Le titre poétique du livre «
le sel de tous les oublis » renvoie à un vieux poème qui fait la promotion de la fuite en avant : « Ne t'arrête surtout pas/ Et confie ce que tu cherches/ À la foulée de tes pas ». le sel de l'oubli évoquant ce qui reste des larmes quand on a beaucoup pleuré : « marche sur
le sel de tous les oublis ». Cette marche sans argent, sans désir de se sociabiliser, c'est précisément ce que va entamer Adam, le protagoniste principal du roman. Chaque nuit précédée de soirées arrosées est une occasion pour lui de descendre un peu plus dans l'échelle sociale… mais cela va lui permettre surtout de vivre des expériences fortes, jusqu'à un passage à la section des fous de l'hôpital de Blida.
Adem Naït-Gacem, un instituteur
algérien, voit sa vie s'effondrer lorsque sa femme le quitte. Incapable de se relever de cette perte qu'il n'avait pas vue venir, sans aucune attache, il est désespéré. Il abandonne du jour au lendemain son poste d'enseignant et se lance sur les chemins comme un vagabond et rejoint les autres naufragés de la vie qu'il rencontre.
Le lecteur accroche dès les premières pages, intrigué par le personnage d'Adem qui décide de quitter une vie confortable pour une vie d'aventure sans aucun point de chute, ni objectif sauf celui d'oublier sa vie conjugale et sa vie d'enseignant. Depuis le départ de son épouse, le chaos s'est installé dans son esprit et essaye de comprendre – bien malgré lui - le désir de sa femme de vivre une autre vie, d'être tombée amoureuse d'un autre que lui, d'être libre de faire ce qui lui plaît, de partir. La douleur de l'abandon est si profonde qu'Adem fui et se transforme en vagabond. S'ensuit une vie d'errance tout en recherchant la solitude, fuyant toutes mains tendues. Sa route tortueuse est jalonnée de personnages abimés par la vie et pourtant bienveillants.
En s'éloignant de la ville, l'errant retrouve peu à peu le bon sens. Quelques marginaux rencontrés parviennent – non sans peine – à établir une relation avec lui fondée sur la discussion et l'échange. Les dialogues sont donc omniprésents dans la narration.
Sa rencontre la plus marquante - tout du moins pour le lecteur - est assurément celle avec le personnage de Mika, un nain au physique disgracieux, mais qui par sa force de caractère et sa générosité envers Adem, joue le rôle d'un ange gardien, d'un sauveur, d'un bienfaiteur dans un monde de vilenie, de méchanceté, de trahison et de roublardise. Enfant rejeté par son père dès sa naissance, puis par sa mère, à cause de sa laideur et de son nanisme, il ne sombre pas dans la revanche et ne se lamente pas sur son sort. Il aime la nature, les gens. La bonté même. En croisant la route de la vie cabossée d'Adem, il devient son protecteur jusqu'à la fin du récit, fort en émotions.
À travers ce duo insolite,
Yasmina Khadra imagine un Don Quichotte et un
Pablo Sanchez des temps modernes. Deux personnages emblématiques qui errent à travers les campagnes d'une
Algérie qui vient de se libérer du colonialisme. L'histoire se déroule en effet dans une période que
l'écrivain franco-
algérien n'avait pas explorée littérairement jusque-là ; celle d'une
Algérie nouvellement indépendante. le récit se déroule en 1963, une année charnière, entre deux mondes, celui de la colonisation et celui de l'indépendance. Même si cette période historique n'est pas le sujet premier du roman, le romancier intègre de manière subtile des faits spécifiques à cette époque (avec notamment la rencontre du couple de Hadda et Mekki).
Une fiction habilement menée, oscillant entre le roman d'aventures et le conte philosophique. Sublimée par une plume empreinte de poésie – comme toujours avec
Yasmina Khadra - la trame psychologique se densifie tout au long du roman et les pensées les plus intimes alimentent une intrigue riche en références historiques et philosophiques.
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