Revenu à mon cachot, écrasé de silence et de solitude, je découvre avec accablement que les choses, la nature, l'univers ne peuvent rien pour nous, que je n'ai plus à espérer leur aide, qu'il me faudra à jamais me passer d'eux.
J'ai envie de rire et de pleurer, partagé que je suis entre la joie que je ressens à les retrouver et la détresse dans laquelle je me débats. Sans eux tous dont je sais maintenant quelle place ils tiennent en moi, que vais-je devenir ? (P. 261)
Je prends conscience qu'on ne choisit ni ses parents, ni son enfance, ni ce qui en découle, ni ce qu'on est. Mais ce que le hasard et les circonstances m'ont attribué, et qui n'est pas forcément pour me convenir, dois-je le combattre ou m'y soumettre ? Ces questions qui viennent de surgir en moi, je devine qu'elles ne me lâcheront plus. (...) Et devrai-je continuer d'avancer si je comprends un jour que ce que je suis me vaudra d'être rejeté par mes semblables ? P. 77-78
Je rampe jusqu'à me trouver entre deux fenêtres, me mets sur le dos, croise les mains derrière la nuque et contemple les étoiles. Leur diversité ne m'avait jamais frappé, et cette nuit, j'en fais la découverte. Certaines sont minuscules, d'autres plus grosses qu'une mirabelle, certaines paraissent ineffablement éloignées, d'autres toutes proches, certaines émettent un
rayon uniforme, d'autres vivent et palpitent, semblent lancer des appels, forcent mon esprit à s'interroger sur leur multitude, sur l'énigme de la vie, sur l'origine et l'étrangeté de cet univers dont l'immensité m'épouvante et m'écrase. Car ces espaces infinis, criblés d'étoiles, qui descendent en moi et m'émerveillent, m'amènent à me sentir désaccordé, inconsistant, vain, nul, m'emplissent de honte, me donnent le désir de me retirer de l'existence.
Les feuillets que je tiens enfouis dans ma poche, je les porte à ma bouche. Me mets à les mâcher et les avaler. Pour n'avoir pas à me séparer de ce qui m'est venu d'elle. Pour la sentir vivre en moi. Pour faire passer ses mots dans mon sang.
Avec gravité, avec solennité, je prends la résolution d'aimer, ou tout au moins, de ne jamais faire souffrir, ne jamais blesser ni décevoir ceux et celles dont il m'arrivera plus tard de croiser le chemin.
On prétend que Jésus a affirmé : Il sera donné à ceux qui ont. Il sera ôté à ceux qui n'ont rien. N'y a-t-il pas là une erreur ? N'aurait-il pas plutôt dit : il sera donné à ceux qui n'ont rien. Il sera retiré à ceux qui ont ?
Pourquoi y a-t-il la mort ?
Pourquoi la mort n'est-elle pas que pour les vieillards ?
Pourquoi les adultes ne comprennent-ils pas les enfants ?
Pourquoi les hommes sont-ils méchants ? Pourquoi se font-ils souffrir les uns les autres ?
Revenu à mon cachot, écrasé de silence et de solitude, je découvre avec accablement que les choses, la nature, l'univers ne peuvent rien pour nous, que je n'ai plus à espérer leur aide, qu'il me faudra à jamais me passer d'eux.
il se met à nous raconter... l'armée en déroute... prisonnier...
De ces quelques mois passés là-bas où nous étions moins que des bêtes, poursuit-il, j'ai tiré deux conclusions : la première est de nature à désespérer. La seconde permet de garder foi en l'homme... lorsque devenus adultes vous chercherez à sonder ce mystère qu'est l'être humain, à vous faire une juste idée de ce que nous sommes, il vous faudra ne pas perdre de vue que nous avons au moins deux versants. N'en voir qu'un en méconnaissant l'autre, c'est obligatoirement commettre une grave erreur.
Si le chef en venait à nous supprimer, ce serait également la preuve qu'il a été jaloux de moi, qu'il m'a traité en adulte. J'ai un tel désir de quitter l'enfance, d'être considéré comme une grande personne...