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EAN : 9782260054535
256 pages
Julliard (20/08/2020)
3.48/5   516 notes
Résumé :
Lorsqu’une femme claque la porte et s’en va, elle emporte le monde avec elle. Adem Naït-Gacem l’apprend à ses dépens. Ne supportant pas le vide laissé par le départ de son épouse, l’instituteur abandonne ses élèves et, tel un don Quichotte des temps modernes, livré aux vents contraires de l’errance, quitte tout pour partir sur les chemins.
Des rencontres providentielles jalonnent sa route : nain en quête d’affection, musicien aveugle au chant prophétique, vi... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (96) Voir plus Ajouter une critique
3,48

sur 516 notes
La superbe plume de Yasmina Khadra épice sa description de l'Algérie, en 1963, au lendemain de l'indépendance, quand la nomenklatura du FLN met la main sur toutes les richesses du pays et impose sa dictature.

Mais la narration de la déchéance d'Adem Naït-Gacem est déprimante et j'avoue avoir toujours de l'inconfort avec les romans dont le héros est antipathique.

Abandonné par son épouse Dalal, lassée d'un époux aussi exaspérant, notre instituteur sombre dans l'alcoolisme, devient SDF, et part à l'aventure en conservant son port altier, sa morgue méprisante et une misanthropie affligeante qui l'écarte notamment de Mika, nain d'une géante générosité.

Puis Adem est recueilli par un couple de paysans dont l'époux a sauté sur une mine qui l'a gravement mutilé, et qui est harcelé par le préfet local qui rêve voler leur propriété. Adem s'active pour défendre les droits de cette famille et est alors torturé par les nervis du régime, ce qui est tout à son honneur. Mais, victime de ses propres démons, Adem, dès sa libération, se retourne contre ses protégés …

Glauque et désespérant, malgré une écriture classique et magnifique, ce roman m'a donc déçu et va rejoindre rapidement tous mes oublis.
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Avec le sel de tous les oublis, ce qui me touche le plus c'est cette écriture si particulière de Yasmina Khadra , son empathie pour ses personnages, cette alternance de noirceur et de poésie qui fait partie du charme de son style.
Après s'être fait quitter par sa femme, Adem Naït-Gacem part sur les routes et rejette la société. Il va sombrer dans l'alcoolisme, se retrouver à l'asile psychiatrique. Il est en colère et ne veut pas oublier, il va devenir sombre, négatif, se complaire dans sa souffrance jusqu'au jour ou il éprouve une certaine attirance pour une autre femme mais il sera emporté par sa noirceur et seul le sel de l'oubli l'en délivrera.
C'est un excellent roman avec un magnifique personnage : Mika qui aurait toutes les raisons de haïr le monde et pourtant à décidé de profiter de la vie.
C'est aussi un éloge de la simplicité, en ville les laissés pour compte sont rejetés ou enfermés dans des hôpitaux psychiatriques alors qu'à la campagne, les gens font preuve de bienveillance, de compréhension, essaient d'aider même si Adem préfère rester enfermé dans son malheur mais peut-être le départ de sa femme n'est-il pas la seule raison ?
Yasmina Khadra nous livre le portrait d'un homme qui malgré son éducation, son savoir n'éprouve aucune gratitude envers ceux qui l'aident et se montre même impoli, agressif.
Ce livre est une réflexion sur notre propension à accepter les épreuves et notre volonté de nous en sortir où pas.
Merci aux éditions Julliard pour leur confiance.
#Le sel de tous les oublis #NetGalleyFrance
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C'est avec ce que l'auteur lui-même appelle la Trilogie du malentendu, qui regroupe "Les hirondelles de Kaboul", "L'attentat" et "Les sirènes de Bagdad", que j'ai découvert la plume de Yasmina Khadra. Je savais que je reviendrai vers lui un de ces jours, sans m'être pour autant arrêtée sur un autre de ses livres en particulier, sans vraiment savoir lequel des trois ou quatre livres que je m'étais noté je lirai en premier. Ce ne sera aucun de ceux-là finalement, mais "Le sel de tous les oublis" qu'on vient de me prêter.

Et si la lecture se veut facile dans son ensemble, je n'ai malheureusement pas été embarquée dans ce roman. Sans avoir passé un désagréable moment, je n'ai en revanche rien ressenti de particulier et eu aucune empathie pour le personnage principal.

Les événements se déroulent en Algérie dans les années 1960, alors qu'elle vient tout juste d'accéder à son indépendance. Nous y suivons Adem, que sa femme vient de quitter pour un autre. Pour Adem, c'est tout son monde qui s'écroule. Et il quitte tout, sa maison, son emploi d'instituteur, et part sans vraiment savoir où, sans but aucun. Au fil de son errance, il fait quelques rencontres et se retrouve à des endroits qu'il n'aurait pas soupçonnés ou imaginés tels qu'ils se sont présentés à lui. À l'alcool, ce sont les anxiolytiques qui le remplaceront. de sa femme, il finira par comprendre son choix quand il rencontrera Hadda. Mais avant d'en arriver là, Adem aura vu du pays, et fait des rencontres, dont une déterminante.

Adem nous est présenté comme un homme taiseux, souvent quelque peu abrupt, socialement maladroit, qui traîne sa mélancolie partout avec lui et qui peut facilement partir à la dérive. Plus j'ai appris à le connaître et plus ce personnage m'a semblé antipathique. Il a pourtant de bons côtés puisqu'il a su mettre son instruction au service d'autrui, et aider et défendre une famille contre l'injustice. Mais au-delà de ça, je l'ai trouvé légèrement tête à claque, borné, peu reconnaissant envers ceux qui l'ont aidé. Impossible pour moi de m'attacher à un tel individu.

Et parce que tout se concentre sur Adem et ses pérégrinations, le contexte historique en est totalement délaissé. On y retrouve bien une atmosphère particulière reflétant les changements induits par l'Algérie nouvellement indépendante, par les souvenirs et blessures de guerre. Mais le contexte est en fait juste là pour servir de décor et d'ambiance à l'errance d'Adem, sans détails et précisions sur les faits historiques, laissant ainsi toute la place à Adem lui-même et son pèlerinage. Et mon problème vient de là : parce que je n'ai pas réussi à ressentir quoi que que ce soit pour Adem, qui m'a laissée de marbre du début à la fin, j'aurais voulu pouvoir m'accrocher à autre chose et je n'avais malheureusement rien d'autre sur quoi m'accrocher justement.

La seule chose qui m'a motivée à poursuivre ma lecture, en dehors du petit nombre de pages, c'est la belle plume de l'auteur que j'ai eu plaisir à retrouver : toujours aussi élaborée et élégante, pleine d'éloquence, un peu poétique également et enchanteresse.
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Les errances de l'instituteur

Yasmina Khadra nous offre avec «Le sel de tous les oublis» une version algérienne de «Sur la route» en mettant en scène un instituteur quitté par sa femme et qui décide de fuir son village et son métier d'instituteur.

Quand Adem Naït Gacem rentre chez lui et découvre la valise préparée par sa Dalal, son épouse, il comprend que sa vie est en train de basculer. Elle en aime un autre et part le rejoindre. le choc est rude pour l'instituteur qui ne s'imagine pas pouvoir continuer à vivre dans ce village dans l'arrière-pays de Blida. À son tour, il rassemble quelques affaires et s'en va, sans but précis, sans projet, triste et honteux. Ce faisant, il fait pourtant preuve de courage. Car nous sommes en mai 1963, dans une Algérie qui n'a pas fini de panser les plaies de la Guerre et où sévit encore une discrimination forte vis à vis de la femme. À cette époque, la grande majorité des hommes ne comprend d'ailleurs pas sa position, à l'image du charretier qui accepte de le transporter et pour lequel sa décision est totalement incompréhensible.
Adem va alors tomber de Charybde en Scylla, ne trouvant aucun réconfort auprès de ceux qui vont croiser sa route, même ceux qui lui tendent ostensiblement la main.
Le garçon de café de Blida aimerait le remettre dans le droit chemin en lui inculquant une philosophie de la vie plus optimiste, mais pour toute réponse il trouvera une misanthropie croissante et un besoin de solitude. Alors il poursuit sa route vers un endroit où il n'aura «pas besoin de sourire lorsqu'il n'en a pas envie, ou de dire bonjour tous les matins à des gens qui l'insupportent ou bien encore de faire confiance à des êtres qui n'en sont pas dignes.» Il est perdu, malheureux et veut être oublié. Sans doute parce qu'il s'oublie lui-même.
Tout au long de ses pérégrinations, il va se trouver confronté à quelques archétypes de la société de l'époque, ce qui lui permet de dresser un portrait saisissant de l'Algérie postindépendance. Un épicier, le directeur de centre psychiatrique dans lequel il finit par atterrir et avec lequel il parle littérature, un militaire, Mika, un nain qui se cache pour le plus être à nouveau rejeté, et qui va devenir son ange gardien, un couple de fermiers, Mekki et Hadda pour lesquels il va accepter de rédiger un courrier à l'attention de Ben Bella parce qu'ils sont menacés d'expulsion par un commissaire politique, Ramdane Barra, qui veut les expulser et leur prendre leur terre, sans oublier Slim et Arezki, qui lui rappellent Lennie et George, les personnages de Des souris et des hommes et John Steinbeck.
Les souvenirs de lecture sont d'ailleurs pour l'instituteur un moyen de rester debout, de tenir. En convoquant tour à tour Frantz Fanon, Mohammed Dib, Sennac, Pouchkine, Moufdi Zakaria, ou encore le Gogol des Âmes mortes, il nous présente des personnages qui comme lui et ses interlocuteurs sont tous habités de fantômes, meurtris par une Guerre qui n'a pas fini de cicatriser ses plaies – «Nos têtes sont pleines de vacarme, nos poumons de baroud, nos consciences de traumatismes» – par un amour qui s'est enfui, par une administration qui entend les écraser.
Et c'est alors qu'il touche le fond que l'espoir renaît: «Lorsqu'il n'y aura pas une goutte d'eau au fond des abysses, lorsqu'il n'y aura que des rochers embrumés au milieu du corail et du sable brûlant, lorsque tout sera blanc devant nous, nous retrousserons nos pantalons par-dessus nos genoux et nous marcherons sur le sel de tous les oublis jusqu'au bout de toute chose en ce monde.»


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Dans une Algérie indépendante, libérée du colonialisme, une Algérie qui panse ses plaies et qui cherche son identité, Adem instituteur est abandonné par sa femme.
Brisé, déboussolé, son choix n'est pas celui d'affronter, mais, de partir, de fuir ce qui lui échappe, de chercher la solitude, et de se précipiter même vers sa destruction. En ce sens, Adem se comporte en antihéros, il se laisse balloter au gré de ces rencontres et reste un personnage ombrageux, taciturne et grossier. Pourtant, il croise dans ses pérégrinations des éclopés de la vie, des personnages lumineux, attentifs, bons et bienveillants… On espère que cet homme antipathique et désagréable va s'ouvrir aux autres, remercier, sourire enfin ! Que nenni !
Je n'ai pas aimé la première partie cet antihéros m'a agacée. La deuxième partie est plus fouillée plus profonde, à mon avis, car nous n'assistons pas seulement à l'errance d'Adem mais Yasmina Khadra nous parle par petites touches des méfaits la guerre d'indépendance, de la condition féminine dans une société très religieuse et de la pénible construction économique, sociale et culturelle du pays. Et, nous espérons toujours la résilience d'Adem… !
Je reste très mitigée, un peu sur ma faim, dommage…
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critiques presse (6)
LeJournaldeQuebec
21 décembre 2020
Yasmina Khadra invite ses lecteurs à l'accompagner au coeur de l'Algérie des années 50, pour suivre un homme dévasté par le départ de son épouse.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
LaPresse
14 décembre 2020
Le 23e roman de Yasmina Khadra, Le sel de tous les oublis, n'échappe pas à la saveur des livres précédents de l'auteur algérien, à savoir sa signature universelle et humaine.
Lire la critique sur le site : LaPresse
LeSoir
12 octobre 2020
Avec l'antihéros du «Sel de tous les oublis», Yasmina Khadra dissèque le désir de possession, le besoin de se débarrasser de nos obsessions et la place de la femme dans la société.
Lire la critique sur le site : LeSoir
LaCroix
28 septembre 2020
De l’histoire d’un instituteur quitté par sa femme, Yasmina Khadra conte les pérégrinations d’un homme perdu pour les autres et pour lui-même.
Lire la critique sur le site : LaCroix
LaLibreBelgique
23 septembre 2020
Le roman de l’écrivain algérien raconte l’errance d’Adem et ses rencontres qui peuvent réenchanter sa vie.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
LePoint
16 septembre 2020
Le Sel de tous les oublis est une fiction accomplie qui confirme l'art de raconter des histoires de Yasmina Khadra qui transporte l'imaginaire du lecteur par le conte, la poésie, le réalisme des plus crus et des scènes les plus osées, rares dans la littérature d'Algérie. Un roman qui dépeint la vie et ses aléas dans une Algérie à l'aube de tous les espoirs.
Lire la critique sur le site : LePoint
Citations et extraits (200) Voir plus Ajouter une citation
INCIPIT
— Voilà toute l’histoire.
Elle se tut.
Comme un vent qui s’arrête subitement de souffler dans les arbres.
Mais Adem Naït-Gacem continuait d’entendre la voix de sa femme qui cognait sourdement à ses tempes, tel un pendule contre un rempart. Pourtant, tout venait de s’évanouir autour d’eux : le jappement des chiens, la brise empêtrée dans les plis du rideau, le crissement d’une charrette en train de s’éloigner.
Puis le silence.
Le terrible silence qui s’abat lorsque l’on réalise l’ampleur des dégâts.
Pendant longtemps, Adem demeura assommé. Le souffle coupé. Le cœur dans une tenaille. Il avait écouté Dalal du début à la fin. Sans l’interrompre une seule fois. Qu’en avait-il retenu ? Quelques bribes qui déflagraient en lui, lointaines et confuses, deux ou trois mots insoutenables que son esprit rejetait comme des corps étrangers.
Il se prit la tête à deux mains, ne sachant quoi faire d’autre. C’était sans doute le déballage auquel il s’attendait le moins. Comment croire à un aveu qui l’excluait et le concernait à la fois ?
Les larmes ruisselaient sur les joues de la femme, s’égouttaient de son menton, suintaient en taches grisâtres sur son corsage. Dalal ne les essuya pas. Elle était déjà ailleurs, les yeux rivés à la valise en carton qui confirmait le désastre.
— Que me sors-tu là, Dalal ?
— Je suis désolée.
D’un coup, Adem constata qu’il n’y avait plus rien à sauver. Son bras s’emporta de lui-même et sa main s’abattit si fort que Dalal manqua de tomber à la renverse.
Le visage projeté en arrière, un filament de sang sur la lèvre, Dalal refit face à son mari, les yeux obstinément fixés sur la valise.
Adem considéra sa paume meurtrie, étonné par la portée de son geste. Il n’avait jamais levé la main sur une femme, avant.
— Ça n’a pas de sens.
— Je sais, soupira-t-elle.
— Non, tu ne sais pas. Tu ne peux pas savoir, autrement nous n’en serions pas là.
Il essaya de lui prendre les poignets, comme il le faisait parfois pour la rassurer ou la calmer. Elle se recula.
— Est-ce que j’ai commis une faute envers toi ?
— Ce n’est pas ça.
— Alors, quoi ?
Le cri la transperça de part en part. Elle rentra le cou, redoutant une autre gifle.
— Je suis ton époux. J’ai le droit de savoir.
En vérité, Adem ne tenait pas à savoir quoi que ce soit. Cela ne ferait qu’enfieller les choses. Le miroir venait de se briser. Aucun argument ne minimiserait le drame. Certaines blessures atteignent la plénitude du malheur dès lors que l’on cherche à comprendre pourquoi ce qui a importé plus que tout au monde doit cesser de compter.
— Explique-toi… Explique-moi.
Qu’attendait-il de plus ? Dalal avait dit ce qu’elle avait à dire. Il n’y avait rien à ajouter, rien à rectifier. C’était lui qui refusait de se résoudre au fait accompli. Ses accès de colère n’étaient que de pitoyables sursauts d’orgueil.
— Que s’est-il passé ? Pourquoi maintenant ?
Ce fut tout ce qu’il lui vint à l’esprit pour sauver la face : des questions misérables, tellement tristes et stupides qu’aucune réponse ne pourrait les soulager de leur frustration.
Rien, dans leur vie à deux, lui semblait-il, ne laissait prévoir une telle issue.
De retour de son travail, Adem avait trouvé une valise à côté d’un petit sac à main dans le vestibule. Le soir était tombé ; on n’avait pas allumé dans le couloir ni dans la cuisine. La porte de la chambre à coucher était grande ouverte sur Dalal assise sur le rebord du lit.
À la pâleur de son épouse, Adem avait pensé que quelque chose était arrivé à sa belle-mère, clouée au lit depuis une décennie des suites d’un accident vasculaire cérébral. Il se trompait.
— C’est ridicule, voyons. Tu es une femme mariée, responsable, adulte. Tu ne peux pas te permettre des écarts de conduite de cette nature.
Dalal joignit les mains entre les cuisses, les épaules contractées. Adem avait envie de la gifler encore et encore, de la cogner jusqu’à en avoir le poing en bouillie, de renverser le matelas sur lequel elle était assise, d’arracher les tentures, de mettre le feu à la maison… Il avait surtout envie que sa femme prenne conscience du chaos qu’elle s’apprêtait à provoquer.
— Je suis navrée. Sincèrement.
— Mais enfin, regarde-toi. Tu as complètement perdu la tête.
— L’avais-je jamais eue ?
Le bras d’Adem se leva de nouveau. Cette fois, Dalal ne chercha pas à se protéger, la joue exposée à toutes les foudres du ciel.
— Tu me poignardes dans le dos depuis combien de temps ?
— …
— Tu as couché avec lui ?
— Non…
— Non ?
— Une seule fois, il a essayé de m’embrasser. Je lui ai dit que je n’étais pas prête.
— Et tu veux m’attendrir avec ça ?
— C’est la vérité.
— Et quelle est la mienne ? Qu’ai-je été pour toi pendant toutes ces années ?
— Ça n’a rien à voir avec toi.
— Dans ce cas, où est le problème ?
— Je l’ignore. Il est des choses qui arrivent et qui nous dépassent.
Elle hissa enfin les yeux sur son mari ; des yeux immenses qui faisaient rêver Adem naguère et qui lui paraissaient désormais aussi insondables que l’abîme.
— Tu ne peux pas savoir combien je regrette le mal que je te fais.
— Tu n’es pas obligée.
— C’est plus fort que moi, confessa-t-elle, la voix ravagée de trémolos. J’ai essayé, je le jure. J’ai essayé de ne plus le revoir. Je me promettais, chaque fois que je rentrais à la maison, de laisser cette histoire dehors. Et au matin, je me surprenais à courir le rejoindre.
Le coup de grâce. Adem était anéanti. Tout lui parut dérisoire : les larmes de sa femme, les serments, les sacrilèges, les trahisons, les mots, les cris…
— Est-ce que je le connais ?
Elle fit non de la tête. Imperceptiblement.
— Il est du village ?
— Non.
— Il s’appelle comment ?
— Quelle importance ?
— C’est important pour moi.
— Ça changerait quoi ?
— Parce que tu trouves que rien ne va changer ? Tu me balances ton vomi à la figure, sans préavis, et tu crois que demain sera pareil aux jours d’avant ? Tu me prends pour qui ? Pour une branche qu’on écarte pour poursuivre son chemin comme si de rien n’était ? Je suis de chair et de sang. Tu n’as pas le droit de me faire ça. Je suis ton mari. Et tu es mon épouse. Il y a un contrat moral auquel on ne déroge pas, des limites que nous ne sommes pas autorisés à franchir. Reprends-toi, bon sang. Dis-moi que tu me fais marcher, que tu ne penses pas un mot de ce que tu racontes.
— Je suis navrée.
Elle attendit la réaction de son mari. N’importe laquelle. Inébranlable et stoïque.
Adem ne voyait pas ce qu’il était possible de réparer. Il est des turpitudes que l’on ne soupçonne pas, des faillites que l’on ne surmonte pas, des prières aussi atroces que les peines perdues. Sa femme avait décidé de le quitter, aucun recours ne semblait en mesure de l’en dissuader. Tout venait de se figer dans la chambre : l’air, la colère, la souffrance, l’indignation. N’en subsistait, en guise de déni, que l’hébétude grandissante en train de le démailler fibre par fibre.
L’ampoule au-dessus d’eux se mit à clignoter avant de griller. Il fit noir dans la maison, noir dans les cœurs, noir dans les pensées. Adem ne percevait que son souffle en train de s’appauvrir tandis que l’obscurité s’alliait au silence pour faire diversion.
Puis Dalal se leva tel un esprit frappeur, empoigna la valise et le sac à main dans le vestibule et sortit de la vie de son mari.
Adem chercha un sens à son malheur, ne lui en trouva aucun. Il resta longtemps effondré, la tête entre les mains, à espérer que Dalal se ressaisisse et lui revienne. Un moment, il avait pensé courir la rattraper, mais il avait craint de se couvrir de ridicule. Le dernier autocar pour Blida était parti depuis des heures et aucun train n’était prévu à la gare.
La porte de la maison demeura ouverte sur la nuit. Adem n’eut ni le courage ni la force de la refermer.
Lorsque l’évidence vous met au pied du mur et que l’on s’évertue à chercher dans l’indignation de quoi se voiler la face, on ne se pose pas les bonnes questions, on triche avec soi-même.
Adem se traîna jusqu’à la cuisine plongée dans le noir. Il n’alluma pas. Peut-être s’estimait-il moins exposé dans l’hypothétique refuge que lui concédait l’obscurité. À tâtons, il finit par mettre la main sur une bouteille de vin.
Après avoir bu sa peine jusqu’à plus soif et râlé sans parvenir à expurger la moindre des toxines qui ravageaient son être, il se mit à arpenter le couloir et les pièces.
Ensuite, il s’écroula quelque part et, ivre de l’ensemble des misères de la terre, il pleura toutes les larmes de son corps.
Sa sœur aînée, qui habitait à l’autre bout du village et qui passait le voir par hasard après avoir fait son marché dans le quartier, le trouva couché sur le lit, chaussures aux pieds, un oreiller sur la figure.
Elle posa son panier par terre, jeta un coup d’œil aux alentours, remarqua que les étagères de l’armoire étaient presque vides.
— Elle l’a finalement fait, soupira-t-elle.
— Tu étais au courant ?
— Mon fils les avait vus derrière la gare, il y a quelques jours.
Adem se découvrit. D’un geste hargneux. Le masque froissé qui lui servait de visage ressemblait à un morceau de ruine.
— Et tu ne m’as rien dit.
— Je pensais pouvoir la raisonner.
— La raisonner ?
— Je l’avais mise en garde. Elle m’a dit que ça n’avait rien de sérieux, que c’était juste un ami d’enfance qu’elle avait connu du temps où sa mère travaillait chez les Gautier. Elle m’a juré de ne plus le revoir.
— Sauf qu’elle l’a revu.
La sœur s’assit lourdement sur le banc près du lit, en se triturant les doigts de gêne. Sa main tenta d’atteindre l’épaule de son frère ; Adem l’esquiva. Il ne supportait pas qu’on le touche. Il avait l’impression d’être une fracture ouverte.
— Ce n’est qu’une femme, Adem. Une de perdue, dix n’attendent qu’un signe de toi pour la remplacer, dit-elle pour tenter de le réconforter.
— Elle m’a fait mal.
— Ce sont les choses de la vie. Tu dois faire avec.
— Pourquoi moi ?
— Pourquoi veux-tu que ça n’arrive qu’aux autres ?
— Qu’ai-je à voir avec les autres, bon sang de bon D
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Peut-être qu'on ne se reverra plus. J’ignore quel type tu es, si tu te souviendras de moi ou pas. Je ne sais pas pourquoi tu te caches derrière ton ombre, ni qui tu fuis ni ce que tu pourchasses. Ce n'est pas mon problème, c'est le tien. Moi, je crois dans la bonté et dans l’amitié. C'est vrai, je me suis fait truander par pas mal d’énergumènes que j’ai nourris et hébergés, mais je ne renoncerai pas à ce que j'estime être la plus noble des vocations : être utile aux autres. Si mes obligés me rendent la pareille, tant mieux ; s'ils me mordent la main ou s'ils me font un bras d'honneur en guise de signe d'adieu, tant pis. L’essentiel est de continuer de croire dans la générosité des cœurs et de l'esprit.

Adem leva la main pour mettre fin à une discussion qui commençait à l'horripiler au plus haut degré à cause de son caractère moralisant.
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⁃ Vous devriez regagner votre lingerie, monsieur.

⁃ Ne me prends pas de haut, mon gars. Si j'ai fini dans ce mouroir, c'est à cause de mon érudition. Lorsque tu développes une théorie qui n'est pas conforme à l'abêtissement en vigueur, on t’encamisole. C'est ce qui m'est arrivé. J'ai passé des mois au pavillon A. Eh oui, il y a des nations qui construisent des panthéons pour leurs génies, et d'autres qui les vouent aux gémonies.

Il parlait comme s'il récitait un texte qu'il connaissait par cœur sans en saisir le sens.

Adem pensa retourner dans sa chambre, mais il faisait si beau qu'à choisir entre un enquiquineur et l'ombre de l'arbre, il accepta les deux.
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Appuyé sur une béquille, Adem sortit de l’infirmerie pour aller prendre le frais dans un bout de jardin. La journée était belle, avec un soleil colossal punaisé au milieu du ciel. L’odeur des feuillages se joignait aux pépiements des oiseaux pour apaiser les âmes. Un contingent d’hirondelles dentelait les câbles des poteaux électriques. De loin provenait le crachotement d'un autocar. Adem ferma les yeux et s'abandonna à une sorte de quiétude intérieure. Par moments, une douleur fusait ça et là à travers ses chairs, mais l'ombre de l'arbre, au pied duquel il se reposait, semblait en résorber les effets.
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– Et que ferons nous lorsque la mer sera totalement asséchée Adem?
– Ce que tu voudras Mika, ce que tu voudras.
– Eh bien je vais te dire ce que nous ferons une fois que la mer sera asséchée… Lorsqu’il n’y aura pas une goutte d’eau au fond des abysses, lorsqu’il n’y aura que des rochers embrumés au milieu du corail et du sable brûlant, lorsque tout sera blanc devant nous, nous retrousserons nos pantalons par-dessus nos genoux et nous marcherons sur le sel de tous les oublis jusqu’au bout de toute chose en ce monde. p.220-221
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Vidéo de Yasmina Khadra
Yasmina Khadra est l'écrivain algérien le plus lu au monde.
Il a passé 36 ans dans l'armée, et a notamment lutté contre les groupes islamistes pendant les années 1990. Parallèlement, son premier livre est paru dès le début des années 1980, sous son vrai nom. Mais pour échapper à la censure militaire, il a finalement décidé d'écrire dans la clandestinité, sous pseudonyme, dès 1997. C'est ainsi que Yasmina Khadra est né, en empruntant deux des prénoms de son épouse. Il est l'auteur de nombreux romans, qui ont conquis des millions de lecteurs dans le monde entier. Portés par son talent de conteur, plaçant le sujet humain au premier plan, ils racontent aussi notre monde, ses dérives et ses espoirs. Parmi ceux-ci, "Ce que le jour doit à la nuit", "L'Attentat" ou encore "Les Hirondelles de Kaboul". Plusieurs de ses livres ont aussi été adaptés au théâtre, au cinéma, en bande dessinée.
Au cours de cette rencontre, Yasmina Khadra nous parle de son nouveau roman qui vient de paraître en poche aux éditions Pocket, "Les Vertueux", un livre au souffle narratif puissant, qui nous fait aussi découvrir tout un pan de l'histoire algérienne oublié et pourtant fondateur.
Pour retrouver son livre, c'est ici : https://www.librairiedialogues.fr/livre/22541521-les-vertueux-yasmina-khadra-pocket
Et pour nous suivre, c'est là : INSTA : https://www.instagram.com/librairie.dialogues FACEBOOK : https://www.facebook.com/librairie.dialogues/?locale=fr_FR TWITTER : https://twitter.com/Dialogues
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