Odregan, tome 1 : S'ils me connaissaient

[Initialement publié dans C'est pour ma culture]

Le coeur : « C'est du génie ! »
Le cerveau : « C'est trop teubé ! »
Le coeur : « C'est du génie ! »
Le cerveau : « C'est trop teubé ! »
Le coeur : « du génie ! »
Le cerveau : « Trop teubé ! »
Bonjoir à tout le monde, et comme vous pouvez le voir ci-dessus, c'est le grand débat sur C'est pour ma culture. Nicolas le Breton avait déjà secoué le blog avec Les jardins du feu et du vide, que j'avais adoré et détesté en raison de son worldbuilding démesuré auquel se heurtait une intrigue sans queue ni tête et des personnages en carton-pâte. Restait une sorte de blockbuster sur papier où non seulement l'Humanité explose mais aussi le budget, et avouons-le, une bonne partie du scénario.
C'est alors que débarque prochainement une nouvelle dans le même cycle, Odregan #2, sous-titrée Quantique des souffrances, acclamée par sa maison d'éditions : « encore une fois Nicolas le Breton nous montre l'étendue de son imaginaire et sa très grande maîtrise du genre ». L'occasion pour moi de se plonger dans Odregan #1, sous-titré S'ils me connaissaient, s'intéressant au passé de la mystérieuse créature que nous avions croisée sur l'Ico. Reste à voir si ce texte saura redorer le blason de la saga…
Alors ? Est-ce que c'est mieux ? Eh bien, clairement, on sent qu'il s'agit d'un texte bien mieux écrit, bien plus prometteur, mais qui reste encore très critiquable sur un plan analytique.

A Trippy Trip to Pluto

S'ils me connaissaient se veut donc une antithèse des Jardins du Feu et du Vide, où Odregan n'apparaît plus comme une entité inaccessible quasi-divine, mais où nous nous positionnons de son point de vue et où celui-ci devient clairement vulnérable. Celui-ci voyage à travers les possibles, l'espace et le temps afin d'échapper à de mystérieux poursuivants à la Matrix, quand soudain il croit retrouver la mystérieuse Veen. Mais Odregan est persuadé de l'avoir tuée des millions d'années plus tôt…
Disons-le, le récit est ici mieux structuré : on a une trame à laquelle on se tient, plutôt que l'éparpillement coucou je fais du post-apo / coucou je suis aventurier de l'espace / coucou je voyage dans le temps / coucou scène de Q gratuite : Odregan tente de survivre, point. Et ce sans négliger toute la poésie et le gigantisme de son univers : Nicolas le Breton a un très bon style comparé au reste des productions françaises SFFF, vif et direct sans pour autant en oublier la poésie, loin de là.
Preuve en est d'ailleurs du rythme contemplatif du récit paradoxalement scandé par des chapitres très courts ; ça rappelle non sans plaisir 24 vues du Mont Fuji, par Hokusai. On se retrouve au final avec un véritable voyage halluciné, une expérience pour le cerveau, un peu comme si le texte s'était dopé à la psylocibine avant de s'écrouler sur une montagne de LSD. Et disons-le, c'est magnifique ! Les paysages et les époques défilent trop vite pour qu'on puisse les saisir, on traverse des mondes terriblement vastes en ayant juste le temps de s'émerveiller, non sans se poser quelques questions sur la fiabilité de ce narrateur dont nous ne connaissons rien. le lecteur quant à lui ne risque ni addiction ni problème de santé.
S'ils me connaissaient est donc une fois de plus un vrai plaisir de lecture et qui prouve une fois de plus qu'en France, on a rien contre la SF à gros budget, ni la SF contemplative, et que même que les deux peuvent être combinés. On y retrouve l'idée de « texture d'histoire » que j'évoquais voilà quelques jours, avec comme fond une conquête spatiale dont nous ne découvrons que les bribes par chronologie fragmentée. Et rien que pour ça, il s'agit d'un très, très bon texte.

Mais alors, qu'est-ce qui va pas ?!

Là où le bât blesse, c'est qu'Odregan #1, eh ben… il fait partie du cycle d'Odregan. Là où Les Jardins du Feu et du Vide esquissaient le début d'une mythologie autour d'un personnage-clé de voûte, l'altérité ultime, le dieu inaccessible, S'ils me connaissaient vient déconstruire tout ça de manière parfois maladroite. La pertinence de cette démarche, les pièges où ne pas tomber ? On voit ça tout de suite, et mon Dieu, je commence à vraiment trop ressembler à un présentateur télé.
Je n'ai rien contre l'idée d'humaniser Odregan. le radicalement Autre en SF a déjà été exploré par des monstres de la culture contemporaine (Alien et Solaris, pour ne citer qu'eux) et je me suis fait la réflexion il y a peu que si l'on avait tenté d'explorer ce type d'Autre et un Autre accessible, on n'avait jamais fait d'entre-deux : un être duquel nous pourrions comprendre les rudiments, mais tellement étranger et tellement puissant que l'Homme, héros ou lecteur, se verrait incapable de saisir pleinement, créant ainsi occasionnellement une vallée de l'étrange que laissait présager sa forme humanoïde.
Odregan #1 ignore ce dernier point, mais vient confirmer la démarche des Jardins : celui-ci est toujours conçu, consciemment ou non par l'auteur, pour nous rappeler les dieux antiques puissants empreints de mystère et de majesté. Jusqu'à un certain point. Odregan jure comme un charretier, il semble avoir un passé humain, et pire que tout, il utilise de la technologie, comme si ses pouvoirs ne suffisaient pas à eux-même. L'histoire semble ainsi se contredire, et la phrase finale l'achève en beauté mais sans nous faire oublier que celui que nous prenions pour une figure mythique extraterrestre et/ou divine n'est peut-être au final qu'un simple mortel pris dans un barouf psycho-cosmique.
Mais pire que ça, c'est l'univers lui-même qui semble se contredire ; vous savez que Veen est une alliée d'Odregan si vous avez lu la novella, alors qu'est-ce qui a pu lui arriver ici ? le texte n'offre pas d'explications là-dessus, et encore moins sur les poursuivants, en-dehors d'une fin cryptique qui sous-entendrait qu'Odregan est un être pluriel, mais qui voudrait quand même éliminer une partie de lui-même… Enfin bref, on sent que Nicolas le Breton veut bien nous faire une histoire, mais qu'il nous la vend en petites coupures. Sans la garantie que le tout soit cohérent.

Conclusion

S'ils me connaissaient est donc un texte plein d'ambition et de démesure, et dont la beauté me fait presque oublier des choses que je ne pardonnerais pas à d'autres oeuvres. On ne sait pas où va le cycle, quand bien même celui-ci s'avère un merveilleux divertissement. La sortie de Quantique des souffrances sera donc peut-être la possibilité pour Nicolas le Breton d'aller au-delà du simple statut d'écrivain pour devenir l'auteur confirmé qu'il semble souhaiter être. L'étendue de son imaginaire ? Convaincu à 200%. Sa très grande maîtrise du genre ? Je demande à voir.
Sur ce, j'ajoute que cette très bonne lecture de l'été est trouvable sur liseuse à 1€ seulement, desservi par une police agréable quoiqu'avec des alinéas microscopiques qui me font vraiment me demander qui supervise les textes numériques. C'est court, ça glisse tout seul, et puis après tout, c'est pour votre culture…
Lien : https://cestpourmaculture.wo..

Tout petit premier tome d'un récit de SF. le fameux mystère des contradictions avec les voyages dans le temps. L'homme poursuivi à travers le temps, qui est un et plusieurs, qui est partout. Déroutant.