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EAN : 9782709661232
350 pages
J.-C. Lattès (06/02/2019)
4.07/5   92 notes
Résumé :
Veuve depuis peu, Constance, la quarantaine, auteur de théâtre à succès, se voit confier l’écriture d’un biopic sur Louis Braille par son producteur et ami Thomas. Assistée d’Aurélien, mystérieux et truculent étudiant en histoire, elle se lance à cœur perdu dans une enquête sur ce génie oublié, dont tout le monde connaît le nom mais si peu la vie.
Elle retrace les premières années de Louis Braille, au tout début du XIXe siècle, ce garçon trop vif qui perd la ... >Voir plus
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Si j'accroche nettement moins aux récits autobiographiques (pour le côté auto-centré ou thérapeutique), je prends par contre beaucoup de plaisir à lire un récit biographique qui recèle souvent une mine d'informations sur des personnalités ayant souvent changé le cours de la vie.

Louis Braille naît en 1804. Il ne le sait pas encore, mais sa venue sur terre va changer le destin d'enfants et adultes plongés dans le noir. À l'âge de trois ans, c'est le poinçon de travail de son père qui par accident, va lui crever l'oeil droit. L'infection va se généraliser jusqu'à l'autre oeil. Louis deviendra aveugle quelques mois plus tard. Étrangeté de la vie, si Louis perd la vue avec un poinçon, il va la retrouver avec ce même poinçon lorsqu'il inventera son alphabet braille à seulement dix-huit ans. Les hasards n'existent pas, le destin se met déjà bien en place. À dix ans, il rejoint l'Institut des jeunes aveugles. Lui qui aura été bercé par l'amour de ses parents dans un monde édulcoré de gentillesse et de bienveillance, il découvre à l'Institut que la gentillesse n'est pas généralisée, la méchanceté et cruauté des enfants sont pour Louis une rude épreuve.

Dans son apprentissage de la vie, Louis grandira avec la frustration de ne pouvoir avoir accès aux livres. Aucune méthode n'existe dans ce courant du XIXe siècle. Il sera marqué par sa rencontre avec le militaire Barbier, inventeur d'une machine qui grave sans qu'on y voie, une méthode d'écriture et de lecture nocturnes utilisée par l'armée pour transcrire des messages dans le noir complet.

Louis Braille n'aura jamais qu'une seule quête : donner des yeux aux doigts. Que ceux-ci permettent de voir les mots. Car avant l'alphabet braille, chaque lettre était poinçonnée, ce qui rendait fastidieux la lecture. Souvent l'enfant oubliait le début de la phrase avant d'en arriver à la fin. Louis veut une lecture fluide pour tous les aveugles, que son invention soit telle que le doigt « capte » les lettres si vite qu'il lise le mot d'un coup.

Louis Braille sera l'inventeur de la cellule de six point à la base du braille.

La biographie est ici particulière mais pertinente. On suit Constance, une jeune femme veuve de quarante ans à qui le producteur et ami Thomas lui demande d'écrire un biopic sur la vie de Louis Braille afin de l'adapter au cinéma.
Constance part alors dans des scénarios inspirés de la vie de Louis. Bravo déjà pour tout le travail documentaire qu'a fourni l'auteure.
À côté des scénarios, on retrouve les carnets rouges de Constance qui sont en quelque sorte le miroir de Louis Braille sur la vie de la jeune femme. Elle prend en effet son travail très à coeur, elle s'implique émotionnellement et on ressent, nous lecteurs (du moins, moi) combien la vie de Louis Braille est fascinante. J'ai été particulièrement sensible à la façon très visuelle et lumineuse que l'auteure s'emploie à mettre en exergue. Comme si dans un monde privé du sens de la vue et de lumière, se dessinait un monde clair et coloré, rythmé par le battement de l'âme. Cela se ressent très fort dans cette biographie.

C'est donc un très beau roman biographique qui m'a beaucoup émue, qui m'a renseignée sur la personnalité et les talents multiples de Louis Braille, dans un style lumineux, profond, et extrêmement sensible. Hélène Jousse « entremêle les vies et les époques, elle explore la force de l'amour sous toutes ses formes ». Oui, je suis d'accord ! Une réussite pour moi.

Qu'est-ce qu'un destin, sinon une vie qui fait basculer celle des autres ? 

#LesMainsDeLouisBraille #NetGalleyFrance
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Comment mettre à l'honneur un homme qui a contribué à l'amélioration du sort de ses semblables et dont on ignore à peu près tout? C'est le risque que prend Hélène Jousse en nous proposant de nous pencher sur le destin de Louis Braille, grâce à qui les aveugles peuvent accéder à la lecture et à l'écrit.

Point n'est besoin d'en rajouter dans le pathos, pour décrire l'accident qui a privé l'enfant de la vue à l'âge de trois ans. Ni d'exagérer la misère des internats parisiens, hébergeant des enfants handicapés. le Paris du 19è siècle n'avait rien à envier au Londres de Dickens. Insalubrité ambiante, tuberculose, l'internat auquel est confié le jeune enfant, et qui représentait dans l'imaginaire de ses parents le seul moyen de le faire accéder à la lecture, est un lieu de souffrance mais aussi d'émulation. La vivacité et la pugnacité du jeune garçon aura raison de la routine stérile tuiles fait explorer de formes de bois à l'image des lettres de l'alphabet, et qui font des livres de lourds objets qu'il faut porter à quatre!

Prenant le parti de mêler l'histoire du jeune prodige et la démarche de création, puisque la narratrice est sollicitée pour écrire le scénario d'un film sur Louis Braille, l'auteur alterne les récits, et l'on perçoit la fascination qu'exerce sur elle le prodige.

C'est instructif, et même si l'on perçoit que l'intrigue autour de la création est là pour compléter le peu d'informations dont on dispose Louis Braille.

D'une écriture simple et enthousiaste, l'auteur nous propose un récit très agréable.
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Avec » Les mains de Louis Braille « j'ai été surprise, comme j'aime l'être en littérature. Publié en cette rentrée littéraire 2019 aux éditions J.C. Lattès, c'est un premier roman d'une grande sensibilité et d'une puissante humilité. Certes le titre dévoile le contenu, mais Hélène Jousse a su me captiver par la petite histoire dans la grande Histoire. Deux héros, deux époques, mais une persévérance commune. C'est à travers les yeux de Constance que le lecteur découvre Louis Braille.
Constance, la quarantaine est veuve depuis peu. Sans enfant, le manque de l'autre se fait d'autant plus douloureux. Auteure de théâtre à succès, l'écriture est désormais une épreuve, comme un vide impossible à combler. Lorsque Thomas, son producteur la contacte, il sait qu'il va devoir user de persuasion pour réveiller en Constance le désir de mener à bien son projet.
p. 13 : » Constance, faites-moi un scénario de la vie de Braille. «
Ils se connaissent si bien tous les deux! Ils s'agacent autant qu'ils s'adorent, et c'est de cette complicité que va naître le projet de ce film. Mais pour ce faire, l'ambitieux Thomas engage Aurélien, un jeune étudiant en histoire, pour assister Constance dans ses recherches.
C'est donc ainsi que Constance se plonge dans la vie du célèbre Louis Braille…
p. 9 : » Qu'est-ce qu'un destin, sinon une vie qui fait basculer celle des autres ? «
1812. Simon Braille est bourrelier dans le petit village de Coupvray. Louis l'assiste souvent dans son atelier, pour la plus grande fierté de son père. Mais un jour que celui-ci doit s'absenter en ville, le jeune garçon se rend seul dans l'atelier, qui recèle de mille trésors. Mais à trois ans, que sait-on de la dangerosité des outils qui jonchent l'établi ?
p. 9 : » […] le tabouret vrille et emporte son corps. Dans sa chute, la pointe qu'il serre encore dans sa main se plante dans son oeil. «
L'infection touche rapidement son autre oeil et, en quelques mois, il devient aveugle.
Anéanti par la culpabilité, Simon ne mur dans le silence. Sa mère, quant à elle, reste forte malgré son sentiment d'impuissance. Elle emmène son fils aveugle partout, et découvre ainsi que le jeune garçon développe ses autres sens de manière déconcertante. L'école du village ne suffit pas à Louis qui a une soif inextinguible d'apprendre. Mais lorsqu'on est aveugle en 1819, on ne peut espérer réaliser de grandes études. Si l'éducation se fait principalement à travers les livres, le jeune Louis en est privé. Cette frustration contraint ses parents à prendre une douloureuse décision.
S'imprégner de la vie de Louis devient une révélation pour Constance. Comme si en faisant renaître ce prodige, elle se révèle à elle-même. Bien-sûr Thomas n'est jamais bien loin, et s'assure de l'avancée de l'écriture du scénario. Thomas est pragmatique et veut du sensationnel ! Il veut des informations inédites, quitte à bousculer Constance.
Louis a dix ans lorsqu'il arrive à Paris, à l'Institut royal des jeunes aveugles, il est le plus jeune des pensionnaires. Dirigé par une poigne de fer et de sadisme par l'effroyable Monsieur Guifau, Louis va y découvrir ce que l'être humain a de plus monstrueux. Bizutage, enfermement, privation, etc… Louis va alors puiser au plus profond de lui pour trouver la force de résister.
p. 32 : » Il ne mesure pas encore à quel point là est sa force, celle qui va finalement le conduire à inventer ce qu'il ne trouvera pas au bout de cette route. «
Et l'amitié naissance avec Gabriel va être décisive dans cette quête. Ensemble, ils vont faire front puis force.
p. 113 : » Gabriel est fait du même bois, de cette consistance rétive à la fatalité du destin, de cette nature résolument résolue. «
L'arrivée d'un nouveau directeur à l'Institut, le docteur Pignier, va bouleverser la vie de Louis. Enfin soutenu dans ses recherches sur un système de lecture adapté aux aveugles, il va y consacrer tout son temps libre. Et sa persévérance et sa ténacité auront raison de tous les obstacles rencontrés. Il n'a que seize ans lorsqu'il invente la méthode de la cellule à six points, dit le procédé braille.
p. 278 : » Louis a confiance dans quelque chose de plus grand que lui, qui se porte sur lui mais dont il n'a aucune part. Il n'a jamais cessé de le croire. Sa foi est sa force. «
Constance a à coeur de retranscrire le plus fidèlement possible le récit de la vie de Louis. Mais pour Thomas, insensible à l'invisible, il est temps de finaliser le projet. Constance sera-t-elle prête à céder et à faire renaître un personnage dont elle se sent désormais si proche ?
p. 194 : » Louis, je l'aime aussi de l'avoir fait. de le faire. Chaque jour. Chaque jour, il sort de moi davantage. «
La vie de Louis Braille nous est contée au fur et à mesure des découvertes de Constance. Mêlant ainsi le passé et le présent, le lecteur prend conscience de l'héroïsme de chacun d'eux, à échelle différente bien entendu. L'un consacre sa vie à rendre accessible la lecture aux aveugles, tandis que l'autre y voue un biopic, pour ne surtout pas oublier. Les deux personnages principaux sont attachants et tellement humbles ! L'écriture est sensible et presque fragile. J'ai adhéré dès les premières lignes. Mon seul petit bémol, le passage sur le spiritisme ; j'y suis restée hermétique. À la fois romanesque et instructif, ce livre est à mettre entre toutes les mains, nous, lecteurs chanceux aux yeux inaltérés et avides. LISEZ ce roman de Hélène Jousse, c'est une majestueuse leçon d'humilité et de résilience.
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J'ai aimé la tendresse avec laquelle Hélène Jousse dresse le portrait de ce petit bonhomme de trois ans enjoué, curieux qui aime regarder son père travailler à l'atelier de bourrelier de Coupvray. Sa mère, aimante, drôle, courageuse qui tel le roseau plie face aux difficultés de la vie mais ne rompt pas. Comme lorsque les soldats qui occupent sa maison, lui ordonne de la décorer pour une fête, elle force l'admiration en disposant dans toute la modeste maisonnée des fleurs bleues, blanches et rouges, une bravade qui force l'admiration.

Lorsque Louis perd la vue, son père se replie dans un mutisme total et son sentiment de culpabilité. Pourtant, il aura la force de saisir la main que les notables lui tendent pour permettre à Louis d'entrer dans l'institut qui lui permettra d'étancher sa soif de savoir.

Louis y découvrira l'injustice, le sadisme, la peur, l'humidité, l'insalubrité des lieux, mais aussi Gabriel son alter ego musicien. Enfin, un coup de pouce du destin en 1821 avec l'arrivée de M. Pignier le directeur qui le prendra sous son aile, Claude, le régisseur protecteur qui contrefaisait les ordres pour préserver les pensionnaires.

Constance, son carnet rouge, sont le fil conducteur de la découverte de l'amour au sens large, de la pugnacité de Louis à accomplir son rêve : lire enfin seul, acquérir le savoir et le répandre pour que les aveugles soient libres.

L'auteure donne vie à Louis Braille par la voix de Constance. L'inconnu dont le monde a retenu le nom, mais si peu de la vie, sinon pour dire que 100 ans après sa mort, il a fait son entrée au Panthéon. Jolie idée que ce biopic, joli roman cinématographique que j'irai regarder avec plaisir. Tant cette vie est riche, belle et triste à la fois, emplie de tendresse et de partage.

Constance et Louis, deux cécités qui ne peuvent se rencontrer que par la recherche d'absolu de ces deux êtres frappés par le malheur.

Un roman touchant, captivant qui embarque jusqu'à son épilogue.

Hélène Jousse redonne vie à Louis Braille, nous donne à voir ses frustrations, ses joies, ses peurs, lui qui est le concepteur d'une méthode universellement connue sous son simple nom : BRAILLE. Une fenêtre ouverte sur le savoir, la musique et le plain-chant, une liberté nouvelle ! Inconnu pourtant.

Joli pied-de-nez au destin qui devait faire de Louis un homme plongé définitivement dans l'obscurité, mais qui, par sa volonté d'apprendre, de partager, lui a permis de changer la vie d'aveugles et mal-voyants en leur donnant un accès fluide à la lecture et à l'apprentissage.

Un véritable coup de coeur !

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Hélène Jousse résume parfaitement son premier roman en disant qu'il s'agit de l'histoire «d'une scénariste qui se met à l'écriture d'un film sur Braille et qui, en découvrant la vie de cet enfant, va voir sa propre vie transformée.»

Ce qui est formidable avec le premier roman d'Hélène Jousse, c'est qu'il nous offre plusieurs portes d'entrée, toutes aussi passionnantes les unes que les autres. Il y a d'abord celle qui nous fait découvrir Constance, la narratrice. La vie ne l'a pas épargnée puisqu'elle se retrouve désormais seule après le décès de son mari et va tenter d'apaiser sa douleur dans le travail. Une situation particulière qui va lui permettre, presque inconsciemment, de développer une sensibilité très particulière pour le sujet du film qu'elle prépare, un biopic consacré à Louis Braille, l'inventeur du système d'écriture pour aveugles qui porte aujourd'hui son nom. Et dont Thomas, le réalisateur, va profiter.
Car Constance est scénariste. En la suivant, on va pouvoir découvrir comment se construit un film, comment un scénario s'étoffe, quel travail de repérage est nécessaire et comment on tente de remplir les lacunes d'une biographie. Aurélien, jeune recherchiste, va ici s'avérer d'un précieux secours. C'est notamment lui qui va apprendre à Constance le curieux marché passé entre l'État et la commune natale de Louis Braille: son corps est au Panthéon, ses mains sont à Coupvray.
Hélène Jousse a eu la bonne idée de nous offrir un roman dans le roman. Il nous ramène au tout début du XIXe siècle, à ce jour funeste où le petit Louis s'amuse dans l'atelier de bourrelier de son père et se crève un oeil avec un poinçon. Une blessure si vive qu'elle va entraîner la perte de son oeil et, quelques jours plus tard, la perte de sa vue. Mais Louis est un garçon curieux, avide de savoir et à six ans, au fond de la classe, son instituteur ébahi découvre qu'il a enregistré les fondamentaux de l'arithmétique, de la grammaire, de l'histoire et de la géographie. Avec l'aide du curé, puis d'un nobliau de province, il est accepté à Paris, dans le seul établissement accueillant les jeunes aveugles. En fait, il s'agit d'un endroit insalubre où les élèves tombent comme des mouches. Mais là encore, Louis résiste aux difficiles conditions de vie et à la cruauté de l'équipe dirigeante.
Il trouve d'une part du soutien auprès de Gabriel, un collègue avec lequel il s'entend à merveille – «Les deux forment un tandem incroyablement performant. Ils se sont trouvés.» – et d'autre part auprès du concierge qui brave le règlement et sa hiérarchie pour venir en aide aux pensionnaires. Il s'arrange par exemple pour donner de l'argile à Louis lorsqu'il est mis au cachot pour qu'il puisse passer le temps en façonnant la Terre (quand on sait qu'Hélène Jousse est aussi sculptrice, on imagine le plaisir qu'elle a dû éprouver en imaginant cette scène). Mais ces petites lueurs d'espoir ne peuvent enrayer l'inexorable déclin d'une institution si mal gérée. le miracle va se produire en 1821, avec l'arrivée d'un nouveau directeur.
Ce dernier va transformer le système éducatif en place et notamment proposer à Charles Barbier de la Serre de faire un exposé sur son système de codage par points mis au point pour l'armée.
Gabriel et Louis s'enthousiasment, mais doivent bien vite se rendre à l'évidence: «celui qui voit ne peut avoir la moindre idée de l'île noire dans laquelle ils vivent, ni des passerelles nécessaires pour rejoindre le continent des voyants.» Quelques mois plus tard le «procédé pour écrire les paroles, la musique et le plain-chant au moyen de points, à l'usage des aveugles et disposés pour eux» est créé.
Constance parviendra-t-elle à vendre son histoire? le film Les Mains de Louis Braille verra-t-il le jour? Je vous laisse le découvrir, tout comme le destin réservé à Louis Braille à la suite de son invention. Attendez-vous à quelques surprises!


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Citations et extraits (39) Voir plus Ajouter une citation
Les jours d’après, il se met à dessiner tout ce qui passe devant ses yeux, les gens aussi, et lui, dans le petit miroir que lui tend sa maman. Elle réalise, ce jour-là, cachant ses larmes derrière le miroir, qu’il ne connaîtra jamais son visage d’homme. Dans les mois qui suivent, Louis regarde tout. Il regarde une dernière fois. Il regarde sans savoir que c’est la dernière fois.
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Je me suis toujours réjouie que les manuels de conjugaison aient le bon goût de choisir comme premier de tous les verbes celui qui dit l’amour. On découvre le premier groupe avec le verbe Aimer. On découvre le temps d’aimer. On s’interroge, perplexe, sur la dose d’amour qui reste encore lorsqu’on dit « que j’eusse aimé ». On constate qu’il n’y a rien de plus triste qu’un infinitif passé, « avoir aimé... » Tout finit-il ?
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Je me mets à penser qu’on ne peut pas faire de grandes choses lorsqu’on est vraiment seul. On dit qu’il faut un concours de circonstances pour qu’une grande chose advienne. Sans doute. Mais il faut surtout un concours de belles-âmes autour de celui qui invente.
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INCIPIT
Scénario scène 1. Trois ans. Coupvray.
C’est un jour de juillet pluvieux. Un matin de l’été 1812. Depuis l’aube, les averses ont succédé aux éclaircies. Louis aime la pluie parce qu’elle réunit sa famille. Quand il pleut, sa mère renonce à aller au champ et reste à l’abri avec lui et sa sœur aînée. Parfois, son père aussi cède à l’attrait de cette intimité tendre et chaude, au cœur de sa maison. Il abandonne son atelier et les rejoint autour de la cheminée, tel l’avare s’assurant que son trésor n’a pas disparu.
Depuis le jour où sa mère, impérieuse et joueuse, a fait arrêter la diligence de Meaux en pleine campagne pour qu’il puisse écouter les gouttes d’eau s’écraser sur le plafond entoilé de la calèche, Louis raffole du bruit de la pluie. Toute sa vie, il continuera à l’aimer. Sa bonne nature ne connaît pas la rancune.
Mais aujourd’hui, malgré l’orage, sa mère n’est pas là, contrairement à son habitude. Obligée d’aller vendre ses légumes au marché, elle n’a pas voulu qu’il l’accompagne, de peur qu’il ne prenne froid. Elle l’a laissé sous la surveillance de son mari, dans l’atelier où l’enfant adore fureter.
Louis aime se lever très tôt et prendre une longueur d’avance sur le jour naissant, sur ses parents et sa sœur qui sommeillent encore. Il fouine. Les objets et leur mystérieux ballet l’intriguent. Les choses lui en apprennent beaucoup sur les gens. Tout semble lui dire quelque chose. Alors, dans son petit monde de tout petit enfant, il ne néglige rien, et tout devient grand.

M. Braille termine de coudre un harnais pour le notaire, qui ne va pas tarder à lui amener son cheval. On le dit consciencieux et habile, et les gens viennent de loin pour le faire travailler, lui, et pas un autre. Louis le voit. Il en est fier. Le bourrelier aime son métier qui mobilise ses mains mais aussi, dans la conscience que nécessite chaque geste, le meilleur de son esprit.
Le petit garçon reste là, à regarder son père au travail. Ce ne sont pas les gestes d’un artisan adroit qu’il voit mais une danse toujours nouvelle et chaque fois aussi distrayante. Le visage à hauteur d’établi, Louis observe les mains de son père s’envoler, se refermer sur un outil, puis se reposer sur le cuir tendre. Ses deux bras merveilleusement articulés se plient et se déplient en rythme pour affûter, couper, piquer, tordre, étirer, lustrer. Le buste, léger et vif, s’ajuste avec souplesse, accompagnant chaque geste. Louis contemple ce beau géant en branle au-dessus de lui.
L’enfant regarde fasciné le corps solide de son père, comme un monde en soi. Il y voit une splendide mécanique capable de reconstruire, s’il le fallait, la grande mécanique qui l’entoure. Louis, âgé de trois ans – trois ans et demi, précise-t-il –, a le regard dilaté par l’admiration qu’il ressent pour ce puissant humain qui, non seulement existe, mais par bonheur l’aime, lui, si petit. Alors, il se dit que ça n’est pas rien ce qu’il est, puisque le colosse se penche si bas et si souvent vers lui. Et cela le rend heureux, simplement et profondément heureux d’avoir le droit d’être là.
Ils ont passé la matinée ensemble dans l’atelier, – un de ces moments de l’enfance où le temps semble s’étirer, où la félicité de l’instant contamine l’instant d’après, où le bonheur nous laisse croire qu’il ne se sauvera jamais.
M. Braille quitte un instant son établi pour fixer le harnais à l’encolure du cheval de son client qui l’attend dehors, déjà trempé. Louis se retrouve seul. Seul au monde dans le monde de son père qu’il croit être déjà le sien. Après avoir longuement promené son regard autour de lui, il commence à toucher les objets de cuir fabriqués par son père. Puis les objets qui fabriquent les objets, ses précieux outils, prolongements de la main paternelle. Et puis, il se prend pour son père… Comment faire autrement ?
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Le mal n’existait pas pour Louis, ni au-dedans, dans sa maison, ni au-dehors, dans le village. Le nid sur la branche n’était que tendresse et l’arbre n’était que caresse. Le quitter, c’était aller au-devant des Autres, les bons et les méchants. Les méchants n’existent pas tant qu’on ne les a pas rencontrés. La première rencontre sidère, ou, dans le meilleur des cas, surprend.
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Retrouvez vos "Live Books" du onzième numéro saison 2 de Gérard Part En Live ici :
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Amer beton - Intégrale de Taiyô Matsumoto aux éditions Delcourt https://www.lagriffenoire.com/41513-bd-amer-beton---integrale.html
Filles de la mer de Mary Lynn Bracht et Sarah Tardy aux éditions Pocket https://www.lagriffenoire.com/142013-divers-litterature-filles-de-la-mer.html
Je vais m'y mettre de Florent Oiseau aux éditions Pocket https://www.lagriffenoire.com/90782-divers-litterature-je-vais-m-y-mettre.html
Paris-Venisede Florent Oiseau aux éditions Pocket https://www.lagriffenoire.com/138397-divers-litterature-paris-venise.html
Akû, le chasseur maudit T01 de Muneyuki Kaneshiro et Akeji Fujimura aux éditions Pika https://www.lagriffenoire.com/140184-livres-mangas-aku--le-chasseur-maudit-t01.html
Le cercle des femmes de Sophie Brocas aux éditions J'ai Lu https://www.lagriffenoire.com/38013-divers-litterature-le-cercle-des-femmes.html
Le Baiser de Sophie Brocas aux éditions Julliard https://www.lagriffenoire.com/136843-divers-litterature-le-baiser.html
L'homme aux deux ombres de Steven Price et Pierre Ménard aux éditions Folio https://www.lagriffenoire.com/142179-nouveautes-polar-l-homme-aux-deux-ombres.html
Scott Pilgrim Perfect Edition, T1 de Bryan Lee O'Malley aux éditions HiComics https://www.lagriffenoire.com/141875-achat-bd-scott-pilgrim-perfect-edition--t1.html
November Road de Lou Berney aux éditions HarperCollins https://www.lagriffenoire.com/140166-nouveautes-polar-november-road.html
L'Erreur de Susi Fox et Héloïse Esquié aux éditions Fleuve Noir https://www.lagriffenoire.com/138417-nouveautes-polar-l-erreur.html
Chevauche-brumes de Thibaud Latil-Nicolas aux éditions Mnémos https://www.lagriffenoire.com/141740-livres-de-science-fiction--chevauche-brumes.html
Bad Man de Dathan Auerbach et Nathalie Peronny aux éditions Belfond https://www.lagriffenoire.com/142091-nouveautes-polar-bad-man.html
Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre aux éditions Livre de Poche https://www.lagriffenoire.com/6993-divers-litterature-au-revoir-la-haut.html
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