Vous n'êtes sans doute pas prêt.e.s pour ce roman. En tout cas, moi, je ne l'étais pas. Je n'étais pas prête à dévorer les cent premières pages d'une traite, happée par une écriture d'une efficacité redoutable, avant de ralentir le rythme pour cause de malaise grandissant. Je n'étais pas préparée non plus pour ce malaise, pour ce que
Rebecca F. Kuang donne à voir du monde de l'édition, ses guerres intestines, ses jalousies et son racisme qui parfois s'ignore et parfois s'affiche de manière décomplexée. Je croyais être prête pour la dénonciation de l'appropriation culturelle et de la violence des réseaux sociaux, mais, en fait, non, il faut croire que je m'en protège plutôt bien malgré les témoignages que je peux lire ici ou là.
Mais, surtout, surtout, je n'étais pas prête à faire face à une narratrice non fiable que j'ai rapidement prise en grippe. En même temps, ça forcerait presque l'admiration, cette façon qu'elle a de justifier les décisions moralement discutables qu'elle prend, tout en s'enfonçant toujours un peu plus dans l'ignominie. Certains passages m'ont particulièrement marquée, notamment quand elle corrige le manuscrit qu'elle a volé et qu'elle ne se rend pas compte que les changements que lui demande son éditrice relèvent justement d'un point de vue typiquement blanc sur une histoire appartenant à une autre culture. C'est magistral, tout comme la fin, qui m'a laissée sans voix et qui m'a poussée à me repasser tout le livre dans ma tête pour le voir sous un autre angle.
Au final, je dirais que j'ai vécu une expérience de lecture inédite, à la fois puissante et inconfortable. Il m' a fallu du temps pour laisser décanter tout cela et vous livrer cette chronique.
Yellowface peut facilement se lire d'une traite, comme le thriller qu'il est, dans le fond, mais j'ai eu besoin de faire des pauses pour digérer la violence de certains passages et l'importance du propos sur les questions de racisme, d'appropriation culturelle et de diversité. Je ne doute pas que quand
Rebecca F. Kuang fait dire à un éditeur quelque chose comme « j'ai déjà une autrice asiatique, merci bien », c'est du vécu, comme si tout se résumait à des quotas, au mépris du talent. Ce qu'elle montre ici, c'est que notre monde n'est pas moins raciste qu'avant mais, maintenant qu'on en parle ouvertement, il s'en défend, ce que je trouve encore plus violent finalement pour les personnes racisées qui subissent ce système de plein fouet.
Alors, est-ce que je vous recommande de lire
Yellowface ? Oui, absolument, parce que j'adorerais en discuter avec vous. Est-ce que je vous promets que vous allez passer un moment agréable en compagnie de June ? Pas sûr, vu que je trouve que ça appuie un peu trop là où ça fait mal pour que ça soit une lecture confortable. Disons que, comme moi, vous n'en sortirez probablement pas indemnes. Maintenant, est-ce que ça m'a donné envie de me plonger dans
Babel, de la même autrice, qui attend dans ma PAL depuis quelques semaines ? Carrément !
Rebecca F. Kuang est extrêmement talentueuse et une écrivaine à suivre, c'est certain !
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