sa propre nuit, et qui hurle chaque nuit , toutes les nuits, dans son sommeil ?
Les nuits du père.
Qui hurle aussi tout le temps « impatience à fleur de peau, courroux toujours prêt à éclater » : je peux ouvrir le livre à n'importe quelle page, je trouve, écrit de façon admirable la même litanie.
C'est une longue lettre, une mise à mal, une dénonciation d'une fille, Isabelle, sûrement un complexe d'Oedipe pas résolu, puisqu'elle dit qu'elle aimerait alors qu'elle est adulte, à la fin du livre, qu'il la prenne dans ses bras, son odeur, son contact, ainsi que le ferait une amoureuse rejetée. Et malgré tout désirante.
Avec des phrases poignantes, un non-dit que nous attendons depuis le début, car il n'est quand même pas normal qu'un père rejette obstinément non seulement sa fille, mais aussi tous les plaisirs ( la petite chienne avec qui il jouait, riait et chahutait, se fait assassiner par lui à cause de cela, le plaisir qu'elle lui a donné), qu'il ne décolère pas et répand la peur,
Gaëlle Josse nous fait participer à son enfance sans doute et peu importe, à une enfance dévastée par le manque d'amour.
La mère se tait, elle se tait même un peu trop, sans doute par peur d'y passer elle aussi, puisqu'elle veut de toutes ses forces garder le non-dit, et ne pas mettre sa fille au courant du drame du père.
Très étrangement, j'ai souligné plusieurs passages dans presque toutes les pages, aimé la langue qui chante, pleuré avec cette petite qui ne grandit pas, lui ai reproché de ne pas le faire et, parallèlement, jugé vraiment longue cette complainte où les sentiments de révolte de la gamine de 8 ans se transforment en une vague acceptation, toujours accompagnée de terreur, et qui , en réalité, ne se transforment.
Car ni le père, ni la fille, ne changent.
La montagne n'offre même pas au père la respiration positive. le fond des mers choisi par sa fille lui offre la mort de son conjoint.
A moins que
Gaëlle Josse veuille justement nous transmettre cette impossibilité à oublier les blessures d'enfance : de résilience, dont au fur et à mesure de ma longue vie je commence à me fatiguer, il n'est pas question ; l'oubli, c'est la plongée dans l'Alzheimer du père ; le pardon n'existe pas.
En cela, elle nous implique dans un drame que nous avons, à des degrés divers, vécus, elle l'exagère pour nous forcer l'empathie, et, en cela, elle est, presque, géniale.
« Que la douleur et un archipel dont on n'a jamais fini d'explorer les passes et les courants. »
Douleur infinie. Une épine dans le coeur.