C'est une gageure de raconter Thoiry dans un livre, mais l'auteur (actuel comte de la Panouse) sait de quoi il parle puisque le domaine, qu'il a lui-même transformé pour devenir ce qu'il est aujourd'hui, appartient à sa famille depuis des générations.
Pour ceux qui, comme moi, connaissent (un peu) le domaine de Thoiry, ce livre sera la confirmation de son exceptionnelle qualité ; là où les continents du monde – à travers les animaux – rencontrent l'Histoire incarnée par un château qui mérite la visite, planté au sommet de sa colline et recelant de magnifiques objets, et oeuvres, telle cette Vierge à l'Enfant de l'atelier des Della Robbia, à Florence. Objets qui « gardent la fonction d'embellir les actes de la vie quotidienne » ; ce qui, cher comte, n'est pas réservé aux grandes familles des châteaux, si je puis me permettre ! Notons aussi l'importante bibliothèque ainsi que les archives d'où ont été exhumées, dans les années 1960, deux partitions de Chopin. Dans ces archives, il y a aussi des lettres de rois, reines, de Benjamin Franklin, Lamartine, Rodin, etc. L'Histoire écrite par ses acteurs privilégiés…
Dans ce livre, l'auteur – descendant de Guillaume de Marescot, qui occupa notamment les fonctions de Maître des Requêtes de Marie de Médicis (seconde épouse du roi Henri IV) et de conseiller d'État – nous raconte non seulement son histoire mais celle de ses ancêtres plus ou moins directs, parmi lesquels un fils naturel de Louis XV. Dans cette galerie de portraits, il y a même un régicide : « Jean-Baptiste Perrin, député des Vosges, vota la mort du roi [
Louis XVI]. » Mais comme l'auteur l'écrit si justement : « La diversité des ancêtres enrichit le réseau de mes racines. »
L'Histoire n'aura pas épargné cette famille, depuis la Terreur jusqu'aux deux guerres mondiales, en passant par celle de 1870, sans oublier l'Occupation. La famille répondra « présent » à ces rendez-vous et versera son sang à l'occasion. Ce poids du passé obligera l'actuel comte de la Panouse à s'engager pour cette terre familiale. Engagement qui sera heureusement couronné de succès, à Thoiry comme ailleurs sur d'autres sites. Une belle américaine l'y aidera, Annabelle, son épouse, avec qui il aura deux enfants, eux aussi engagé dans cette grande aventure. le passage de témoin semble ainsi assuré.
Le rêve ne s'est cependant pas concrétisé en un instant et, avant de devenir un groupe reconnu et pérenne, Thoiry a eu son lots d'épreuves, dont les éternels tracasseries bien françaises. Les écologistes intégristes étaient aussi de la partie ; les « Repeints en vert » dit le texte. Mais très vite, le public a suivi.
Le texte est ainsi émaillé de souvenirs et d'anecdotes, des plus savoureuses aux plus potentiellement tragiques : un des employés face à un ours blanc et qui aura le culot de le frapper au museau en lui ordonnant de rentrer dans sa cage malencontreusement ouverte. le comte sera quant à lui victime d'un éléphant plein de testostérones. le plus tragique c'est doute le récent assassinat d'un rhinocéros du parc, dont on a scié la corne pour la vendre ensuite à des crétins irrécupérables convaincus qu'elle a des pouvoirs aphrodisiaques ou de guérison…
À Thoiry c'est le bien-être animal qui prévaut ; les photos qui accompagnent le texte l'attestent ainsi que les documentaires animaliers du DVD. Signées Arthur Boutin, ces photos sont parfois exceptionnelles, sans doute grâce à des associations « contre-nature » comme des zèbres dans la neige ou trois lionceaux, toujours dans la neige. La rencontre entre un bison et un loup, dans la partie nord-américaine du parc, semble plus conforme. Et l'on appréciera le cliché d'un guépard plutôt mal luné. Cela dit, je suis assez content de la photo que j'ai prises une fois de deux lionnes se bastonnant. On aurait dit un jour de soldes aux Galeries Lafayette !
Rappelons qu'en tant que zoo privé, Thoiry ne reçoit aucune subvention. Pour autant, ses responsables ne cèdent jamais à la « dysneylandisation » et chaque initiative a du sens ; terme qui n'est ici pas galvaudé.
Paul de la Panouse nous invite aussi à réfléchir sur l'habitat naturel de ces espèces que nous détruisons avec une conscience meurtrière – et suicidaire ! – remarquable. C'est un peu ce qu'un lynx, photographié dans son arbre, semble nous faire comprendre, à la fois dépité et agacé. Ce qui me fait penser à une affiche que j'ai photographiée à Paris et qui disait : « On défonce la planète pour faire du fric et on dépense du fric pour sauver la planète. Bref, on est très en forme. »
Si l'on s'émeut facilement pour une bête poilue en danger de disparition, « il faut aussi sauver les espèces animales sans charisme et sans utilité économique mais les plus menacées », rappelle Colomba, la fille de l'auteur et qui, tout comme son frère Edmond, se préoccupe sérieusement d'écologie – la vraie pas celle des bobos déracinés des grandes villes – et en fait profiter non seulement le parc mais ses environs, via une unité de méthanisation. Tout est en lien avec la Nature à Thoiry, jusqu'à l'architecture du château – due à Philibert Delorme – ce témoin privilégié des solstices d'été et d'hiver : « pivot d'un calendrier solaire […], le château offre un outil aux personnes qui souhaitent être en harmonie avec les proportions et les forces fondamentales de la nature. » On peut parler d'architecture signifiante du point de vue symbolique et ésotérique.
Ici règne la divine proportion née dans les profondeurs de l'Antiquité. le château de Thoiry recèle de plus, dans son architecture, des symboles spirituels forts. Les développements sur ce point sont toutefois trop denses, à mon avis, pour un ouvrage qui se veut une découverte de Thoiry et son histoire. Cela mériterait une publication à part et qui s'adresserait aux initiés. Ce sera mon seul bémol, avec quelques redondances évitables dans le corps du texte.
Enfin, qu'est-ce que Thoiry ? Laissons l'auteur répondre : « Une arche de Noé contemporaine. Les
animaux sauvages ont sauvé le château mais celui-ci, en reproduisant les espèces en voie de disparition, préserve la biodiversité de la planète […] un rêve écologique à la fois historique et contemporain »…
Ainsi, depuis des siècles, malgré le tonnerre de l'Histoire, la belle résidence de Thoiry vit « avec une intensité remarquable » (François de Vogüé).
(Je remercie les éditions de l'Archipel pour le présent ouvrage, Babelio et
Paul de la Panouse pour nous avoir si bien conté cette arche d'alliance entre l'homme et la Nature, le présent et le passé, et dont il tient si bien la barre, avec foi et qui a appris « à se réjouir de la gloire de vivre »…)