Citations sur Gens indépendants (22)
Le socialisme consiste à faire aux démunis des promesses illimitées dont il n'y a aucune probabilité qu'elles s'accomplissent jamais tant que l'humanité n'aura pas atteint la maturité des dieux.
Le coeur, c'est exactement comme une girouette. Et c'est comme on dit : en un rien de temps, ça change d'orientation.
En tout cas, cela valait mieux que d’être pris au piège par les banques comme à présent, on vivait, du moins, en hommes indépendants, on mourrait de faim en hommes libres.
Révolus, les jours où on lui disait qu'il n'y avait pas de pays derrière la montagne, révolues, les nuits où les ustensiles de cuisine tenaient des discours dans l'armoire et sur l'étagère pour chasser l'ennui de la vie et l'horreur du vide, et les ronflements, ces voyages étrangers par d'autres espaces - quels voyages ? C'était lui, lui-même qui allait voyager.
C'était une énorme tempête. Une de ces bourrasques où la montagne chante au-dessus de la ferme comme si les trolls qui l'habitent étaient devenus fous et avaient sorti leur tambour.
Le même jour, plus tard, il avait de nouveau abordé ce sujet, cette fois avec sa grand-mère.
"Je connais quelqu'un qui ne meurt jamais, avait-il dit.
- Ah bon ! mon petit" avait-elle dit en inclinant la tête, le menton relevé, comme elle avait coutume de faire lorsqu'elle regardait les gens "et qui est-ce ?
- C'est papa !" avait dit le garçon. Pourtant il n'était pas absolument sûr de ne pas se tromper car il continua de regarder sa grand-mère d'un air interrogateur.
"Oh ! il mourra", dit la vieille femme sans pitié, presque avec joie, et elle se moucha un peu.
Le garçon s'obstina et il demanda :
"Grand-mère, est-ce que la cuiller à pot mourra ?
- ça suffit ! " dit la vieille femme comme si elle pensait qu'il était en train de se moquer d'elle.
"Grand-mère... la marmite noire ?
- Ce qui est mort est mort, gamin, dit-elle.
- Non, dit le garçon, la marmite et la louche ne sont pas mortes. Le matin, quand je me réveille, elles sont souvent en train de parler ensemble."
Ses jugements étaient durs, sur toutes choses il avait des opinions bien tranchées qu'il modifiait sur-le-champ si ses interlocuteurs tombaient d'accord avec lui.
Peu après, il se mit à pleuvoir, d'abord très innocemment, mais le ciel était chargé de nuages et peu à peu les gouttes grossirent et se firent plus lourdes, jusqu'à ce que la pluie d'automne emplisse le ciel de son pesant murmure, qui dans sa tristesse évoque une cascade sans fin au-delà du monde.
Jamais les cantiques ne semblent plus longs qu'aux temps de l'enfance, jamais leur pays et leur langue ne sont plus éloignés de l'âme. Dans la vieillesse, c'est l'inverse, les jours sont trop courts pour les cantiques. Dans ces antiques poèmes pieux farcis de latin que la vieille femme avait appris de sa propre grand-mère se cachait un autre monde ; leur rythme accordé à la marche du rouet, c'était sa musique, à laquelle elle se soumettait jusqu'à ce que la pièce se fut déplacée vers les horizons de l'éternité, fil rompu, mains reposant dans son giron, rouet silencieux. [...] Puis elle réveillait le gamin.
[Halldor LAXNESS, "Gens indépendants" ("Sjalfstaett folk"), 1934-1935, traduit par Régis Boyer pour la Librairie Arthème Fayard, 497 pages, 2004 – Deuxième partie : "Libre de dettes", chapitre XXV : "JOURNEE", page 169]
Doucement, doucement, le jour d'hiver ouvre son oeil nordique.
A partir du moment où il soulève ses lourdes paupières pour la première fois jusqu'à ce qu'il les ait ouvertes complètement, ce ne sont pas seulement des heures qui s'écoulent, non, les âges se succèdent à travers les insondables étendues du matin, monde après monde, comme dans les visions d'un aveugle, réalité après réalité, puis elles n'existent plus – le jour se lève.
[Halldor LAXNESS, "Gens indépendants" ("Sjalfstaett folk"), 1934-1935, traduit par Régis Boyer pour la Librairie Arthème Fayard, 497 pages, 2004 – Deuxième partie : "Libre de dettes", chapitre XXIV : "MATIN D'HIVER", page 151]