«
Les Figurants de la mort » est un roman de Roger de Lafforest publié en 1939. Un mot d'abord sur l'auteur qui a la Libération a été épinglé – comme plusieurs dizaines d'écrivains – par le
Comité National des Écrivains issu de la Résistance. A ma connaissance – bien maigre, je dois l'avouer –
Roger de Lafforest n'a pas pris clairement position dans le conflit et c'est sans doute cette indifférence qui lui a été reprochée. La liste produite par le CNE s'est progressivement enrichie et, il semble que son nom n'apparaisse qu'assez tardivement. Peut-être parce qu'il est un auteur de l'écurie Grasset (au côté d'écrivains beaucoup moins équivoques comme Jacques Doriot ou
Drieu La Rochelle), une maison d'édition qui a participé à la propagande allemande.
Cette précision historique apportée, je veux néanmoins dire que ce roman est d'abord une parodie de roman d'aventures très éloignée – mais j'y reviendrais – des problématiques politiques de l'époque. Je veux aussi dire que c'est un bon roman, bien écrit et drôle dont l'aspect critique est toujours pertinent.
Ce roman raconte les péripéties de l'équipage du cargo El Libertador, traversant l'Atlantique pour libérer le Venezuela de la tyrannie. Si les cadres de l'équipage (tous européens, à l'exception du Général Venezuélien et de sa femme) sont dans la confidence, les matelots croient participer au tournage d'un film. D'où le titre : «
les figurants de la mort ». C'est tout à la fois grotesque et dramatique, car en face, les balles sont réelles.
En 2013, voici ce que j'en retire :
Roger de Lafforest critique deux illusions : celle de l'Aventure (forcément positive, pleine de possibilités et d'accomplissements) et celle du cinéma comme représentation du réel. L'auteur travaille la face obscure de l'Aventure (qu'on pourrait tout à fait remplacer par le Voyage pour paraître plus moderne), toujours associé à une mythologie positive alliant dépassement de soi et découverte des autres, là où dans bien des cas, il n'existe plus aujourd'hui qu'une industrie touristique. Quant au cinéma, ses prétentions au réel s'effondrent lors du débarquement : la mascarade tourne au massacre. de là, on pense au pouvoir des images sur l'imaginaire, un pouvoir d'illusion et de propagande dont nous constatons les effets à chaque guerre télévisée ou à dans chaque production hollywoodienne : insensibilisation ici, dramatisation héroïque là.
Évidemment ces lectures sont le produit de notre époque. Remis en contexte (1939), un texte qui décourage tout esprit d'aventure et toute prise de risque, un auteur qui proclame : « le seul remède, c'est l'immobilisme », paraît – et c'est facile de le dire aujourd'hui – beaucoup moins sympathique. Néanmoins, il serait dommage et injuste de trouver là un prétexte pour ne pas lire «
Les Figurants de la mort ».