«
Les visages », troisième roman de
Jesse Kellerman – le fils des auteurs à succès, Jonathan et
Faye Kellerman - est le polar qui aura buzzé en 2010 et 2011. Outre-atlantique, il a été élu « meilleur thriller de l'année » par le New York Times et par
The Guardian, tandis qu'en France, il est resté 40 semaines dans la liste des meilleures ventes, couronné de quelques prix littéraires (Elle, Points…). Au dos de la couverture, on peut y lire les éloges d'
Harlan Coben qui le qualifie de « styliste hors pair » et le compare au
Mystic River de
Dennis Lehane. Autant dire que les attentes étaient élevées, alors est-ce vraiment le « chef d'oeuvre » annoncé ?
C'est dans le milieu de l'art contemporain et au coeur des grandes familles argentées de New-York que se déroule l'intrigue. le héros, Ethan Muller, est un marchand d'art trentenaire, rejeton d'une grande famille fortunée, notamment magnat de l'immobilier, orphelin de mère et en rupture avec un père qui a toujours été froid envers lui. Un jour, l'homme de confiance de son père lui fait part d'une découverte dans l'un de ses appartements, abandonné par son locataire : des centaines de dessins remarquables. Ethan, en extase, s'en empare pour les exposer et les vendre. Mais bien vite, l'auteur inconnu de ce chef d'oeuvre, un certain Victor Cracke, commence à le hanter. En particulier, lorsqu'un vieux flic à la retraite l'informe que les « chérubins » représentés sur plusieurs dessins sont
les visages d'enfants assassinés des années plus tôt. L'enquête dans laquelle s'acharnera le jeune galeriste lui révèlera bien plus qu'il ne l'aurait cru…
Loin du thriller habituel, à renforts d'actions et de rebondissements incessants,
Jesse Kellerman nous fait entrer avec un rythme singulier dans cette intrigue qui mêle enquête policière, psychologies approfondies des personnages et historique d'un famille juive immigrée aux Etats-Unis.
Certains regretteront des longueurs dans l'intrigue - notamment vers la fin - mais le roman se construit autour d'une double temporalité qui peut expliquer ces quelques longueurs.
Car en effet, au-delà du mystère à éclaircir autour de la personne de Victor Cracke, il s'agit également d'une enquête familiale, celle des Muller, puissante famille qui cache un terrible secret. Par une habile construction, l'auteur mêle donc ces deux récits, en introduisant des « interludes » qui remontent dans le passé des Muller et retracent leur ascension sur un siècle, mais aussi les névroses, les douleurs qui se transmettent insidieusement de génération en génération. Si le procédé peut décontenancer au début, il devient rapidement aussi prenant que l'intrigue principale.
On notera surtout que le personnage principal, tout en essayant de découvrir qui était Victor Cracke, en profite pour nous confier ses réflexions, sarcastiques, sur le milieu de l'art. Si son analyse, volontiers provoc', manque sans doute de finesse, elle ne manque pas d'interpeller. Réduisant le monde de l'art à sa dimension business, il insiste sur l'aspect « marketing » du métier consistant à être créatif pour vendre son artiste. Il n'hésite pas à se moquer des acheteurs consuméristes sans manquer de brocarder au passage les vernissages et cocktails mondains où abondent les « gossips » dont sa petite amie Marilyn raffole. Ce personnage pèche plus particulièrement par son côté caricatural et n'apporte pas grand-chose à l'histoire (de même que le personnage de Samantha, l'autre amante du narrateur). Pourtant au-delà de cette description peu reluisante, il nous fait aussi partager sa fascination pour l'oeuvre de Victor Cracke. À tel point que lecteur a l'impression de la visualiser.
Le problème majeur de ce prétendu thriller tient sans doute à son dénouement, extrêmement décevant : la résolution des meurtres est évacuée en deux pages et la dernière page laissera plus d'un lecteur dubitatif. L'enquête policière ne sert que de prétexte à une saga familiale pas inintéressante, mais on est loin de la promesse initiale.
Une enquête familiale mais aussi une satire du marché de l'art et réflexion sur le génie artistique davantage convaincantes que l'enquête policière qui peinera à emporter l'adhésion des amateurs du genre Thriller pour lesquels le livre semblait pourtant destiné. Malgré une idée de départ captivante et originale, l'intrigue policière s'essouffle et puis s'efface au profit de la saga familiale.
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