Le vieil homme et la romancière
Nicole Krauss creuse le sillon de ses obsessions dans ce roman mettant en scène un juif américain et une romancière partis en Israël. Leurs histoires parallèles vont nous faire croiser, entre autres, les descendants du Roi David et
Franz Kafka.
Après avoir lu le nouveau roman de
Nicole Krauss me revient en mémoire l'entretien de
Camille Laurens et
Laure Adler sur France-Culture et cette affirmation de la romancière : «je pense comme
Marcel Proust qu'on écrit toujours le même livre, parce qu'on est hanté par quelques obsessions. Mais à chaque fois je cherche une forme différente, peut-être pour dire toujours la même chose… »
«
Forêt obscure » s'apparente en effet beaucoup à «
L'histoire de l'amour » qui a fait connaître l'Américaine en France. En y retrouve le travail sur la mémoire et le deuil, la judéité et la littérature.
Les chapitres, empilés à la manière d'un mille-feuille, nous offrent d'abord de suivre Jules Epstein en Israël où ce riche New-yorkais a disparu sans laisser de traces, puis de revenir sur son parcours avec ses enfants Lucie, Jonah et Maya qui tentent de trouver les indices susceptibles d'expliquer cette disparition. Entre-temps, on aura fait la connaissance de Nicole, écrivain de son état, qui a suivi le même chemin qu'Epstein et a aussi séjourné au Hilton de Tel-Aviv. L'hôtel peut du reste être considéré comme un personnage du livre, tant il y est présent, y compris en photo.
Pour lier les couches du mille-feuilles, on retrouve d'une part la quête d'Epstein sur l'identité juive, ponctuée par la rencontre avec un rabbin qui entend lui démonter qu'il est un descendant direct de David et d'autre part le travail d'écriture de Nicole, également marqué par une rencontre avec un professeur de littérature qui aurait retrouvé des manuscrits de
Franz Kafka.
Entremêlant les réflexions du vieil homme sur le sens de sa vie, la généalogie de David avec le portrait des enfants et petits-enfants d'Epstein, l'exégèse et les interprétations du rabbin avec des scènes de la vie quotidienne en Israël
Nicole Krauss essaie d'élaguer cette
forêt obscure, mais il faut bien reconnaître que son érudition et sa construction ne nous facilitent pas la tâche.
On peut certes choisir de se laisser emporter par les projets et les obsessions de cet homme. Par sa volonté farouche de vouloir laisser une trace, par exemple en faisant planter des hectares d'arbres dans le désert de cette terre promise. Alors son argent lui permettra peut-être de « prendre racine » dans ce pays et de s'assurer une postérité.
On pourra mettre en parallèle le destin de Kafka sur cette même terre et le choix de l'écrivain de se fondre dans la masse, de travailler dans un kibboutz, d'oublier la littérature. À l'image de ce contraste en noir et blanc choisi pour la couverture du livre, on comprend que la quête de la lumière à tout prix est sans doute la moins bonne voie pour laisser sa trace dans l'Histoire.
Un roman que je ne conseillerai qu'aux lecteurs passionnés par la thématique présentée ici tant sa lecture est exigeante.
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