Citations sur Fanny Stevenson : Entre passion et liberté (26)
Rien de ce qui brille n'est de l'or.
Reçu avocat au barreau d’Edimbourg, il [Robert Louis Stevenson] vient de se voir allouer par son père une avance sur son héritage, somme rondelette qu’il prête, dépense et partage sans lésiner. A ses yeux, l’argent ne compte pas. Le confort non plus. La liberté, oui. Son sac à dos contient un volume des poésies de Charles d’Orléans, une excellente bouteille de cabernet-sauvignon, du tabac, de l’encre, une plume et du papier. Pas de peigne, pas de rasoir, pas de linge de rechange.
p. 188
Fanny, l'antithèse d'une intellectuelle, le contraire d'une "aventurière". Elle ne s'intéresse aux êtres que pour les émotions qu'ils suscitent en elle. Elle aime, elle déteste , et de ses sentiments seuls, découlent la moindre de ses idées, le plus infime de ses actes. La liberté de sentir, elle en fait toute une morale : l'héritage qu'elle veut laisser à ses enfants.
Les légendes des îles hantent désormais leur imagination. La beauté des indigènes, la gentillesse de leur accueil excitent l'admiration de Fanny ; le destin de la Polynésie captive la curiosité de Louis. Quel rôle joue l'homme blanc dans l'évolution de ces races qui ont prospéré durant des siècles, pour disparaître peu à peu depuis cinquante ans ? Que penser de l'attitude des missionnaires qui piétinent les civilisations anciennes, brûlent les idoles et les objets sacrés, interdisent la nudité, prohibent les costumes et les danses traditionnels, pour inculquer à ces peuplades l'idée du péché et le sentiment du mal ? Comment décrire la faune des traders, ces trafiquants qui font le commerce du coprah, la chair de noix de coco dont l'Occident extrait l'huile, qui vendent des armes et de l'alcool aux indigènes, qui ne pensent qu'à s'enrichir, tout en abattant le mur entre les deux mondes ?
Cinquante ans avant que de telles idées soient à la mode, Mrs R.L.S. vitupère contre les hérésies du colonialisme. Louis s'enflamme et s'interroge.
L'émotion d'une première expérience ne peut se répéter. Le premier amour, le premier lever de soleil, la première île du Pacifique restent à jamais des souvenirs à part, ils touchent à la virginité des sens, écrit Stevenson.
Avec ses amarres, mon âme s'en fut à des profondeurs d'où nul treuil ne la saurait extraire, nul plongeur la retirer. De ce séjour, quelques-uns de mes compagnons de voyage et moi-même devions demeurer les esclaves des îles du Pacifique.
Je ne peux pas dire pourquoi j'aime la mer. Aucun homme n'est plus cyniquement et constamment conscient de ses périls. Je la considère comme l'une des formes de jeu les plus dangereuses. Pourtant je déteste le jeu autant que j'aime la mer.
Elle ne perd jamais de vue le coeur de la cible : créer. Se survivre à soi-même et vaincre sa propre mort. L'oeil rivé au but, elle vise l'immortalité.
Avec enthousiasme, elle s'investit d'une mission nouvelle. Epauler le talent de Louis. Cette intuition, fulgurante, qu'à ses côtés s'édifie une oeuvre qui la dépasse, une oeuvre qui les surpasse tous, bouleverse Fanny et la grise. Le mérite de cette intuition lui revient. A vingt-sept ans, Robert Louis Stevenson n'est rien. Ses écrits, certes reconnus par la critique, ne peuvent laisser augurer de l'avenir.
Articles, essais, poèmes, projets, Fanny lit, devine, pressent... Elle commence à s'effacer. Mais elle ne recule pas ! Sous l'humilité se cache la même revendication, l'éternel besoin, la seule exigence de sa nature. La création.
Là-bas, vous allez progresser vite, très vite. Loin des soucis matériels, de votre maison, de votre jardin qui vous mobilisaient beaucoup trop... Sans tout ces enfants !
- Mes enfants ? Je les emmène !
- Seigneur Dieu ! Mais pour quoi faire ?
Vivre, c'est comme la griserie du champagne, simplement vivre !