Citations sur Quinze ans (16)
Le grotesque de nos agissements, le dérisoire de nos gestes ne se mesurent jamais au moment où ils ont cours, sinon nous n'agirions pas, et notre vie ne serait qu'immobilisme. La plupart du temps, nous ne nous voyons pas en train de faire. Et c'est seulement après - parfois le lendemain, parfois bien plus tard - que nous sommes capables de nous regarder, les yeux dessillés. Cet aveuglement, indispensable, cependant à la progression dans la connaissance des choses, est d'autant plus grand en période de mutation, quand le corps et l'âme sont les jouets d'énergies inintelligibles. Aussi bien, devons-nous faire preuve de quelque indulgence à l'égard de ce jeune homme qui remonte fébrilement le trottoir de la rue de Longchamp, guidé par un garçon de son âge qui semble posséder une once supplémentaire de sûreté de soi.
Il avait les yeux pétillants, pleins d'humour, derrière des petites besicles cerclées d'acier sur un nez prospère, et il s'affairait avec dextérité et gentillesse, mettant dans ces gestes et déplacements derrière le comptoir l'agilité, le délié qui caractérise certains rondouillards .
Elle arriva ,tranchant la chair fraîche de ma petite vie d'adolescent, pour y apporter la séduction et la souffrance, l'insomnie, les ravages du coeur et les tenailles de l'amour. Elle n'était pas attendue ,mais secrètement désirée, et,dès l'instant où j'entrevis sa flamme, je fus pris ,happé, par ce feu .
Une voix de commandement, avare de compliments mais douée pour l'admonestation, la simulation, et qui vous tenait en éveil, fouettait votre fierté et entretenait votre crainte de rester en rade sur le bas-côté de la route .
"Le jour ou une femme qui passe devant vous dégage de la lumière en marchant, vous êtes perdu, vous aimez."
Elle arriva, tranchant dans la chair fraiche de ma petite vie d'adolescent, pour y apporter la séduction et la souffrance, l'insomnie, les ravages du cœur et les tenailles de l'amour. Elle n'était pas attendue, mais secrètement désirée, et, dès l'instant ou j’entrevis sa flamme, je fus pris, happé, par ce feu.
Le goût du pain d'épice, aliment qui disparaît progressivement du tout-venant des familles françaises, et que plusieurs générations associent au souvenir des « quatre heures » du retour d'école, subsisterait longtemps en moi comme un rappel de ces nuits d'insomnie, ces trous noirs au fond desquels j'oscillais entre l'exaltation et l'angoisse, propres à l'âge que je traversais, et dont j'ignorais que c'était un âge heureux.
L'adolescent garde les secrets pour soi. Ses amours ne se livrent pas. Il ment comme il respire et cela ne se voit pas. Visage lisse, oeil vide, on donne le change.
Le grotesque de nos agissements, le dérisoire de nos gestes ne se mesurent jamais au moment où ils ont cours, sinon nous n'agirions pas, et notre vie ne serait qu'immobilisme. La plupart du temps, nous ne nous voyons pas en train de faire. Et c'est seulement après - parfois le lendemain, parfois bien plus tard - que nous sommes capables de nous regarder, les yeux dessillés. Cet aveuglement, indispensable, cependant, à la progression dans la connaissance des choses, est d'autant plus grand en période de mutation, quand le corps et l'âme sont les jouets d'énergies inintelligibles
Le lendemain, et cela me parut d'abord étrange mais je m'y accoutumai vite, le jour ne ressemblait pas aux autres jours. La lumière dans la rue n'était plus la même. Il faisait plus clairet plus gai malgré le froid qui s'était abattu depuis quelques temps sur la ville.
Il n'y avait plus rien de gris autour de moi. Le lycée vers lequel je me dirigeais m'apparaissait dans le jour qui se levait, comme nimbé de rayons bleu et argent et je remarquais les rouges et les jaunes, les verts et les oranges aux vitrines des magasins, sur les foulards des femmes, ou à travers les carreaux des deux bistrots qui jalonnaient mon parcours. Même les arbres, nus en cette période hivernal, me faisaient des signes de complicité. Sur les visages de mes camarades comme des professeurs, ou des inconnus que je croisais dans la rue, je croyais lire un sourire, de la sympathie et de la bonté, ou la simple adhésion au sentiment euphorique qui m'habitait.