AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,61

sur 28 notes
5
5 avis
4
3 avis
3
6 avis
2
0 avis
1
0 avis

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Envol et déchéance d'une étoile insoumise, consumée dans la lumière et le pouvoir d'Hollywood.

«La lumière n'exauce pas les corps, elle les massacre.
La main de l'éclairagiste qui agrippe la poignée du projecteur et, pour préparer l'entrée dans le champ de l'actrice dont il va illuminer le mouvement, fait pivoter sur son axe la caisse de métal d'où jaillit le faisceau aveuglant, cette main n'est pas moins cruelle que celle du tueur à gages qui pointe une arme à feu ou qui abat une arme blanche, ni moins impitoyable que celle du bourreau qui actionne le courant de la chaise électrique. Elle est l'instrument assermenté d'une loi sauvage : elle livre un être en pâture à notre regard.»

Depuis la naissance d'une nation avec l'épopée de ses pionniers, de la montée en puissance des tycoons et des stars des studios, jusqu'à l'avènement du tube cathodique et du divertissement industrialisé, du bouillonnement intellectuel de New-York des années 30 et 40 aux sunlights impudiques d'Hollywood, Mathieu Larnaudie explore dans ce roman d'une densité rare, en tirant de l'oubli le destin prometteur puis tragique de Frances Farmer, le pouvoir et la violence de l'image, vecteur de l'idéologie américaine à l'assaut du monde.

«En d'autres mots, tant que nous en sommes à ce rapide tableau, à ces hypothèses en abrégé – il n'est pas invraisemblable qu'à l'anonymat de l'homme des foules – celui-là même qui combat dans la Meuse et qui trime dans les fabriques, tour à tour chair à canon et à chaîne tayloriste – réponde précisément l'avènement de la célébrité absolue. Qu'à l'individu indifférencié, noyé dans la masse et les cadences répétitives de la standardisation, fasse pendant la distinction suprême, l'élection mystérieuse, l'apparition de la star hollywoodienne.»

Dès sa première apparition publique sur une scène de Seattle, le contraste est frappant entre l'allure de jeune fille de bonne famille de Frances Farmer – sa robe vichy, sa chevelure blonde et ses pommettes hautes – et sa liberté de ton ainsi que son rire brutal et rauque, le rire d'une femme qui noiera plus tard sa colère dans les amphétamines et le bourbon, et sera internée, maltraitée et déchue, à cause de son tempérament volcanique, et parce qu'elle refusait de se conformer au tracé imposé par les studios.

L'évocation de la vie de Frances Farmer en sept moments par Mathieu Larnaudie, entre lesquels on passe en franchissant des ponts tendus sur le vide des années tues, permettent au lecteur de sonder les gouffres d'une existence et les effets dévastateurs d'une forme d'exposition au pouvoir, comme un pendant à son livre «Les effondrés» (Actes Sud, 2010).
Ces épisodes non chronologiques, où l'on découvre à rebours le parcours de jeunesse de Frances Farmer, jusqu'à la fabrication d'une icône de cinéma, avant de parcourir dans le deuxième versant du livre le terrible parcours de sa déchéance, montrent les failles qui s'ouvrent entre l'être sensible et l'image sur papier glacé de la star hollywoodienne, «dispositif» au service du spectacle et de l'idéologie américaine.

Née à Seattle en 1913, ville alors loin de tout, repérée par les studios, transformée en icône, attirée avec son amant le dramaturge Clifford Odets dans le milieu intellectuel new-yorkais des années 1930 et 1940, si justement dépeint dans «Kafka faisait fureur» d'Anatole Broyard, alors que les tensions entre les écrivains de la côte Est devenus dépendants des dollars d'Hollywood se font jour, Frances Farmer l'insoumise est broyée dans ce mouvement d'uniformisation du divertissement, où quelques silhouettes deviennent stars et aspirations pour tous, symboles d'un nouvel impérialisme culturel américain, faisant écho au superbe «Tristesse de la terre» d'Éric Vuillard.

Sous la plume poétique et incisive de Mathieu Larnaudie, le parcours au crépuscule trop précoce de Frances Farmer ressemble à celui d'une supernova, étoile nouvelle d'une luminosité superbe, en réalité déjà consumée dès sa première apparition dans la lumière de nos écrans.

«Mais déjà l'horizon commence à se défaire et le vent rouge se déploie par vagues successives, cavalerie invisible dont le galop, sur son passage, cogne aux tempes, dévalant depuis les monts, par les canyons, par les boulevards qui sont comme des gorges percées dans le flanc des collines.»

Retrouvez cette note de lecture, et toutes celles de Charybde 2 et 7 sur leur blog ici :
https://charybde2.wordpress.com/2015/09/08/note-de-lecture-bis-notre-desir-est-sans-remede-mathieu-larnaudie/

Mathieu Larnaudie sera le mercredi 9 septembre 2015, en soirée, à la librairie Charybde, en compagnie de Claro et de Mathias Énard. www.charybde.fr

Commenter  J’apprécie          100

Si la rentrée littéraire avec son nombre hallucinant de titres lâchés au coup de pistolet du 20 août vous a fait tourner la tête et que vous soyez passés à côté de ce roman, il est grand temps d'y remédier.

La vie de Frances Farmer racontée par Mathieu Larnaudie se situe à l'extrême opposée du biopic vulgaire bâti sur des anecdotes sulfureuses et voyeuristes. La finesse de l'analyse, la sobriété de l'écriture, l'encrage dans une solide documentation historique constituent les fondations d'un texte magnifique qui rend justice à cette sublime femme qui a eu le tort de refuser d'être juste un "canon de beauté".

Le roman s'ouvre sur l'image de Samuel Goldwyn, sur ce dieu tout puissant qui régit à l'époque la "naissance des stars". Le self-made man dans toute sa splendeur, celui qui a fait braquer le premier la lumière sur Frances Farmer: "I'll make you a star."
Nous ne tarderons pas à découvrir que le monde de papier glacé et ses habitants n'intéressent pas tant que cela la jeune Frances. On la découvre plus ennuyée qu'autre chose lors d'une fête après tournage, tandis qu'autour d'elle la soirée bat son plein:
"Par moments, elle semblait brusquement se rappeler qu'elle était ici en présence de certains personnages dont la moindre appréciation pouvait revêtir une importance cardinale pour sa carrière, et qu'à leurs côtés il lui fallait faire bonne figure, se montrer à son avantage: elle se raidissait un peu, étirait le cou, mettait sa poitrine en valeur, remontait discrètement une bretelle de sa robe qui pourtant n'avait pas glissé, maîtrisait mieux son rire qui devenait alors plus espiègle et moins éclatant, plus affable et moins sardonique, plus enjôleur et moins massif. Bientôt elle oubliait sa vigilence et ses efforts, se laissait porter par le brouhaha ambiant, la circulation des corps dans la pièce, l'alcool et la chaleur, les conversations qui gagnaient en volume sonore au fur et à mesure que les verres et la chaleur."
Mais pour pouvoir continuer à faire ce qu'elle aime, à savoir jouer, il lui faut tenir un rôle de composition en permanence, être autre chose que Fraces Farmer.
Dans le chapitre suivant, Dieu meurt à Seattle - 1931-1924, (car la construction du roman n'est pas chronologique), on découvre le premier fait d'armes de la jeune Frances. Elle a seize ans lorsqu'elle participe à un concours national d'écriture et présente devant une salle horripilée son texte, Dieu meurt. Elle gagne le concours, la haine de toute la communauté et une photo dans le journal local.
"Elle etouffe une envie de rire: ce qu'écrit une lycéenne de seize ans n'est pas si sérieux ni si important qu'il mérite de tels emportements. (...) Les élucubrations d'une gamine, Dieu saura bien s'en remettre; et si vraiment il croit bon de prendre ombrage de si peu, c'est qu'alors il est plus chancelant encore que le texte ne le dit."
On la voit devant le public furibard, tenir tête sobrement, sans fléchir, sans bégayer. C'est l'Amérique des années 1930, bigote et épouvantée par les flammes de l'enfer face à une adolescente qui la défie avec brillance. Nous devinons déjà l'actrice et la femme de tête qui se réveille en elle.
Il y a là une phrase qui m'a marquée et qui peut faire office de prémonition: "Si Dieu était mort, penserait Frances en fin de compte, c'était de s'être laissé portraiturer, et s'était d'être un dieu de narration." Or, qu'est-ce une star si ce n'est être un "dieu de narration"? Fantasmées jusque dans leurs vies privées, les célebrités meurent à la fin de chaque rôle qu'elles interprètent.
En dehors des films, la narration continue grâce aux photographes et aux journalistes: l'une des scènes les plus émouvantes du roman est celle où Frances, arrêtée pour non respect du black-out (l'Amérique a peur de se faire bombarder), conduite en état d'ivresse, et caetera, elle est photographiée de la manière la plus minable qui soit. Elle ne peut plus se défendre.
"... mais le flic tenait bon, ne relâchait son étreinte à aucun moment, si bien que, dans la confusion de ses contorsions de forcenée, dans la furie de cette bataille inepte, la veste de Frances s'ouvrait, sa chemise se fendait, sa jupe remontait, découvrant le haut de ses bas de nylon et de ses cuisses, et que le photographe n'eut pour saisir la scène qu'à se poster à quelques pieds d'elle, à la mettre en joue, à poser même un genou sur la dalle pour mieux viser, à attendre que l'actrice enragée et le colosse qui l'emportait parviennent à son niveau, et à déclencher."

On l'aura compris, Frances Farmer est une femme libre et entend le rester. Pas de revendication ni de message autre que la vie et le jeu. C'est l'amour du jeu qui la pousse sur les planches de Broadway, c'est l'amour du jeu qui lui fait refuser l'image de pacotille à laquelle elle est sans cesse renvoyée à Hollywood. Qui fera dire à sa mère qu'elle ne peut qu'être "mentalement déséquilibrée" et qui lui vaudra cinq années d'hôpital psychiatrique.

Le regard attentif de Mathieu Larnaudie est omniprésent, comme s'il voulait protéger son personnage des affres qui l'accableront. D'ailleurs il est là, jamais très loin, comme la fois où Frances l'adolescente va au cinéma accompagnée par sa mère:
"Abritées chacune sous son parapluie (dans les parages, il pleut à peu près tout le temps), mère et fille viennent prendre leur place dans la file des spectateurs, autrement dit se mêler à nous autres qui, en attendant l'ouverture des portes pour la prochaine séance, tentons comme nous le pouvons de nous protéger de l'averse..."
Grâce à ce regard protecteur, nous nous sentons nous aussi plus proches de cette jeune femme dont le rire rauque raisonnera encore dans nos oreilles même après avoir fini ce roman.
"En d'autres mots - tant que nous en sommes à ce rapide tableau, à ces hypothèses en abrégé - il n'est pas invraisemblable qu'à l'anonymat de l'homme des foules - celui-là même qui combat dans la Meuse et qui trime dans les fabriques, tour à tour chair à canon et chaîne tayloriste - réponde précisément l'avènement de la célebrité absolue. Qu'à l'individu indifférencié, noyé dans la masse et les cadences répétitives de la standardisation, fasse pendant la distinction suprême, l'élection mystérieuse, l'apparition de la star hollywoodienne."

Notre désir est sans remède, Mathieu Larnaudie, Actes Sud 2015

Lien : http://lavistelquilest.blogs..
Commenter  J’apprécie          30
De quoi un ange hollywoodien déchu est-il vraiment le nom ?

Sur mon blog : http://charybde2.wordpress.com/2015/08/10/note-de-lecture-notre-desir-est-sans-remede-mathieu-larnaudie/

Lien : http://charybde2.wordpress.c..
Commenter  J’apprécie          20
Une fois terminé ce roman, j'ai pensé à la phrase suivante (attribuée à François Truffaut) : « le cinéma est l'art de faire faire de jolies choses à de jolies femmes ». Tout au long de son texte, l'auteur pointe toutes les dérives de l'entreprise du regard sur une femme et son corps. C'est par le cinéma que le roman commence : un tournage, le travail du chef opérateur, la présence d'un producteur, le regard d'un réalisateur. Tous les éléments qui façonnent une image, une légende, la capacité d'un être à marquer la pellicule, l'écran et la mémoire sensible du public. Ensuite, Mathieu Larnaudie remonte le temps pour s'intéresser à Frances Farmer, cette femme animée par le désir de faire du cinéma. Se dessine alors une personnalité forte et travailleuse, souhaitant rester elle-même tout en maîtrisant les codes de l'univers rêvé. Mathieu Larnaudie ne s'éloigne jamais de la sincérité de cette artiste pour mieux épingler la fausse magie de l'industrie hollywoodienne et la réelle violence des regards masculins permanents. En bouleversant la chronologie, Mathieu Larnaudie opère des allers-retours dans l'histoire sans jamais tenter d'éclairer ou d'expliquer la vie de Frances. Elle subit et affronte. Elle est en mouvement contre des mondes, des postures, refusant de s'y soumettre. L'écriture se fait allusive et ses phrases, tels des mouvements de caméra amples et élégants, nous mettent au plus près de cette actrice. L'auteur empoigne toute la vie de cette femme en évitant les stéréotypes de la biographie. L'apport de la fiction, du regard de l'écrivain apporte une humanité généreuse au texte. Comme l'indique le titre, la vie de Frances est pleine de désir, le cinéma est animé par cela également. Ce moteur en est à chaque fois une maladie, celle qui ronge, qui grignote les esprits et les corps, qui les éloigne de la réalité et de la vie.
Lien : https://tourneurdepages.word..
Commenter  J’apprécie          10
Frances FARMER, une actrice hollywoodienne des années 40 ... Elle avait tout pour elle : beauté, intelligence, actrice douée. Elle avait aussi une langue acérée, de la culture, une mère totalement obsédée par le cinéma, ambitieuse pour dix. Au final, FARMER a été broyée à la fois par la machine hollywoodienne qui veut des stars dociles, sa mère qui l'a lâché et renié lorsque des troubles mentaux ont commencé à apparaître chez sa fille. Frances FARMER ne rentrait pas dans le moule de l'époque et à force d'avaler différents médicaments fournis par le studio, de boire un peu trop, sa vie a basculé dans les asiles pour déments de l'époque. Elle a été abusée dans tous les sens du terme, exploitée et lorsqu'elle a pu sortir de l'internement, n'était plus que l'ombre d'elle même. Un livre pas toujours facile, mais une femme pas comme les autres interprétée à l'écran par Jessica LANGE dans le film FRANCES, à redécouvrir. Un prix de la gloire très amer ...
Commenter  J’apprécie          00


Lecteurs (80) Voir plus



Quiz Voir plus

Quelle guerre ?

Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell

la guerre hispano américaine
la guerre d'indépendance américaine
la guerre de sécession
la guerre des pâtissiers

12 questions
3184 lecteurs ont répondu
Thèmes : guerre , histoire militaire , histoireCréer un quiz sur ce livre

{* *}