Citations sur Du tout au tout (49)
Il affichait un sourire de circonstance. Son visage était tellement peu habitué à la gentillesse que sa bouche ressemblait à une cicatrice fraichement rouverte. Je m'attendais à en voir couler une petite goutte de pus ou quelques humeurs verdâtres. Rien n'est venu. Ce type me semblait sensible comme une barre à mine. Le planter au sommet d'une boîte travaillant sur l'humain était aussi judicieux que de donner à Judas le premier rôle d'un biopic sur Jésus.
Rien qu’en cinéma, notre ami De La Mer a produit sept Palmes d’or, douze César du meilleur film, trois Oscars du meilleur film étranger. Il a eu tellement d’Ours à Berlin et de Lions à Venise qu’il pourrait repeupler les Alpes.
- (..) Au fait, comment tu t'appelles ?
- Pierre.
- Pierre comment ?
- Pierre Pierre.
- Ça craint comme nom.
- C'est le mien.
- Tu vas pas m'obliger à m'appeler Muriel-Muriel ?
- Non. J'ai mieux. Je pensais à Mu-Mu.
Votre histoire je vois ça comme les modes des tatouages… Ça va, ça vient. Tous les peigne-culs ont commencé par se tatouer des dauphins, puis des fées Clochette… Après, on a eu droit à des motifs de tribus samoas, encrés à tour de bras sur le corps de couillons qui n’étaient jamais allés plus loin que Le Touquet ou La Ciotat. Quelques années plus tard, est venue la vogue des idéogrammes chinois… Un joli boulot de gougnafiers… On en a repeint les nuques de wagonnets de connasses qui considèrent que la Chine c’est tout ce qui est à droite de Berlin. Vous n’imaginez pas le nombre d’imbéciles qui sont convaincues d’avoir écrit sur la couenne « La sagesse est l’arme contre la violence » et qui en fait annoncent fièrement « Le restaurant Le Lotus Bleu est fermé pour travaux jusqu’à la fin août »
— Je te laisse parler "arts" avec Pérol?
— Il s'en fout?
— Oui et non. Je lui ai demandé quel était son peintre préféré... Il a répondu: "Monet avec un Y à la fin".
(...)
— Les gars, si vous avez une photo du Poséidon qu'on aimait bien, mettez la de coté. C'est parti pour plus être tout à fait pareil. Dites moi Maïté, on embaucherait pas quelques types pour me filer la main? (...)
— T'en as parlé à Pérol?
— Bien sur. Il m'a dit qu'il comprenait mon claim et qu'il allait faire un benchmarking avec les autres filiales du groupe. S'il estimait que j'avais besoin d'helpers, il me ferait un feedback.
— Et donc?
— J'attends de savoir ce que ça veut dire...
– Ça va ?
– La routine. Le troisième mort de la semaine. Je dis pas qu’on s’habitue mais on s’acclimate.
– Ça fait une paye…
– Je pensais que tu m’en voulais.
– D’être con, lâche et pétochard ? Non. T’y es pour rien. T’es né comme ça.
[…]
Elle le pensait vraiment. Dans la logique de Muriel, une merde n’a pas à s’excuser d’être une merde. C’est une merde, c’est tout.
Contre toute attente, Didier, le réalisateur son de l'album de Muriel, était assis devant la faille, un casque sur les oreilles. Il était devenu beau ce con-là. Quand je me rappelle la touche qu'il se trimballait avant que Muriel le transforme... On était dans le même niveau d' "avant-après" que dans les cas suivants : crapaud-prince charmant, bulbe-tulipe, Mickey Rourke-Mickey Rourke.
La jeune femme chantait pour elle-même un air saturé d'émotions. Il y avait du Billie Holiday dans cette mélopée. Elle avait un grain dans la voix qui abrasait la rugosité des jours. Elle prenait pour elle le trop-plein, l'infect et l'insoutenable, et elle le transformait en chant. Elle prenait ça à sa charge comme pour en libérer l'auditeur. Sa douleur, c'était notre cadeau.
Muriel ne sait être qu’inoubliable. Il y a toujours un avant et un après elle. Elle ne traverse pas sur les clous. Elle ignore le tiède, le fadasse, la norme. Toute la bien-pensance qui demande aux gens d’être carrés, pour être plus faciles à empiler.