Un très bel ouvrage dans la veine des grands romans du 19 eme siècle.
Le lecteur est mis en présence de deux personnages centraux, Kevin et Arthur, le 1er transfuge de classe, le second fils d'avocat. Les deux se rencontrent à Agro Paris Tech (sur le plateau de Saclay dont la description est très fidèle à sa laideur urbanistique) lors d'un cours sur les lombrics. Leur amitié est immédiate, soudaine.
Arthur choisit, à l'issue de ses études, d' investir la maison du grand-père décédé, située en suisse normande, y cultiver quelques hectares et avant tout purger les terres de décennies d'intrants et pesticides. Il embarque dans cette aventure, Anne, dont l'idée romantique d'un retour à la vie campagnarde n'est pas pour lui déplaire même si elle déchante vite au vu des ennuis qu'ils y accumuleront. L'épisode de l'inspectrice du RSA, fidèle soldat de la bureaucratie, vaut son pesant..D'ailleurs le personnage ressurgit sur les barricades en fin de roman.
Kevin, quant à lui, est ferré par Philippine-femme vénale- flairant dans le gaillard limousin belle gueule, sa capacité à devenir une machine à millions avec son idée de lombricomposteur.
Une dizaine d'adjuvants apparaissent au fil des pages et dynamisent le récit.
Les longues descriptions sont très intéressantes car elles sont comme une loupe posée sur un espace (géographique, urbain, sociologique, politique, culturel, privé etc.. ) de notre société. Par ailleurs elles sont extrêmement bien écrites. Koenig chasse l'ennui du lecteur partout où il pourrait s'installer.
Nos deux personnages vont se perdre, leur amitié ne survivra pas puisque sacrifiée sur l'autel des trahisons (politiques, idéologiques, amoureuses....) mais ils vont aussi sombrer individuellement, l'un dans le scandale financier, trahit par tous et lâché comme une fiente tombant d'un gratte-ciel, l'autre dans les mouvements possiblement totalitaires de la rébellion. Contre toute attente ils se retrouvent in extremis, juste le temps de se lancer quelques mots, rongés et rompus par leurs engagements et désillusions.... Sur la ligne d' arrivée ils sont aussi nus que des vers.
L'ouvrage est vertigineux, le scénario est rondement bien mené.
Les personnages sont à peine caricaturaux, j'ose imaginer que Koenig a croisé dans la vraie vie certains des personnages. Certains lieux aussi tel que Bercy (déjà mis à l'honneur par
Houellebecq dans son dernier roman).
Ce roman m'a confirmé une impression: je me sens totalement has been-et heureuse de l'être- car totalement inapte à servir les nouveaux seigneurs ... aussi bien les intégristes de l'écologie que ceux de la bureaucratie et des finances! J'appartiens à la génération y, le monde des z et des alpha me dépasse complètement. En effet, comme le dit Koenig en fin de roman, l'époque des "rebelles" faucheurs d'ogm issus du Larzac, qu'on taxait de violents, est totalement dépassée.... on a basculé dans le terrorisme organisé en quelques années, à tous les bouts de la chaîne (violences politique, policière, violence du capital, violence des mouvements de résistance etc...) . Et nous voici pour la énième fois devant le paradoxe de l'oeuf et de la poule sur lequel
Aristote planchait déjà il y plus de 2000 ans.
Comment donc se sortir le derrière des ronces ? La question est entière lorsqu'on referme le roman de 380 pages, puisque la littérature sert à cela: interroger plutôt qu'asséner des vérités.
Bref, on ressort de cette lecture instruit par un scanner de notre pauvre société et un peu moins pessimiste qu'à la mitan du roman. Nous voilà bien embarqués en 2024... On imagine les luttes humaines passer comme une caravane, mère Nature remportant la partie, sans volonté de gagner quoi que ce soit et sans culpabilité.