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Critiques filtrées sur 2 étoiles  
Dans beaucoup de pays, on fabrique des savons aussi décoratifs qu'inutiles, ciselés en objets de nature qu'on y préfère, souvent des fleurs – roses en Occident, lotus en Orient –, aux couleurs mignardes et aux parfums suaves, conformes à une mode toujours passée, sorte d'obsolescence perpétuelle qui est comme un appétit inavouée du kitsch, ni surprenants ni véritablement beaux, qui plaisent surtout aux esprits efféminés et aux touristes, et qui, fragiles et incitant au scrupule, ne sont pas destinés à servir. Ces savons proposés à la tentation du chaland sont conçus pour échapper à tous risques d'originalité susceptible d'inquiéter, et, taillés à la main avec des outils fins d'artisans qui en fabriquent en séries, ne se rapportant qu'à des goûts naïfs et surannés, attendus et uniformes, veules et mal affirmés ; l'acheteur les exposera dans des vitrines ou sur des meubles, et, sa lubie finie, un engouement bref, il prendra l'habitude de les ignorer ou de les voir empoussiérés, bien qu'y posant rarement les yeux il en admirera encore de loin la facture, le plaisir du façonnage minutieux ne se rattachant qu'au désir d'être possesseur de choses traditionnellement réputées soigneuses et élégantes : affection douceâtre, proprement édulcorée, d'amateur de bibelots au charme désuet, qui, rétrogradement complu à des valeurs anodines et reconnaissables, se sent honoré et adouci au spectacle des bonbonnières guère variées où parfois ces savons même sont placés. Au milieu des insignes de son humeur de sympathie et d'aisance, il est content, n'ayant eu nulle sélection dure à faire, n'étant touché que par l'évident qui est souvent le moins juste et par l'entretien d'un préjugé automatisé ; c'est pourquoi la satisfaction de ces figurines de coutume est étroitement associée à l'adhésion à une morale homogène : pour les mêmes raisons qu'il faut qu'une boîte à musique fasse tourner des ballerines ou que l'horloge en bois fasse surgir un oiseau, il ne s'agit point de chercher une vie mieux que figée en ces représentations de végétaux d'imagerie, comme une estampe d'Épinal ne plaisait qu'à confirmer des conceptions immédiates et de proverbe qui, ainsi, réalisaient une sensation de douceur agréable, pareille à l'abandon d'un enfant au repos en son lit et produisant ses propres visions luminescentes au revers de ses paupières closes. Il n'y a même aucun intérêt à tâcher de discerner l'artiste à l'origine de cet artisanat : la disparition du créateur contribue pour l'essentiel à la béatitude du client, car celui-ci se sentirait humilié du thème qu'il n'aurait pas prévu et dont il ne saurait d'avance s'il est convenable d'y pousser sa puérile tendresse.
Les poèmes de Louise Labé – et de beaucoup d'autres – s'inscrivent dans cette culture du consensus inoffensif.
On y recherche avant tout la grâce impersonnelle sise en-dehors des courants mâles et hardis, la référence intellectuelle censée identifier et parer le témoignage d'esprit, le phénomène stylistique dont se félicitent couramment les pâmés de poésie, la manière coutournée dont on orne des faits tels qu'ils ne sont pas vécus, la joliesse femelle et inessentielle des couturières à l'ouvrage, en quoi, nécessairement, il faut élire tous ses sujets sans surprise du côté traditionnel, comme de l'amour galant c'est-à-dire de l'ampoule, et des vicissitudes d'aimer c'est-à-dire de la variabilité des émois. Insincère ou faisant de la vie une effusion d'impressions fallacieuses, l'écrivain doit respecter un carcan de codes circonstanciels et environnementaux, et ne jamais prétendre à examiner véritablement le motif de ces exercices où l'ornementation bienséante et grégaire suffit à se passer de justification intransigeante et virile.
Je m'étonne ainsi que les préfaciers de cette édition s'inquiètent si Louise Labé a existé : ils semblent d'emblée courroucés à l'idée que l'oeuvre ne soit pas d'une femme réelle, ce qui démentirait leur thèse féministe dont ils tiennent à se persuader, et, après avoir nié l'hypothèse d'une mystification en réfutant un argument, le moins solide, de leurs détracteurs (le fait qu'on rencontre des graphies diverses du nom Labé ou Labbé), ils croient avoir suffisamment prouvé la vérité d'une poète en ayant finalement déniché du côté de Lyon une Louise Labé (suppose-t-on donc ce nom rarissime ?) quelque peu fortunée en rapport avec le commerce d'équipement des bateaux, ce qui expliquerait qu'on la qualifie en maints poèmes de « belle cordière » (on doit présumer que ce surnom n'a rien à voir avec le « tissu » dont on fait les « textes » : et voici nos commentateurs de métaphores devenant tout à coup fort prosaïques !). Or, cette pseudo-recherche orientée, pour ce que l'oeuvre de Labé contient manifestement d'empirique, n'a pas un soupçon d'utilité : sa poésie est aux antipodes de la personnalité et de l'existence, il y importe surtout de n'exprimer en soupirs proprets et réglés que ce que le public est disposé à entendre, sans once de subversion ni tentative risquée. Et c'est ce qui suffirait à justifier l'invention du personnage de Labé, les poètes ayant des scrupules, quelquefois, à s'effacer dans la foule et la mondanité à ce degré de complaisance et de honte (j'ai par ailleurs suggéré dans une critique sur Honoré d'Urfé combien L'Astrée peut être compris comme une machine à piéger la crédulité féminine, ce qui expliquerait mâlement la persistance de sa rédaction). Que Labé ait été ou pas n'est absolument d'aucun effet ni rapport à la compréhension de sa poésie, environ comme la vie de Desbordes-Valmore n'est d'aucun intérêt pour le peu d'intelligence qu'elle eut du monde et de l'amour, puisqu'il ne s'agit surtout pas pour l'apprécier de comparer son propos au réel mais d'y appliquer une vision constituée avant l'expérience, notamment par les usages et par les livres, artificiellement entretenue dans le cours des phénomènes traversés selon sa mentalité initiale : il serait même ainsi préférable, je veux dire plus estimable pour elle, qu'elle n'ait certes consisté qu'en un prête-nom, ou l'on s'inquiéterait qu'une femme fut diluée à ce point en fantasmes poseurs et ridicules, et devenue si factrice de transmission des préjugés banaux, tout en écrivant selon le moule décoratif d'une société pédante dont elle n'aurait rien su déceler. Il n'est pas improbable que le nom de « Labé » n'ait servi qu'à feindre une voix alors relativement originale de femme pour susciter un « inédit » plus propice à succès littéraire (on peut se figurer des astuces au choix de ce patronyme), et permettant de rassembler une multiplicité d'écrivains dans la complicité d'une imposture amusante – mais à vrai dire, je l'ignore et n'ai pas enquêté là-dessus, j'ai eu seulement quelque doute, à la lecture d'un passage de la préface et d'un autre du premier texte, sur la prétendue féminité ; cependant, l'étude est complexe qui requiert une solide Psychopathologie-du-Contemporain-de-la-Renaissance qui me fait défaut ainsi qu'à tous les commentateurs qui prétendent y dire leur mot, d'autant que, je le répète, ça n'a presque pas le commencement d'un intérêt de le savoir.
Notons également ceci : les oeuvres de Louise Labé sont bien des nature et teneur dont s'emparent en premier lieu les professeurs de France, surtout universitaires. C'est notamment qu'en les consultant et les donnant à lire, ils ne trouvent nulle inconvenance éclairée manifestant le véritable génie par laquelle on pourrait les accuser de détourner la jeunesse, nulle audace ni pénétration autre que vétilleuse et d'expert-comptable, et cependant beaucoup de symboles et de figures qui sont l'apanage d'auteurs accessoires n'ayant rien de substantiel à communiquer. C'est lisse et bardé de savantasseries aisément consultables, raison pour laquelle on en a fait un texte au programme d'agrégation beaucoup plus volontiers que Nietzsche ou que Céline. Ainsi, ce peut tout à fait servir à quelque étude finassière sur la langue du seizième siècle et à réaliser tant de commentaires littéraires dont la composition signale une mentalité docile et orthodoxe, esprit aimable de lauréat, l'élève jugé meilleur étant celui qui, sans individualité ni expérience, consent avec obligeance à vanter joliment et doctement l'auteur plébiscité par ses professeurs. Mais Labé, à toute personne de réalité ou de vécu, ne fait rien, n'induit pas un sentiment tangible, ni ne fonde une position nouvelle, ni ne transmet une opinion vraiment distincte ; son écriture et sa posture suggèrent une propension à l'affectation voire au carriérisme puisque ne rien dire est propre à ceux qui, souhaitant plaire, veillent en particulier à ne pas être contredits.
Pour preuves :
Le recueil débute par un débat entre les dieux Amour et Folie, en litige devant Jupiter, quatre-vingts pages de préciosités en prose comme vouées aux concours d'éloquence, dont la formalité est comparable à Éloge de la folie ou Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes ainsi qu'à maints remplissages rhétoriques auxquels les littérature et philosophie de tous pays ont habitué le lecteur, s'efforçant de ne rien enseigner de pratique, de n'aller sur les brisées de personne, de n'instruire d'aucune connaissance concrète, de ne différer en rien du sentiment réputé et majoritaire au lieu où l'ouvrage sera publié, de ne contester nulle part un su, et plutôt d'asseoir ses contemporains dans des dictons populaires que de les édifier hors des sottises théoriques qu'on se passe depuis les Grecs anciens : c'est tout de finesses idéales, sans apport plus que « esthétique », sans une volonté de dépassement, c'est en somme d'un ennui si renommé que les Français finirent par prendre cette vacuité et ce faux style pour repères et à en constituer, à force de les porter en exemples, un goût national qu'on pourrait intituler : goût de la fatuité des pompes. Ça ne veut à peu près rien dire, c'est constamment surfait, nul n'a jamais authentiquement et spontanément ressenti l'amour avec telle faconde benoîte ou difficultueuse, c'est spécieux, captieux, ainsi que tous les mensonges qu'on aime entendre répéter et auxquels on souscrit faute d'en imaginer une alternative, auxquels on s'agglomère suivant le pouvoir de persuasion d'une humanité vue comme une élite. Mais c'est « plaisant », comme on dit de certains vocables d'effet rare dans le dictionnaire, et ce réalise une approbation de toutes les tendances irréfléchies des peuples qui s'estiment cultivés pour ne faire qu'imiter et qui aspirent à se croire déjà éduqués-comme-il-faut. Après cela viennent vingt-quatre poèmes reprenant les stéréotypes les plus distingués sur l'amour selon les recettes habituelles de l'antithèse entre plaisir-d'amour et souffrance-d'aimer (et je m'interroge s'il est possible de n'avoir écrit de toute sa vie que vingt-quatre sonnets), où la langue d'alors permet opportunément des montages factices en lesquels la phrase disloquée parvient à une rime forcée et rendue facile, et grâce auxquels la disparition de certains mots obtient le mètre voulu (où, par rapport à Villon antérieur de cent ans, tout le naturel du verbe s'offusque derrière des dorures alambiquées faisant illusion de noblesse) : surtout maniérisme voire simulacre de féminité. Enfin, pour achever l'expression de « beauté dans la contrainte », le livre termine sur maints hommages à Louise Labé en vers et présents déjà dans l'édition originelle, éloges dont il est plausible que les contributeurs soient également les auteurs de la poésie-même de Labé – il y aurait une logique à cela, ce qui s'est souvent vu, comme les canulars des poètes fictifs Bilitis, Ossian ou Ern Malley (j'en oublie un autre que j'ai découvert assez récemment, sans doute dans le dossier ou en note d'un ouvrage, où l'on créa un écrivain dont on prétendit que les vers d'ancienne facture étaient parvenus par héritage jusqu'à nous dans des malles – toute ma sympathie au lecteur qui m'en fournira la référence que je ne suis pas parvenu à retrouver.) Une certaine cohérence dans le motif imposé, le passage obligé, le thème institué, en un mot dans l'exercice de la rédaction de classe, pousse ici les poètes sur la voie des louanges qui est d'un ennui mortel quand il chante le mérite funèbre à la Bossuet, servant de prétexte à un jeu versifié, après les codes de l'élégie et du paradoxe, à savoir la convention du dithyrambe, où ils rivalisent de compliments sur la beauté d'une femme qu'ils n'ont pas vue et sur ses vertus personnelles que ses poèmes ne trahissent point. On ne saurait faire avec tant de traits subtils oeuvre plus futile, et ne m'attendant déjà pas à trouver si mièvrement mécanique la poésie de Labé, je ne décidai pas de poursuivre avec des auteurs inconnus selon le resserrement d'un genre hypocrite qui ne m'est d'aucun plaisir, hormis ce sempiternel souci français du « bon mot » qui est cependant la plus mauvaise notion, et durable, la manie la plus sinistre, que notre littérature puisse contenir, perpétuée au grand dam des goûts de tous les siècles : idée d'art pour art, d'écriture par virtuosité, d'impressionnement et d'épate, sans qu'à un seul moment le lecteur ne s'éloigne du divertissement ni n'apprenne une chose – littérature flatteuse et courtisane de néant.
J'ai cessé à la page 217 de m'intéresser à ses passes d'emphase et de « haut style », n'y trouvant rien de véritablement humain sinon l'éternel vice des oiseux de mauvais augure. Il faut imaginer cela, ma perpétuelle déception : se pencher avec curiosité et franchise vers un recueil sur l'amour, et n'y rencontrer que des dictons sophistiqués, tout en sachant qu'il est impossible que des penseurs aient conçu de telles visions après une réflexion appesantie : ainsi, encore des poèmes en pose ! Que le lecteur croie à ses billevesées sentimentales parce qu'il découvre des pièces et que dans le cours de ses divertissements il n'a pas le temps de les sonder est une chose déjà navrante quoique compréhensible, mais que le philosophe ès sensibilité n'ait pas démenti ces naïvetés et même les confirme, ceci prouve ou sa superficialité ou son outrageuse racole : écrire pour maintenir des mentalités de proverbe est décidément ce qu'on peut faire de pire en matière de littérature, puisqu'à défaut de silence où chacun pourrait encore rencontrer sa liberté de pensée, l'écrivain influence et persuade alors dans le sens des immobilismes insidieux et les plus paradigmatiques. La littérature ne devrait jamais consister en paralysie et en innocuité, ni concourir à cette sensation fausse « d'universel » qui affermit le lecteur en ses clichés les plus confortables, car l'écrivain se fait ainsi complice d'une supercherie plus grave que d'inventer peut-être une poétesse pour placer leurs pièces en une bouche qui sera mieux écoutée, à savoir la mystification traître d'accompagnateurs de faussetés qui, avec la réputation d'artistes qu'on leur attribue, installent des moeurs fondées sur la facilité qui ne sont jamais le nécessaire, tout au contraire, dont l'humanité aurait besoin pour s'améliorer en devenant plus consciente, plus juste et plus honorable.
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Je n'y ai trouvé aucun intérêt pour moi.
J'ai compris l'ensemble de ce que j'ai lu, ce qui est assez rare lorsque je lis de la poésie (surtout quand chaque mot, chaque virgule, chaque POINT est à interpréter), mais je n'ai ressenti aucun plaisir. J'ai dû le lire pour un cours et j'aurais très bien pu m'en passer je pense. Dommage.
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