TODA-RABA - MOSCOU A CRIE est le titre entier du livre.
Nikos Kazantzaki est un des "Grands Ecrivains" du XXème siècle, depuis la visite de sa maison en Crète je le lis régulièrement à chacun de nos voyages en Grèce. Je m'étais désolée d'avoir tant de mal à trouver ses livres en français ; ce billet avait eu de nombreux commentaires. Comme quoi, je n'étais pas seule à chercher ses ouvrages.
Heureusement, récemment Cambourakis répare cette lacune et le réédite. Un grand merci!
J'ai choisi Toda-Raba sur une ambiguïté (pour moi) que je tiens à lever. "Toda Raba", en hébreu, veut dire merci beaucoup. Je croyais que le choix de ce titre y ferait allusion. Erreur! Toda-Raba est un personnage du roman, un africain, aucun rapport avec l'hébreu ou avec les remerciements!
Rien à voir avec la Grèce, non plus!
Kazantzaki a écrit ce roman à la suite de ses voyages en Union soviétique. Eléni Kazantzaki, dans une longue et passionnante préface relate les circonstances de ces voyages en 1925, 1928-1929 en Russie. En 1925, il a publié un livre Ce que j'ai vu en Russie. Il se rend à Moscou en 1927 pour fêter le dixième anniversaire de la Révolution d'Octobre et y rencontre
Panaït Istrati et prépare avec lui, et leurs compagnes, une traversée en train de l'Union soviétique, une descente de la Volga de Nijni-Novgorod jusqu'à Astrakhan. L'histoire se terminera tragiquement pour
Panaït Istrati. Kazntzaki en tira ce roman.
"Cette confession en forme de roman n'a qu'un seul héros. Azad, Géranos, Sou-ki, Rahel, Anada et L'Homme aux Grandes Mâchoires ne sont que les diverses facettes d'une seule conscience qui a vécu et reflété la réalité - complexe, fluide à maintes faces - de l'Union Soviétique. ...Seul le Nègre st en dehors et au dessus du héros."
C'est un roman- kaléidoscope Des personnalités du monde entier sont conviées à un congrès à Astrakhan pour célébrer la Révolution. Sou-ki Chinois, a entendu l'appel de Moscou en Californie, Amita, du Japon, Azad, révolutionnaire tchekiste a travaillé sous les ordres de Djerzinski, Rahel de Lodz, Géranos est crétois...il y a aussi des Arméniens, Géorgiens....
Comme dans un récit de voyage, on suit ces voyageurs en Sibérie, à Kiev, Tiflis, Bakou, Boukhara... Kazantzaki dans ce court roman, sait nous faire goûter les vins géorgiens, les fruits, piments ou chachlik. Par touches, nous découvrons des paysages, des costumes, des traditions...;
Le début du livre, avec "le cri de Moscou" l'appel entendu dans le monde entier, l'enthousiasme de Sou-ki, les portraits de
Lénine,"
Lénine n'est pas mort ; il vit éternel parmi nous! Les générations futures adoreront
Lénine car son grand coeur a souffert pour la Chine" fait penser à de l'agit-prop.
"Liberté!Liberté! le Moscovite descend! " - "Et voilà maintenant, dans son âge mûr, Géranois sent en lui, tout à coup un vieux Crétois, son grand père, le fez rouge de travers qui chante à pleins poumons ce même refrain"
Enthousiasme révolutionnaire, Kazantzaki le partage-t-il sans nuance? la réunion à Kiev autour de Rahel , de jeunes juifs, d'intellectuels, d'artistes est plus nuancée. Occasion de discuter de l'art prolétarien, d'évoquer l'antisémitisme. Une réflexion critique :"les bons combattants sont ceux qui ont des oeillères. Vous portez, mes amis, des oeillères. Je ne voudrais pas vous les enlever" soulève un doute.
Plus on avance dans le récit, et plus les doutes s'accumulent. Azad, le tchékiste retrouve la Présidente du Tribunal révolutionnaire: "tu ne vois pas? Il y a quelque chose qui ne va pas dans notre Russie?"[...]Notre rôle est fini. Nous sommes des revenants..."
Kazantzaki soulève aussi la question paysanne, koulak ou moujik : "le problème du paysan est complexe[...]plus nous donnons de liberté au paysan, plus la production augmente; Plus le paysan devient riche, plus il devient réactionnaire, par conséquence, du point de vue politique, il faut absolument réprimer la liberté du paysan" . L'enthousiasme béat du début du livre est loin.
"Nous vivons trop intensément notre époque pour la voir et la juger. la réponse que tu demandes, camarade, n'existe pas. Elle mûrit à chaque instant"
Géranos transmet le flambeau révolutionnaire à son fils Panteli"Accomplis ce que je n'ai pu accomplir. laisse-moi et va plus loin"
On est loin de la propagande, la réflexion est poussée, sans conclusion définitive.
Un bémol : je n'ai vraiment pas compris le rôle de Toda-Raba l'africain que j'ai trouvé caricatural et inutile. Il doit pourtant être capital puisqu'il a donné le titre au livre.
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