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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Voilà bien longtemps que je n'avais plus lu de livre d'Ursula le Guin. J'avais été un peu refroidie par la lecture de « Terremer » (la trilogie) et « Le commencement de nulle part ». Néanmoins, il me restait Lavinia dans ma pàl et à l'annonce du décès de l'auteure, j'ai proposé à Siabelle de le lire ensemble pour lui rendre hommage.  J'en suis heureuse car cette lecture m'a « réconciliée » avec l'auteure. Ce livre est un coup de coeur à 5 étoiles.
 
Lavinia est la troisième femme qu'a aimé Enée, le prince toyen de l'Énéide de Virgile. Quand on connaît bien cette oeuvre classique (dans les grandes lignes pour ma part), on sait plus ou moins ce qu'il va se passer. Comme elle le signale dans sa postface :

Voilà donc l'histoire d'Enée revistée par sa femme. Et quelle femme ! J'ai vraiment adoré la façon dont Ursula le Guin a construit le personnage de Lavinia. C'est bien simple, c'est un personnage qui va me rester longtemps en mémoire.

J'ai trouvé tous les personnages fort bien dépeints et même si on connaît les grandes lignes de l'histoire il y a du suspense, de l'action, de l'émotion, …

Mention spéciale à l'écriture que j'ai trouvé sublime.

J'ai trouvé que l'auteure n'avait en aucun cas dénaturé l'oeuvre de Virgile, elle m'a même donné envie de lire l'Énéide ^_^

Voilà, je ne vais pas en dire plus. Je vais vous laisser le plaisir de la découverte…

Et surtout, n'oubliez pas d'aller lire la critique de Siabelle ;-)




Plumes féminines 2018 – Un roman de fantasy
Challenge défis de l'imaginaire (SFFF) (96)
Challenge multi-défis 2018 (37)
Challenge une année avec Ursula le Guin et Poul Anderson (2018)
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Lavinia est une héroïne qui porte bien le nom, de ce roman. En fait, c'est un grand livre que nous offre la dame Ursula le Guin. Je suis très triste d'apprendre son décès de cette grande dame. Il est survenu le 22 janvier 2018, c'est très récent. C'est aussi pour cela, que moi et Frifildi, on choisit ce roman, pour lui faire un hommage.

Ce livre remporte aussi le prix locus du meilleur roman fantasy en 2009.

Intriguant, Envoûtant, Angoissant

Lavinia c'est un livre indépendant, je ne pense pas, qu'on doit avoir lu ses autres romans. C'est vrai, que la lecture se fait vraiment d'elle-même, tu es subjuguée par son écriture vraiment exquise, elle y ajoute de la poésie qu'elle y insère merveilleusement bien. Elle maîtrise très bien l'art d'ajouter des morceaux d'histoire autour de son récit. À la toute fin du roman, elle réfère les documents et les livres, dont qu'elle se sert pour son histoire. Je remarque aussi qu'elle fait des retours en arrière, et je constate quelques longueurs, mais ça n'enlève rien à ma lecture.

On suit vraiment avec enthousiasme, son héroïne, dès son plus jeune âge. On la voit évoluer, au cours des événements, qui se défilent. Elle essaie également de survivre, dans cet univers difficile, à côté de sa mère. C'est en grande partie dédié à la guerre, au rang et au lien familial. J'avoue qu'il peut y avoir des périodes, qu'on se demande, ce qui va arriver, quand Lavinia quitte le domaine et par la suite, lorsque la guerre est présente. On s'interroge sur les conséquences pour Lavinia et les habitants. Tu te sens vraiment proche d'elle et on ressent bien ses états d'âme.



C'est sûr qu'on voit d'autres protagonistes, qu'ils jouent un rôle dans l'histoire. Pour les personnes, qui aiment l'histoire, on peut approfondir notre lecture, en alternant avec les documents cités, à la fin. Le poète est également d'une grande importance. C'est vraiment intéressant, de voir le déroulement de l'histoire, jusqu'à la fin. On s'aperçoit que Lavinia est vraie et elle fait ce qui est juste, peu importe son rang. C'est pour cela, qu'à mes yeux, Lavinia est un grand personnage, et c'est la signature de ce roman. Dans ce livre, ce qui fait aussi, la force d'Ursula le Guin je reconnais bien sa marque car elle transmet bien ici son amour pour la nature, pour les animaux et aussi la fraternité qui se dégage entre ses personnages. C'est ce que je retiens vraiment de l'histoire.

Je remercie vraiment mon amie Frifildi, pour nos échanges, au cours de sa lecture. L'auteure Ursula le Guin est toujours une de mes auteures préférées. Sa biographie est vraiment impressionnante ainsi que ses nombreux prix, qu'elle reçoit. Je pense que tout lecteur, peut trouver des livres, qu'il peut lui plaire, selon ses goûts. Je vais continuer de lire ses histoires pour qu'elle vivre, à travers ses livres et qu'on ne l'oublie pas tout simplement.



Pour terminer, c'est vraiment une écrivaine, que j'admire son talent de conteuse, avec son imagination débordante et sa plume poétique. Elle possède vraiment sa façon à elle, de nous écrire, ses propres histoires. On distingue très bien le travail de recherche, qui s'effectue derrière le récit. Je n'oublierai pas surtout, la magie des mots, le langage de la musique, dans ce livre. Je ressens vraiment la beauté, aux creux des lignes. Je suis certaine que Lavinia viendra toucher le coeur, de tout lecteur. Je considère que c'est une très belle lecture et on parcourt bien des chemins, en compagnie de Lavinia.

C'est un grand livre, à cause de l'histoire, qui y habite une héroïne, qui se laisse porter, par la plume délicieuse de l'auteure. Je fais juste une analyse de mes ressentis et non sur le côté historique de l'histoire, je pense que d'autres chroniques le font déjà.

Je conseille d'aller lire la critique de mon amie Frifildi. Je te remercie pour notre amitié et ce beau partage, autour de ce livre.

Challenge une Année avec… Ursula le Guin et Poul Anderson (2018).

Siabelle
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« C'est mon poète qui m'a rendue réelle. Avant qu'il écrive, j'étais une silhouette perdue dans la brume, guère plus qu'un nom dans une généalogie. »

Cette silhouette perdue, Lavinia, est la seconde épouse du célèbre troyen Énée dont Virgile a fait le récit. le poète la mentionne, mais ne lui accorde que peu d'importance dans l'histoire.

« S'il me faut continuer à exister au cours des siècles, qu'une fois au moins je me libère et que je parle. » (Lavinia)

Et c'est la grande Ursula K. le Guin qui décide, par sa plume et avec talent, de lui donner la parole. J'ai pris beaucoup de plaisir à suivre Lavinia, son histoire, ses joies et ses peines. Tout en poésie, l'auteure nous immerge agréablement dans le décor naturel du Latium, nous fait découvrir les croyances et cultes d'alors, les alliances et rivalités entre les différentes communautés (Latins, Rutules, Volsques, Etrusques…). On voit à quel point les croyances dans les divinités, avec les oracles et les prophéties, organisent la journée de chacun, mais aussi régissent les activités suivant les saisons.

Dans son postface, l'auteure indique qu'elle s'est inspirée des six derniers chants de L'Énéide pour écrire son roman. Personnellement, je ne peux juger quelle part de liberté a prise madame Le Guin car je n'ai pas lu L'Énéide, mais elle m'a facilement emportée dans cette histoire et me donne à présent envie de découvrir ce classique. Elle parle de son point de vue de « traduction partiale, marginale, mais au moins en intention, fidèle.»

« Je ne mourrai pas. De cela je suis presque certaine. Ma vie est trop contingente pour conduire à l'absolu de la mort. »

Et c'est clair que Lavinia ne s'éteindra jamais dorénavant grâce à ce magnifique roman qui reçut le Prix Locus en 2009 et lui sert d'écrin.

Challenge Livre Historique 2020
Challenge multi-auteures SFFF 2020
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Un voyage dans une petite portion de l Italie, le Latium, là où surgira Rome la cité éternelle. Le Guin nous entraîne dans la magie de ses mots à la rencontre d une destinée, celle de Lavinia, une héroïne muette de l Histoire.
L ombre du poète Virgile plane dans le bois sacré, révélant à Lavinia le destin du grand héros Enee, fils d'Anchise, prince troyen et survivant de la Grande Guerre de Troie.
La violence qui terrasse les guerriers, la recherche d une terre pour des exilés, l intégration par les rites sacrés, la construction d un monde en devenir sont les fondations de cette histoire.
Une épopée tragique qui mêle douceur et violence à travers le regard d une femme.
Un très beau roman qui nous invite à ce voyage dans notre héritage culturel comme nous le dit si bien Ursula K. le Guin:"Depuis que j en ai lu histoires et légendes, je suis attirée par Rome. Pas l Empire décadent des sagas télévisées mais la Rome primitive : la République sombre et simple, un forum non de marbre mais de bois et de brique, un peuple austère doué d un sens aigu du devoir, de l ordre et de la justice ;(.....)Ils étaient frustes, brutaux, très différents de nous, mais il est difficile de les voir comme véritablement étrangers, quand une si grande part de notre héritage culturel vient directement d eux, la moitié de notre langue, de nos concepts juridiques...et peut-être aussi certaines valeurs sévères mais raffinées : la loyauté, la réserve et le sens des responsabilités qui habitent le héros de Virgile. "
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Après la déception du chant d'Achille de Madeleine Miller, c'est avec beaucoup de méfiance que j'ai découvert la lecture de Lavinia, d'Ursula K. Le Guin. J'avais peur d'être de nouveau déçue et heureusement, ce ne fut pas le cas. Lavinia est un personnage à peine mentionné dans l'Eneide , écrit par notre ami Virgile et en faire le personnage principal de l'histoire me paraissait plus qu'intéressant. On en apprend plus sur sa famille, sa rencontre et son mariage avec le troyen Enée, mais aussi la société des peuples latins vivant dans la péninsule italique avant de devenir celle des Romains. le roman se présente sous la forme d'une autobiographie de la jeune femme où elle s'affirme en tant que femme et non pas seulement personnage tertiaire du poème de Virgile. Une belle oeuvre à se procurer!
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J'avais été plus que séduite par "La main gauche de la nuit". Voyant son ouvrage "Lavinia" en promotion chez l'Atalante, je me suis de nouveau plongé dans un roman d'Ursula le Guin, cette immense dame de la science-fiction. Me voilà partie pour un voyage mystique dans une Italie païenne et oubliée, aux côtés d'une femme à peine mentionnée dans l'Enéïde. Qu'en ai-je pensé ?

Comment commencer sans évoquer la finesse de l'écriture de l'autrice ? Comme toujours, elle nous offre un style fluide et poétique qui nous entraîne dans un monde aux coutumes étranges traversé de passages oniriques immersifs. La plume d'Ursula le Guin est racée et précise. Sans tomber dans le décorum excessif, elle parvient à trouver un équilibre entre introspection, action et contemplation. Il y avait longtemps que je ne m'étais pas noté des citations à retenir, et ici, l'histoire regorge de passages marquants. Parfois on est touché par la beauté, d'autres fois par la justesse des réflexions sur la mort, la mémoire dans l'écriture ou le destin.

L'histoire en elle-même se place en complément à Virgile, mettant en avant un personnage à peine mentionné dans l'oeuvre du poète. L'atmosphère construite par l'auteure est fascinante. Elle a sûrement mené de nombreuses recherches sur les croyances de cette Rome archaïque, encore peuplée par les Étrusques. Elle nous montre un peuple profondément pieux et attaché à ses valeurs, une contrée dépaysante. On retrouve ici la capacité de l'autrice à créer une vision anthropologique crédible comme ce fut le cas pour ses oeuvres de science-fiction, qui ici lui sert à ranimer une culture que l'on ne connaît que peu, dans ses rites comme ses traditions.

Lavinia en elle-même est un personnage très bien écrit. Ursula le Guin démontre une fois de plus à quel point son écriture est capable de transcrire même les nuances les plus complexes du caractère humain. Fille de Roi qui sut faire face à tous pour imposer son destin, on suit un roman d'apprentissage, du passage d'enfant libre et insouciante à jeune femme à marier pour le bien de son royaume. Cette partie soulève d'ailleurs un aspect spécifique de la condition féminine : le fait que les femmes soient rarement libres de leurs destins et se retrouvent échangées comme du bétail pour servir la politique de leurs pères. le fait que les femmes soient souvent enchaînées et enfermées, comme si leur caractère changeant menaçait constamment l'ordre social.

Bien sûr, les autres personnages, bien que moins présents, disposent tous d'une force et d'une personnalité propres. Amata, la mère rendue folle par la mort de ses fils, les orgueilleux prétendants, le Roi Latinus, sage et fort sauf face aux femmes de sa vie... Et bien sûr Enée, le grand héros. Brutal dans la guerre, bon père de famille, homme qui n'hésite pas à pleurer ou à être doux.

Je regrette simplement quelques longueurs, mais rien de gênant face à un roman qui se révèle être d'une grande originalité ! Lavinia ravira les amateurs de femmes fortes, car la protagonistes est une personnalité marquante, de même que les amateurs d'écritures poétiques.


Lien : https://lageekosophe.com/
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"Je me souviens des paroles d'Énée comme je me souviens des paroles du poète. Je me souviens de chaque mot parce qu'ils sont le tissu de ma vie, la trame sur laquelle je suis tissée. Toute ma vie, depuis la mort d'Énée, pourrait passer pour un tissage arraché du métier avant d'être achevé, un fatras de fils sans rime ni raison, mais ce n'est pas le cas ; car mon esprit, comme la navette, revient sans cesse au point de départ, retrouve le motif et le poursuit. J'étais une fileuse, pas une tisserande, mais j'ai appris à tisser."

Des perles poétiques digne de pouvoir figurer dans l'Énéide. Et au vu des nombreuses fois où Lavinia interpelle celui, son poète, qui ne l'a citée qu'à une douzaine de reprises (que j'ai mentionnées en citation de l'Énéide), il y a matière à développer,

Petit rappel contextuel quand même :

Virgile, c'est sans doute le plus célèbre des poètes latins : après avoir écrit les Bucoliques, recueil de poèmes pastoraux inspirés du grec Théocrite, et les Géorgiques qui renouvellent la veine didactique inventée par Hésiode dans Les Travaux et les jours, il a ravi à Ennius son titre d'alter Homerus, « autre Homère », avec l'Énéide.
L'Énéide c'est épopée en douze chants, que la mort, semble-t-il, a empêché le poète de parachever comme il le souhaitait, s'inscrit ostensiblement dans la tradition homérique qu'elle prolonge : l'Énéide en effet appartient au cycle troyen et rapporte les aventures d'Énée après la chute de Troie.
À l'inverse d'Ulysse, c'est l'Odyssée du héros troyen que relate d'abord Virgile dans les six premiers chants, consacrés son errance sur la mer, puis son Iliade, belliqueuse et conquérante, dans les six derniers qui font le récit de la guerre suscitée dans le Latium par son mariage avec Lavinia, fille du roi Latinus.

En clair là où l'Iliade et l'Odyssée sont les épopées grecques fondatrices
L'Énéide est l'épopée romaine fondatrice

Si Énée est un nouvel Ulysse, descendant aux Enfers pour y consulter son père Anchise, c'est aussi le père mythique des Romains à travers son fils Iule (aussi appelé Ascagne), fondateur de la ville d'Albe et de la dynastie des rois albains dont est issu Romulus.
Écrite au moment de l'avènement du nouveau régime augustéen, l'Énéide constitue une épopée nationale, à la gloire du peuple romain :
Jupiter y prédit sa grandeur future,
Énée voit défiler devant lui dans les Enfers les âmes des héros à venir
Son bouclier, forgé par Vulcain, représente les hauts faits des héros romains (j'ai une préférence pour "l'univers sur une bouclier écrit par Homère dans l'Iliade - Chant XVIII / 484 - 617) ;
Son union avec la troyenne Créüse ;
L'épisode passionné avec la carthaginoise Didon;
Et enfin, son mariage avec la latine Lavinia

Tous ces épisodes ont pu être interprétés comme la préfiguration de l'empire romain, et la légitimation de son extension jusqu'en Afrique et en Asie Mineure. Ancêtre du peuple romain, Énée est aussi celui de la gens Iulia à laquelle appartient Auguste qui, après un siècle de guerres civiles, a ramené la paix et transformé la République en Principat, régime monarchique appelé à devenir l'Empire. C'est aussi ce dernier, de manière indirecte, que chante l'Énéide, dans un jeu d'écho entre passé mythique et présent : la pietas d'Énée est ainsi celle du Princeps, vengeur du meurtre de César et restaurateur des valeurs romaines traditionnelles.

Une tragédie intemporelle, tellement intemporelle qu'il semblerait que de nombreux

Alors pourquoi s'intéresser au personnage secondaire d'un autre auteur ? Lavinia était une figurante, à peine mentionnée au détour d'un vers. Une fille de roi, mais sans voix, objet d'une guerre comme on les faisait alors dans l'Antiquité. Mais en relisant Virgile, Ursula le Guin a entrevu, au détour du Livre XII, cette silhouette inachevée. Comme un cri étouffé par son démiurge. Une vie tuée dans l'oeuf. Et elle l'a reprise à son compte, avec toute l'admiration qu'elle porte à l'Enéide de Virgile.

C'est bien là toute la force de ce livre, prendre une histoire héritée de l'antiquité romaine, trop vite achevée. Car avec Lavinia, troisième passion d'Enée, arrive la fin de l'odyssée. La fin du voyage également pour le poète. L'Enéide a été écrit pendant les dernières années de sa vie et il est considéré comme inachevé. Virgile aurait même préféré qu'il soit brûlé

Chez Lavinia, de surcroît, il y a le filigrane d'un destin de reine. «Mais elle est là, il y a une personne qui pourrait être un personnage, évidemment, et qui pourrait en être un puissant, expliquait Ursula K. le Guin en 2009. Elle est la mère de Rome. J'en suis donc venue à me dire, qu'est-ce qu'elle pense de tout cela ? Ils sont tous les deux poussés par les oracles, et le destin, et nous savons ce qu'Enée pense à ce sujet, mais nous ne savons pas ce qu'elle pensait. Donc, elle est devenue une héroïne dans mon esprit, et puis elle a commencé à me parler, à la manière des personnages qui ont une histoire à raconter. Dès lors, il suffisait d'écouter.»

Lavinia a pris corps, s'est même transformée en une narratrice. Dès les premières pages du roman, la jeune fille entre en scène, accapare l'espace, tient le rôle leader. C'est elle la première qui voit approcher les navires troyens des côtes de Latinium. Elle qui voit arriver Enée, debout à la proue, annonce de l'accomplissement de son destin. Ursula K. le Guin a d'emblée renversé la vapeur. Changé l'angle de vision.

Virgile est lui-même convoqué, sous la forme du poète qui rend visite à plusieurs reprises à Lavinia. C'est un fantôme venu du futur, qui reconnaît sa négligence à son égard. «Tu n'es presque rien dans mon poème, presque personne, lui dit-il. Une promesse non tenue. Impossible de réparer, à présent, d'emplir ton nom de vie comme je l'ai fait pour Didon.» C'est trop tard pour Virgile.
Pas pour Ursula K. le Guin, écrivain de l'imaginaire, qui fait se rencontrer le poète et sa création près des grottes sacrées d'Albunea.

Deux tiers du livre nous sont connus, car ils émanent de Virgile lui-même , le dernier tiers est un saut dans l'inconnu.
Mais qui saute dans l'inconnu l'héroïne ou l'auteure, tant elles se confondent :

"Non, mais il l'a laissé inachevé.
Ne m'as-tu pas dit cela, mon poète ? Ici, dans le lieu sacré où l'eau nauséabonde jaillit de sous la terre pour former des bassins sur la terre, où les étoiles brillent entre les feuilles. Tu as dit une fois qu'il n'était pas terminé et qu'il fallait le brûler.
Pourtant, à la fin, tu as dit qu'il était achevé. Et je sais qu'on ne l'a pas brûlé. J'aurais brûlé avec.
Mais que dois-je faire à présent ? J'ai perdu mon guide, mon Virgile. Il me faut continuer, parcourir seule tout ce qui reste après la fin, tout le reste du monde immense, confus, illisible.
Que reste-t-il après une mort ? Tout le reste."

Absolument magnifique et divin.... Agée de 81 ans, Ursula jugea Lavinia comme le meilleur roman qu'elle ait jamais écrit. J'avoue ma méconnaissance de ses autres livres, mais celui-ci est absolument sublime, elle a réussi à tresser un roman sur le mode d'un poème, rendant hommage à la fille du roi Latium, Lavinia, venue de l'Antiquité, celle qui manquait d'épaisseur et de personnalité, celle qui n'était qu'une ombre du décor.
Et surtout répondant de manière magistrale au poète, à près de 2000 ans d'écart à cette inquiétude "Oh, ma chère, a-t-il dit toujours aussi doucement. Mon inachevée, mon incomplète, mon inaccomplie. Reviens encore une fois."
Grâce Ursula K. le Guin la voilà revenue en un somptueux hommage....
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Personne ne se souvient de Lavinia. Dans l'Énéide de Virgile, elle est moins qu'un personnage secondaire. Celle qui deviendra l'épouse d'Énée n'apparait qu'une fois, pour disparaître aussitôt du poème. Dans ce roman qui porte son nom, Ursula K. le Guin nous raconte son histoire.

Lavinia est un magnifique roman, un texte qui allie la poésie et le souffle épique, un bel hommage à l'oeuvre de Virgile. Lavinia est également un beau personnage. Celle qui n'était que "la fille du roi du Latium" sous la plume du poète prend vie sous celle de la romancière. Lavinia est une femme touchante, sensible, volontaire, pieuse, une personnalité complexe et attachante, que l'on se plait à suivre.

Mais le roman ne se résume pas à la princesse du Latium. es autres personnages sont décrits avec autant de nuances, qu'il s'agissent de la reine Amata, du roi Latinus, de Turnus, d'Ascagne... et bien sûr d'Énée. le héros, sans rien perdre de sa légende, gagne en profondeur et en humanité.

La romancière prend également un soin tout particulier à nous décrire la région et la société latine pré-romaine. Elle explique dans la postface que : "Virgile peint ce monde plus raffiné qu'il ne l'était ; moi, moins primitif. Parce que lui comme moi, je pense, voulons que ces gens soient des Romains – au moins des Romains en devenir." le Latium de ce roman n'est donc pas le Latium historique, mais il sonne vrai, et c'est l'essentiel.

Il existe une formule que tout le monde connait, d'une grande banalité mais qui me semble bien adaptée ici : "Qu'importe la destination, seul compte le voyage". En effet, oracles et présages jouant un grand rôle dans le roman, Lavinia - tout comme le lecteur - est informée à l'avance de certains évènements capitaux à venir. Malgré cela, l'histoire captive tant elle est bien racontée.

J'ai lu l'Énéide il y a très longtemps. Je me rappelais d'Énée portant son père sur le dos lors de la chute de Troie, de sa rencontre avec Didon de Carthage, de sa descente aux Enfers, et d'innombrables et confuses batailles dans le Latium. Je ne me souvenais pas de Lavinia.
Grâce à Ursula K. le Guin, maintenant je la connais.
Lien : http://lenainloki2.canalblog..
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Ursula K. le Guin a pris quelques lignes dans l'Eneide et en a tiré un roman brillant, poétique, traversé de cent thèmes, et fort dépaysant. Si cela ce n'est pas du talent!
Mais je commence par la fin.
Qui est Lavinia? Lavinia est une princesse du Latium qui épouse Enée quand celui-ci, au terme de quelques années de pérégrinations à travers la Méditerranée, atterri avec son fils et leurs compagnons sur les rivages italiens après la chute de Troie. Voilà ce qu'en dit Virgile. Et voici tout ce qu'en dit Virgile.
C'est un peu court, jeune homme, semble s'exclamer Mme le Guin et elle tisse à partir de ces quelques lignes un roman délicieux où Lavinia prend la parole et déroule pour nous sa vie à cette époque encore plus antique que l'Antiquité, où elle court vers les bois sacrés pour y rencontrer la futur ombre de Virgile, où la bêtise des hommes donne des guerres inutiles et où malgré ou grâce aux efforts des femmes, le destin se tisse.
Un très grand roman historique.
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Dans l'Enéide, Virgile ne la cite qu'une fois. Jamais il ne lui donne la parole.

Lavinia, c'est l'histoire de cette princesse latine qu'Enée épouse en dernières noces; c'est sa voix qui nous conte cette histoire. Car telle une conteuse, elle déroule le fil de l'histoire, son histoire, qui est aussi celle du Latium.

Réparant l'oubli de Virgile, Ursula K. le Guin nous brosse l'époustouflante fresque qui n'est qu'évoquée dans l'Enéide. L'histoire en elle-même est captivante, et extrêmement documentée; pas seulement parce que des cartes du Latium sont disponibles, mais parce qu'on sent que toutes les questions ayant trait aux rites, aux conflits, ou à la vie domestique ont été méthodiquement examinées. Mais il ne s'agit pas cependant d'un reportage; s'il y a foule de détails, ils servent surtout à élaborer un univers fouillé, et des personnages bien campés.

Le récit est doublé d'un second niveau: celui de la réflexion sur l'écriture. Car dès les premières pages, Lavinia nous place face à cette constatation insondable : "Je suis certaine qu'une femme portant mon nom, Lavinia, a bien existé, mais elle a sans doute été si différente de l'idée que j'ai de moi, ou de l'idée que mon poète a de moi, que penser à elle ne réussit qu'à me perturber. A ce que j'en sais, c'est mon poète qui m'a rendue réelle."

Consciente d'avoir été injustement oubliée par un Virgile mourant, Lavinia nous conte elle-même les événements qui ont constitué sa vie, s'affranchissant au fur et à mesure de l'influence du poète. Tant et si bien qu'on ne sait plus trop qui influence qui. Est-ce Virgile qui permet à Lavinia d'exister, en lui révélant les grandes phases de la vie d'Enée, ou est-ce Lavinia qui permet à Virgile de ne pas mourir en se rendant à l'autel d'Albunea? Telle est la mise en abîme que distille Ursula K. le Guin, et qui tend à s'effacer au fil des pages, matérialisant l'indépendance que prend le personnage par rapport au créateur.

On trouve enfin une réflexion sur la guerre, que les hommes sont incapables d'abandonner, mais aussi sur la condition des femmes, en général. Il ne faudrait pourtant pas croire qu'il s'agit d'un livre écrit par une femme, et pour les femmes. Lavinia est aussi une histoire d'hommes et, après tout, il ne faut pas être rebuté par un peu de beauté stylistique!

Le temps d'un récit, Ursula K. le Guin renoue avec le rythme des épopées antiques, retrouve le souffle des tragédies et nous touche avec sa poésie; loin des habituelles productions où l'hémoglobine coule à chaque page, on a affaire à un récit fluide et beaucoup plus subtil. Tout est dit, mais il faut parfois lire entre les lignes; les réflexions de Lavinia sur son destin, ses actes, ou la vie en général, sont autant de considérations aux accents aussi poétiques que philosophiques.

Lien : http://encres-et-calames.ove..
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