« Ver de terre, d'abord, ce n'est pas très gentil comme nom, c'est fait pour blesser ».
«
Humus » de
Gaspard Koenig est un roman finement politique, d'ombre et de lumière. Engagé, profondément humain, sociétal et écologique, il a tout pour lui.
Deux jeunes étudiants dans la prestigieuse école AgroParisTeck se lient d'amitié. Ils sont dans l'épicentre d'un enseignement qui fera d'eux les acteurs de notre monde. le symbole des ténacités, des épreuves. Un ballon de baudruche qui va se dégonfler au fil des pages.
Ils pressentent l'enjeu, le poids sur leurs épaules des diktats sociologiques. Ils sont dans cette orée d'apprentissage à la vie.
Le récit est un cahier du jour. Maîtrisé à l'extrême, il rassemble l'épars idéologique. Pointe du doigt, là où ça fait mal. Les déceptions face à la prise de risque d'un enseignement qui formate les étudiants (es). Ils ont leur libre-arbitre, la liberté de conscience malgré tout. La jeunesse est pour un atout.
Kévin et Gaspard, si opposés socialement et pourtant «
Humus » réussi son pari. Judicieusement
Gaspard Koenig brouille les cartes et avance les pions. Échec et mat !
Nous sommes dans le tremblant même de l'expérience. Gaspard et Kévin deviennent des emblèmes.
Ils ont une passion commune, le même attrait pour les lombrics. Métaphore quand tu nous tiens !
« Géodrilologie : la science des vers de terre. Il était déjà intrigué par le conférencier. Sa cravate à pois était retenue par une pince en argent. Les vers de terre avaient leur
Jean Gabin ».
« Ils ont dû en tuer des vers de terre, pour construire ce campus ! ».
« Au fond, la reproduction du ver de terre, c'est du sexe homo suivi par une PMA entre filles ».
Arthur est issu du monde bourgeois. Kévin est fils d'agriculteurs. Il sait qu'il devra jouer des coudes au milieu de ces étudiants (es), tous, issus d'une classe sociale supérieure.
Nous sommes au coeur des clivages sociétaux, la représentation même d'une société à deux vitesses. On lui fera souvent remarquer. L'homme est un loup pour l'homme comme le dit si bien
Thomas Hobbes. le roman est judicieux, criblé d'adrénaline, de signaux et sans clichés. « Ce n'est pas un hasard si l'astrophysicien
Hubert Reeves explique que la disparition du ver de terre est au moins aussi préoccupante que la fonte des glaciers ».
« Qu'est-ce que l'Homme ? S'exclama Marcel Combe que plus rien ne pouvait arrêter. Étymologiquement, rien d'autre que de l'
Humus. Voilà pourquoi c'est l'
humus qui sauvera l'Homme ».
Ils vont propulser après leurs études, leurs convictions. Voie de traverse, ils seront séparés par l'ambition, le pouvoir et l'argent. L'
humus macrocosme, les vers de terre deviendront exploitables et exploités.
Arthur aime avoir de la terre sous les ongles, « maître de ses idées, sans devoir qui le transforme en croisade ou en plan de carrière ».
Kévin, futur ingénieur agronome qui s'est trouvé mêlé à l'élite grâce à ses bonnes notes. Mais ce milieu n'est pas le sien, et pourtant !
Ils confrontent leurs désirs. le monde qui vacille, l'utopie est une toile de maître. L'obsolescence programmé, la terre se meurt, trop de pesticides.
Pour Kévin, l'appât du gain, les expériences avec les lombrics. le profit passera par ce qu'il sait et qu'il met à l'épreuve. Bienvenue dans les diktats des start-ups, des levées de fond, et des duperies. Il affronte naïvement ce qu'il ne maîtrise pas ou peu encore. Il servira de bouc émissaire pour sa coéquipière absolument ingrate et manipulatrice.
Il fonce dans le décor, tête baissée.
Arthur sera dans la simplicité, dans un macrocosme où il touche la terre. Applique ses enseignements à la lettre. Poète, idéaliste, rêveur, le RSA lui convient. le spartiate et la fierté d'un travail opératif. Il en devient rustre, triste et déçu.
Que va-t-il se passer sur l'
humus de ce roman intrinsèque ? Tiré au cordeau, l'écologie au summum et les philosophies comme des quêtes existentielles.
Les hommes et les femmes qui gravitent dans cette histoire plausible sont la copie fidèle d'une société en quête de sens, d'épreuves et de combats.
«
Humus » est le lever de voile sur les amertumes, les échecs et l'émancipation à la vie.
C'est un roman serré comme un café fort, magnétique, pétri de rêves blessés. Les écorchures vives sans échappatoires. Mature et puissamment humain, il remet d'équerre l'écologie qui est et restera un devoir d'humanité.
En lice pour le prix Landerneau des Lecteurs 2023. Publié par les majeures Éditions de L'Observatoire.