Daria est une créatrice de mode à succès qui, meurtrie par un échec amoureux, se consacre exclusivement à ses modèles. Elle fait preuve à l'égard de ses collaborateurs, d'une extrême générosité. Lui en a-t-on pour autant de la reconnaissance ? Pas le moins du monde. On prend pour faiblesse ce qui est bonté. Et on la gruge. On la vole. On dresse des embûches sur sa route. On complote dans l'ombre pour se substituer à elle. C'est un tableau sans complaisance que l'auteure nous dresse des travers de tous ces personnages qui s'agitent devant nous et interagissent entre eux. Pour la plupart, et selon les cas, autocentrés, avides, narcissiques, préoccupés de l'effet qu'ils produisent sur autrui ou imbus d'eux-mêmes, ils poursuivent obstinément des objectifs chimériques ou superficiels.
Le récit est fluide. Les péripéties s'enchaînent avec aisance. On se laisse porter avec plaisir de chapitre en chapitre. C'est pourquoi je me suis d'autant plus senti, pour ma part, parfois déstabilisé par les ruptures de rythme et de propos qui viennent de temps à autre le casser.
Ainsi, par exemple, de ce long chapitre consacré à tout un exposé ésotérico-philosophique, mis dans la bouche de
Daria. Que vient-il faire là ? Notre héroïne regrette parfois que sa vie soit parquée dans des limites strictement professionnelles. Elle veut, elle mérite autre chose. Et elle s'efforce de se tourner alors vers des valeurs « supérieures ». Sauf que celles qu'elle tente d'adopter là, et c'est sans doute ce que l'auteure a voulu nous faire toucher du doigt, ne sont pas celles qui lui correspondent à elle. D'où le discours pompeux et amphigourique qu'elle fait tenir à
Daria. Il fleure l'artificiel à plein nez. Et il lui faudra trouver ses solutions ailleurs.
Ainsi aussi de l'extrait, fort long, du journal maternel qui opère une remontée dans le temps, de génération en génération. Sans doute éclaire-t-il en partie la personnalité de
Daria, mais on en ressort un peu étourdi. On a le sentiment d'un travail préparatoire à l'écriture du roman qui aurait été arbitrairement plaqué là pour n'être pas perdu. Et on ne peut s'empêcher de se dire qu'il y aurait eu là largement matière à un autre récit. Ample. Dont on regrette d'être finalement privé.
Ainsi encore de l'interminable conversation entre personnages, tout à la fin de l'ouvrage, sur la Roumanie, son avenir et sa place dans l'Europe. Elle est certes passionnante. Elle nous offre des aperçus fort intéressants sur la façon dont les Roumains se perçoivent, mais a-t-elle vraiment sa place dans ce récit dont elle vient ébrécher le flux ?
Les « réserves » que j'émets là sont bien entendu toutes personnelles. Elles n'engagent que moi et ne prétendent en rien avoir valeur universelle. Il est vrai que, je l'avoue, lorsque je m'immerge dans un ouvrage, j'apprécie, pour ma part, d'être porté de bout en bout sans « parasites ». Mais, cela étant, j'ai malgré tout pris infiniment de plaisir à la lecture de cet ouvrage sur lequel je remercie
Gabrielle Danoux d'avoir attiré mon attention.