Citations sur Les clochards célestes (75)
Je levais les yeux : Japhy était debout, au sommet du Matterhorn, faisant entendre le magnifique chant de joie du Bouddha-triomphant-qui-a-écrasé-les-montagnes. C'était très beau. Il fallait bien le reconnaître : le cran, l'endurance, la sueur, et maintenant ce chant d'une humanité déboussolée c'était comme de la crème fouettée sur une pièce montée.
Ne forme aucun préjugé quant à la réalité ou l'irréalité de l'existence. Les menottes des flics ne seront plus amidonnés et les matraques s'abaisseront ; vive la liberté!
"Le monde n'est pas si mauvais, pensais-je, puisqu'on peut y rencontrer des Japhy", et je me réjouis. Mes muscles étaient douloureux et j'avais des crampes d'estomac, mais la naissance, la vie et la mort me semblaient justifiées; ce soir-là, par la présence des rochers noirs alentour et le fait que deux jeunes gens sincères étaient assis, en train de méditer et de prier pour le monde, en un lieu où ils n'avaient à attendre ni paroles douces, ni baisers apaisants.
Plus tu te rapproches de la vraie nature, mon vieux, et plus tu comprends que le monde est esprit - air, roc, feu et bois.
Ne pense pas. Va ton chemin en dansant. Rien de plus facile au monde. Même la marche en terrain plat est plus dure, à cause de sa monotonie. Chaque pas pose de petits problèmes passionnants et pourtant le corps n'hésite jamais, il se retrouve perché sur une pierre qu'il a choisie sans raison particulière. Cela tient du Zen le plus pur.
Tous ces gens, dit Japhy, ont des cabinets de céramique blanche, où ils chient aussi salement que des ours dans la montagne. Mais comme toute leur merde est emportée dans des égouts dûment contrôlés, personne n'y pense plus ou se rappelle que le fait de chier ait quelque chose à voir avec la merde et la puanteur et toute la dégueulasserie du monde. Ils passent leur temps à se laver les mains avec des savons crémeux qu'il rêvent de dévorer en secret dans leur salle de bain.
"-D'après Alvah, tandis que des gars comme nous cherchent à se sentir très Orientaux et à porter des robes, les vrais Orientaux lisent les œuvres de Darwin ou celles des surréalistes et n'aiment rien tant que le complet-veston de l'homme d'affaires occidental."
Un véritable haï-kaï doit être simple comme la soupe et cependant avoir la saveur de la réalité. Le plus beau des haï-kaï est probablement celui-ci:
Le moineau sautille sur la terrasse.
Il a les pattes mouillées.
C'est un poème de Shiki. On voit les traces des petites pattes mouillées avec les yeux de l'imagination. Et cependant, dans ces quelques mots, il y a aussi la pluie qui est tombée ce jour-là. On sent presque le parfum des aiguilles de pain humide.
Pour l'enfant et l'innocent, aucune chose n'est jamais différente d'une autre chose.
Comme Japhy en avait l'habitude, je pliai le genoux et adressai une petite prière au campement que je laissais derrière moi. C'est ainsi qu'il avait fait dans la sierra, et dans le comté de Marin, et même, en témoignage de gratitude, de la cahutte de Sean, le jour de son départ.
Et comme je decendais, à flanc de montagne, avec mon sac, je me retournai et je m'agenouillai sur le sentier, et je dis : Merci, cabane. Puis j'ajoutai: Blablabla avec une grimace car je savais que la montagne et la cabane comprendraient ce que je voulais dire. Puis je leur tournai le dos et continuai à descendre le long du sentier, vers ce bas monde.
- Tu bois trop et tout le temps. Je ne vois pas comment tu parviendras à l’illumination ni comment tu pourras tenir le coup dans la montagne. Tu seras toujours en train de descendre pour dépenser en vin l’argent destiné à tes repas. Après quoi tu finiras par tomber raide dans la rue, sous la pluie, et l’on t’enverra promener ; après ça, il te faudra renaître encore une fois, sous l’aspect d’un cabaretier enchainé à son tiroir-caisse. Ce sera ton karma.