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sur 618 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
LE NOM DES CHOSES EST MAGIE.

Ursula K. le Guin... Ce nom résonne désormais au firmament de ce que la Science Fiction et de ce que la Fantasy a pu porter de plus haut - elle n'est bien évidemment pas la seule, mais c'est, sans doute, le dernier grand nom de cet "âge d'or" de la SFFF américaine qui nous a quitté au tout début de cette année. Mais Ursula K. le Guin n'a pas laissé ses lecteurs totalement orphelins car elle nous a prodigué une oeuvre aussi riche qu'éclectique, aussi profonde qu'abordable par le plus grand nombre, ce qui n'est pas une mince affaire ! Nombre de ses oeuvres ne sont, hélas, pas encore traduites dans notre langue (ses nombreux recueils de poésie ainsi que pas mal d'essais, entre autres) mais les plus essentiels, ceux qui assirent sa notoriété tant auprès du public amateur que des jurys des plus grands prix du genre (Nebula, Hugo, Locus, etc) qu'elle obtint à de nombreuses reprises, sont accessibles dans notre langue. C'est ainsi le cas du plus célèbre des cycles créés par cette grande dame : le cycle de Terremer dont les trois premiers romans ont été rassemblés sous cette sobre dénomination ici.
On y retrouvera ainsi :

- le sorcier de Terremer
- Les tombeaux d'Atuan
- L'ultime Rivage

édités successivement en 1968, 1971 et 1972. Il est cependant à noter que ces trois romans furent précédés par deux longues nouvelles, véritables fondatrice de ce monde fait d'îles et de mers, de magie et de dragons, de sorciers et de rois, intitulées, pour la première, "Le mot de déliement" et "La règle des noms" pour la seconde, toutes deux de 1964. C'est dire si cette germination se déroula sur un temps relativement long, la maturation et le déliement de ce monde subtil ne s'achevant qu'au début de notre XXIème siècle avec un ultime épisode, "Le monde d'ailleurs".

Dans le premier roman de ce recueil, le Sorcier de Terremer, nous faisons la connaissance de Ged, un jeune garçon promis à un avenir de forgeron auprès de son père mais qui, ses dons innés pour la magie s'affirmant très tôt, parvient à sauver son village d'un raid de pillards venues d'îles lointaines avec les quelques bases de magies qu'une tante sorcière lui a dispensé. Devenant par la suite, mais pour un court moment, l'apprenti du grand mage Ogion, il va lui préférer l'enseignement plus étincelant de l'école de sorcellerie de l'île de Roke. Malgré un talent naturel époustouflant pour la magie - d'aucuns lui prédisent déjà les plus hautes destinées -, son parcours va être à deux doigts d'être stoppé net par lui-même et un immense orgueil qui lui fera, plus ou moins malgré lui, libérer une ombre tragique qui n'aura de cesse de le poursuivre à travers Terremer pour le détruire avant que, de chassé, Ged se transforme en chasseur, à la recherche de son propre lui-même en négatif, ce qu'il ne découvrira qu'à la fin de cette lutte dantesque. Mais l'ombre détient un savoir suprême sur Ged : il connait son vrai nom, ce qui n'est pas le cas du jeune homme...

Le second roman intitulé "Les tombeaux d'Atuan" nous fait d'abord suivre la destinée si particulière d'une jeune enfant de cinq ans qui, en vertu du jour et du mois de sa naissance est supposée être la réincarnation de la grande prêtresse du temple des «Innommables », la fameuse «Dévorée». Cette jeune fille qui se nomme Tenar va suivre un long et pénible apprentissage débouchant sur une vie terne et monotone, n'était sa prise de possession d'un lieu souterrain obscur et magique où vivent ces dieux enfouis qu'elle sert. Contre toute attente, une rencontre aussi interdite, dangereuse qu'inattendue va bouleverser sa routine et ses toutes ses croyances... Et s'il s'agissait rien moins que du haut fait annoncé à quelques reprises dans le volume précédent, où l'on va retrouver trace d'un magicien de notre connaissance mais qui a grandit tant en savoir qu'en sagesse, qui va permettre à cette jeune femme déboussolée de retrouver un vrai sens à sa terrible et morne existence ?

Enfin, c'est un Épervier/Ged beaucoup plus âgé que le lecteur retrouve dans L'ultime rivage. D'aventurier un peu fou, il a revêtu le rôle du référent absolu puisqu'il est le dernier archimage en date de la fameuse école de sorciers de l'île de Roke qu'il avait dû quitter si précipitamment en sa prime jeunesse. Mais les dernières nouvelles, venant d'abord des confins de Terremer avec son lot d'imprécisions et de rumeurs, sont mauvaises. Terribles même : la magie et, plus encore, l'art même des sorciers semble s'effilocher, disparaître, s'abolir, comme si celui-ci n'avait seulement jamais existé, n'avait jamais été pratiqué. C'est un jeune homme de haute famille, Arren, fils de roitelet et lointain descendant du fondateur de l'unique mais révolue lignée de Roi de Terremer, et qui va lancer les prémices d'une véritable Odyssée dans laquelle Ged, au fait de son pouvoir, va se trouver à plusieurs reprises mis à mal par un ennemi terrible qui, par la faute de l'orgueil - une fois encore - de Ged quelques années auparavant, a pris possession du royaume des morts et n'a de cesse d'y plonger les âmes de tous ceux qui pourraient se dresser devant lui afin de mieux s'en repaître. Cette fois, ni le pouvoir immense des dragons - auquel Ged sait parler - ni celui de sa seule magie ne suffiront. Il faudra, pour sauver le monde de lui même quelque chose d'autre : de cette naïveté, de cette pureté sincère et opérante - avec ses propres défauts et ses grandes faiblesses - dont le jeune prince est riche pour contribuer ce monde en totale déshérence.

Ged/Épervier joue évidemment un rôle central dans les trois romans qui compose ce long et beau recueil, et l'on peut considérer chacun de ceux-ci comme autant de textes se partageant entre roman d'apprentissage et roman d'initiation (les deux ne sont pas exactement synonymes et, par ailleurs, ils se chevauchent au gré des ouvrages). Hormis dans le premier roman, le mage est plus un catalyseur du cheminement personnel d'un autre personnage (la jeune prêtresse Tenar puis le prince Arren), et si l'on suit pas après pas ce "grand homme", il demeure psychologiquement très secret, presque lisse, tout au long de ces quelques huit cent pages, représentation presque parfaite du mage archétypal, tellement sage et plein de compassion, après avoir été empli de rage, d'impatience et d'orgueil, qu'il en paraît parfois un peu abstrait, froid et distant mais c'est pour mieux faire apparaître les sombres trames du monde, et leur résolution plus positive, bien que jamais résolument tourné vers un optimisme béat, pas plus que vers un pessimisme cynique. un terme illustre d'ailleurs parfaitement cet entre-deux jamais mièvre ni retors : l'équilibre, qui, de l'aveux de Ged (Ursula ?) n'est pas, n'est jamais de l'immobilisme mais un mouvement naturel en perpétuelle recherche de lui-même dans lequel, il faut tout de même bien le reconnaître, l'homme civilisé, refusant de se reconnaître pour ce qu'il est - un être certes complexe, intelligent, réflexif -, à savoir un élément de cette nature qu'il nie si souvent être, s'avère le principal perturbateur de cet équilibre premier, fondamental, insoluble mais essentiel.

Ursula K. le Guin est et n'est pas exactement un auteur "classique" de fantasy (on peut dire de même de ses oeuvres cataloguées "SF"), même si ses romans le sont devenus. En premier lieu parce que son éducation, sa famille d'ethnologues de renom (novateurs en matière de connaissance des civilisations amérindiennes des États-Unis, Lévy-Strauss méthodiques avant la lettre), ses connaissances culturelles multiples et souvent très généraliste en font un auteur un peu à part dans la production du genre. Certes, on ne peut oublier que J.R.R. Tolkien était, par exemple, un universitaire immensément cultivé, spécialiste, entre autres choses, de cultures et langues celtiques et scandinaves, qu'Assimov était un scientifique de très grand talent, etc. Ursula K. le Guin se situe d'ailleurs, peu ou prou, dans cette lignée d'écrivains aux talents et aux racines multiples sans commune mesure avec des spécialistes de la spécialité tels qu'ils s'en rencontre tant, n'ayant pour fonds de commerce - sans aucun jugement moral ou esthétique - que l'univers auquel ils sont le plus familier de tout temps.
Aussi, c'est avant tout de l'homme - l'être humain - dont cette grande autrice n'a de cesse de nous parler. de ce qu'il est, de ce qu'il pourrait être, de ses choix, innombrables, et de sa capacité inouïe à se tromper mais aussi à tâcher de redresser ses torts, s'il en a le goût et la force. Elle évoque aussi sans cesse notre présence au Monde, à cette nature brute et sauvage qui nous environne, mais sans jamais donner dans ce genre à la mode (et excluant par bien des aspects) qu'est le - en bon français dans le texte - "Nature Writing", cette manière outre-atlantique en vogue pour dire que "la terre ne ment pas" de bien triste souvenir idéologique. Pour autant, et avec des années d'avances sur notre époque puisque cette série de roman date du début des années 70, la nature, l'écologie dans ce qu'elle a de plus fondamental mais non dogmatique, y sont permanents. Il y a aussi cette idée qui traverse ce cycle de Terremer de l'apprentissage, mais aussi du droit à l'erreur, pourvu que, dès lorsqu'on en a pris conscience, on s'attache résolument, définitivement à la réparer. Nul doute que les lecteurs plus jeunes songeront à un certain Harry, et ce n'est certainement pas innocent. Mais l'heure est plus grave : il ne s'agit pas seulement de sauver le monde des magiciens, ni le souvenir de parents assassinés, les moldus se contrefichant de tout cela comme d'une guigne. Non, ici la magie est inhérente au monde, elle lui est consubstantielle et reconnue universellement, même si elle n'est pratiquée que par quelques uns doués pour cela, que les îles les plus éloignées du centre de ce mystère en sont presque dépourvue ou la refusent, mais c'est tout de même une affaire trop sérieuse, en vérité, pour se permettre d'en rire, même un peu.

Ursula K. le Guin invente ainsi un monde traversé d'îles et d'eau (énormément d'eau marine), de peuples aux relations régulières mais rendues toutefois difficiles par cette distance aqueuse et qui, les uns indépendamment des autres, ont su développer qualités et défauts, us et coutumes, traditions et rêves divers, contes et variantes (ce que l'on retrouvera, bien entendu, tout au long des "épisodes" de son cycle de l'Ekumen, les îles se transmuant en planètes) lui permettant ainsi une immense liberté humaine. Une sorte de Terre du Milieu en négatif (d'un point de vue strictement photographique et sans présager des intentions littéraires de l'autrice, quoi que...), car là où la communauté de l'anneau ne rencontre pour ainsi dire jamais la mer, le mage - solitaire - de Terremer y passe un nombre considérable de temps, comme si ces deux oeuvres (n'oublions tout de même pas que celle d'Ursula K. le Guin est postérieure de plusieurs décennies au Seigneur des Anneaux. Qu'elle y a largement puisé) étaient une sorte de ying et de yang d'un même univers fantasmatique, magique, fantasque. Et, de même que l'oeuvre majeure de J.R.R. Tolkien n'est pas que la relation aventureuse d'un petit être, ce triple roman initiatique n'est pas que celui d'une vie de magicien. Il y est question de la responsabilité de l'humain face à son propre destin ainsi que celui, plus global, du monde qui l'entoure. Il y est question, c'est même l'une des clés majeures de ce cycle, de la mort et de la relation ambiguë - forcément ambiguë - que nous entretenons avec elle, ce que nous parvenons à en accepter et ce que nous refusons d'elle ; il y est question de croyance - le moins qu'on puisse en dire c'est qu'Ursula K. le Guin est très critique à l'égard de toute forme de dogme et de religion révélée, alors qu'elle revendique une spiritualité des plus fortes mais qui peut se passer de dieux, tels ces "innommables" dont Ged reconnait la véracité - monstrueuse - mais en conseillant fortement de les laisser là où ils sont ! -.

Il y aurait tant à écrire sur cette oeuvre - décevante dans ses adaptations pour le cinéma ou les films d'animation. D'ailleurs, l'autrice ne voulu en reconnaître aucun d'entre eux tant elle s'y sentit trahie -, au demeurant d'une lecture si apparemment évidente, immédiate, sans aspérité (et pour autant, d'un travail réel sur la langue, dans le sens où elle en a ôté toutes les scories, sans pour autant qu'on puisse jamais parler de style "blanc", car le sien se reconnait entre mille) et, pour tout dire, d'une poésie aussi première qu'elle est intense et forte.

Mme le Guin est partie vers les rivages du monde des morts de Terremer en ce tout début d'année. Nul doute que si les âmes pérégrinent ainsi qu'elle l'a imaginé dans le troisième volet de ce cycle, la sienne doit être faite du même resplendissement que cette série de textes profonds, parfois sombres mais jamais désespérés, exemplaires et doux à la fois. Quoi que - malheureusement - catalogué dans un genre littéraire boudé par un large public, ce Terremer, de même que, sans doute son plus beau roman, "La main gauche de la nuit", ont tout pour figurer parmi les classiques incontournables du siècle dernier. Et nous ne boudons jamais le bonheur d'en découvrir l'inépuisable richesse !
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Découverte de Ursula K. Le Guin renommée dans le domaine de Sciences- Fiction.

Jeune chevrier, Ged semble montrer des aptitudes pour la sorcellerie. Pris en charge par sa tante, il développe rapidement son don mais il est très vite bridé par les limites de son initiatrice. le mage Ogion le prend en charge jusqu'à ce que Ged demande à partir sur l'île de Roke pour entrer à l'école des Sorciers. Lors de son initiation, il libère une ombre qui ne cherche qu'à l'anéantir…

Ce premier tome m'a embarqué immédiatement sans doute grâce à une lecture limpide. Les caractères des 4 personnages principaux sont bien campés.
Ged est impétueux et orgueilleux, Ogion est sage et taiseux, Jaspe est malicieux enfin Vesce est calme et sera un vrai soutien pour Ged.

Belle découverte. J'attaque rapidement le deuxième opus.
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« N'as-tu jamais réfléchi au fait que le danger accompagne le pouvoir comme l'ombre la lumière? »
Cette question est assez représentative de ce premier tome d'immersion dans Terremer, une question de complémentarité, d'équilibre dans la nature des êtres et des choses. Tout est un jeu d'ombres et de lumières, l'un ne peut exister sans l'autre (même les ténèbres qui dans ce cas n'auraient plus aucune référence.)

C'est donc ce que Ged, le héros, va découvrir lors de son apprentissage dans une école de sorciers (1968, bien antérieur à Harry Potter et consorts) et à l'issue de sa formation lorsqu'il devra affronter sa Némésis. Ged est appelé usuellement « Epervier« . En effet, les noms véritables sont au coeur de ce cycle, en tant que nature vraie des éléments vivants ou non, composant le monde. Détenir le nom véritable d'une chose ou d'une personne c'est détenir une parcelle de pouvoir sur cette chose ou cette personne, l'étendue de ce pouvoir dépend uniquement de la puissance de celui qui l'utilise (et au final c'est bien le cas dans la vie réelle).
Ce concept de magie est à la fois simple et complexe dans son élaboration, simple par la mise en oeuvre pour le sorcier ou mage, mais également pour le lecteur qui peut rapidement intégrer le processus. Mais, c'est aussi complexe car la maîtrise de cette magie requiert un don – aussi infime soit-il – et surtout la connaissance des mots de la langue ancienne, le langage de la Création, et tout au moins ceux de l'objet du sort. Par exemple, pour devenir le Maître des Mers, il faut connaître le nom de toutes les mers de l'ensemble de Terremer, du plus vaste océan à la plus petite crique… sachant qu'une partie de Terremer est inconnue ou inexplorée!
« C'est ainsi que ce qui nous donne le pouvoir d'exercer la magie nous en fixe en même temps les limites.«
Ursula le Guin n'a pas pour autant une approche d'une magie soft, car celle-ci peut être immense (stopper un tremblement de terre, invoquer les morts), mais elle a réussi à créer une puissance qui demeure contrainte par des limites physiques du monde dans lequel le sorcier évolue. Ainsi, nous avons une création assez paradoxale : une magie potentiellement très puissante mais à dimension humaine. Tout est question d'équilibre et de subtilité.
A la lecture on découvre une oeuvre de fantasy différente des standards actuels, avec une sobriété dans l'écriture et dans les effets, une plume poétique et très fluide. Loin d'être dépassée, je lui trouve justement modernité et originalité, où le propos et l'ambiance sont tout aussi importants que l'action et la trame elle-même. Effectivement, ici, il n'est pas question que l'action le dispute aux rebondissements, aux traîtrises ou aux scènes crues. le voyage offert est autant un voyage intérieur, qu'une visite des îles ou groupes d'îles que forment Terremer. Chaque étape à sa saveur, sa particularité, ses coutumes, parfois familières et parfois exotiques. Et le tout forme un ensemble cohérent et … équilibré.
Nous suivons donc les péripéties de Ged, et de différents « compagnons », ceux-ci varient au fur et à mesure des voyages d'Epervier, chaque chapitre étant consacré à une halte et à un personnage secondaire différent. Seul Ogion, le Maître initial de Ged fera une réapparition dans le roman. Malgré ce foisonnement de lieux, de personnages et de voyages, le lecteur ne se perd pas car Ursula le Guin excelle à maintenir le cap .
Nonobstant l'ensemble de ces qualités, cette fantasy introspective peut échauder le lecteur avide de sensations fortes et de spectaculaire. La dimension intérieure est primordiale et la quête toute personnelle de Ged est avant tout une recherche de soi et de sa nature réelle, impliquant d'accepter ses limites, ses qualités et ses peurs.
Je recommande chaudement la lecture de l'avis d'Apophis ( suivre le lien), c'est à la suite de celle-ci que j'ai choisi de lire Terremer, malgré ma déconvenue au visionnage du téléfilm.
En résumé, une oeuvre référence de fantasy, poétique et subtile qui demeure prégnante longtemps après sa lecture.
Lien : https://albdoblog.wordpress...
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Aride et âpre. Sous un soleil de plomb ce monde sans eau est au coeur de l'imperium, procurant aux puissants la denrée infiniment précieuse permettant, entre autre, la prescience. Un univers limpide et simple, très hiérarchisé et divisé entre des grandes familles, oppose quelques vastes puissances dans un combat sans merci. Au sein de ce dernier les nobles Atréïdes obtiennent facilement notre sympathie face aux repoussants Harkonnens. Les rapports entre les individus et les groupes reposent largement sur la force et pourraient être qualifiés de « masculins » dans un traditionnel registre de valeurs. L'admiration va au plus fort. La plupart des femmes sont soit des épouses soumises soit des « sorcières » lorsqu'elles disposent d'une puissance. La féminité a d'ailleurs quelque chose d'effrayant et de presque menaçant. C'est beau, limpide et simple comme un diamant, surtout dans les tomes initiaux. C'est brillant et a une forme de perfection glacée, c'est incroyablement dur, aseptisé et lumineux mais c'est le chef d'oeuvre de Frank Herbert, pas Terremer.
***
Pourquoi alors parler de ce prix Hugo de 1966 au lieu de commencer par « le sorcier de Terremer », postérieur de seulement deux ans ? Justement parce qu'il est tentant de les comparer, déjà pour les opposer.
- Terremer est un pays d'eaux, parsemé de quelques iles. Ce qui peut aussi marquer dans ce vaste univers est que rien ne propose une unité d'ensemble, qu'elle soit politique, idéologique ou scientifique. Cela contribue d'ailleurs à offrir la représentation d'un monde immense où l'essentiel reste à découvrir. La vie est rare sur Arrakis ; elle fourmille sur Terremer. Il est intéressant de noter qu'Ursula le Guin est fille d'anthropologues s'étant spécialisés dans les cultures amérindiennes et a elle-même suivi des études d'ethnologie. Ce regard est prégnant dans ses livres en général et dans Terremer en particulier.
- Cet univers est hautement complexe du fait de cette absence d'un « principe unificateur » ou d'un destin commun à tous. Là où chez Herbert l'épice et les enjeux de pouvoirs entre quelques grandes maisons proposent une lecture somme toute simple voire « évidente » nous avons ici une multiplicité de points de vue, de regards, de modes de vies et c'est une part du plaisir procuré par cet ouvrage. Nous sommes « à hauteur d'homme », tentant de déjà comprendre chacun et le fonctionnement de ces différents groupes ; les logiques internes. le maître mot est ici « équilibre », que ce soit celui de la magie,
celui de la mort ou celui du talent. Il est essentiel d'acquérir un savoir mais aussi une sagesse, de voir beaucoup et d'agir peu. Être capable de donner le « vrai nom »des êtres (donc de savoir) est la clé du pouvoir (au sens de « pouvoir faire » plus que de « détenir un pouvoir », et cette précision est tout sauf une nuance ou un détail).
- Terremer n'est pas principalement régi par la force et les oppositions entre groupes, lorsqu'elles se produisent, ne conduisent pas toujours à la confrontation. Cette dernière, lorsqu'elle survient, passe rarement par un affrontement direct donnant un vainqueur et conduisant à la vassalisation voire à la mort du vaincu. Nous n'avons pas ici une logique américaine voire occidentale comme chez Herbert mais plus une approche « asiatique » pouvant faire penser à Sun Tzu ou, plus précisément encore, au taoïsme. Ursula le Guin revendiquait d'ailleurs cette influence comme celle d'une vision anarchiste, très à l'opposé d'un pouvoir central fort, quel qu'il soit. Ceci et le regard sociologique de celle qui a, à 23 ans, présenté une thèse portant sur « Les idées de la mort dans les poésies de Ronsart », offre une diversité d'éclairages assez fascinante pour le lecteur curieux.
- le regard de Herbert, surtout au début de son oeuvre (Ensuite l'influence de Beverly est sensible et croissante), est très « masculin » et cela se ressent très nettement. Ursula le Guin, dans Terremer, ne met pas en scène des héroïnes à proprement parler (même si c'est discutable pour « Les tombeaux d'Atuan ») mais cette défense de la féminité se lit à chaque instant, que ce soit dans les interventions des personnages ou dans la façon de décrire le monde, dans ce qui structure le récit comme dans la façon de l'écrire, musicalité incluse.
*
Naturellement ces deux grands livres contemporains peuvent aussi être associés par leurs nombreux et essentiels points communs :
- Il s'agit de deux « livres-mondes » où un univers nouveau, riche et cohérent s'offre à nous.
- Les deux personnages principaux nous sont présentés de leur plus jeune âge à leur vieillesse et ces ouvrages sont aussi des livres de quêtes, de voyages initiatiques.
- La dimension écologique des deux ouvrages est majeure, prenant des formes très différentes par ailleurs.
- Ces deux romans sont fascinants et très bien écrits. Les deux sont saisissants aussi par un sens des mots et de la formule. Peu de lecteurs oublieront la « Litanie de la peur » dans Dune mais la plupart tomberont aussi en arrêt devant l'une ou l'autre des formulations de U le Guin et cesseront leur lecture un temps, afin de méditer, de laisser les mots résonner/raisonner en eux. Ces deux ouvrages peuvent vraiment enrichir qui choisit de vivre sa lecture. Ajoutons que les deux sont d'une lecture facile alors que les sujets abordés sont profondément originaux, ce qui n'est pas le moindre talent de ces deux auteurs.
- de façon sans conteste différente ces deux univers dégagent une profonde poésie et nous accompagnent une fois le livre refermé.
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Si Dune peut faire penser à un diamant splendidement taillé Terremer est une opale, complexe, subtile, changeante selon les angles de vision. C'est une pierre au nom féminin, qui présente une forme de fragilité, qui peut être rayée par une simple poussière ou… se déshydrater. Plus que toute autre elle ne prend son sens que dans un lieu adapté à la vie. Il faut aussi en prendre soin pour qu'elle révèle toute sa richesse et sa beauté unique. Il en est exactement de même pour Terremer comme pour l'oeuvre, redécouverte actuellement, de Ursula le Guin.
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Terremer est une oeuvre subtile, proposant de réfléchir à la part de combat qu'il y a au sein de chacun de nous, à des sujets aussi forts que la liberté, les croyances, les changements ou la responsabilité. Nous accompagnons des êtres denses dans leurs voyages, leurs rapports à la vie, à la mort ou leurs questionnements quant à l'acceptation ou non des lois naturelles. Les rapports qu'ils ont à eux même, aux autres et leurs façons de se vivre au sein de ce qui les entoure sont des questionnements permanents que nous partageons. Leurs réponses, complexes et profondes, ne peuvent que nous enrichir. Mais il est tout aussi possible d'aborder ce livre sans chercher à le méditer, en se laissant emporter par nos émotions, en accompagnant Ged et ses compagnons.

Si vous survolez ce roman, recherchant du bruit et de la fureur ou des confrontations entre des bons et des méchants, il ne vous en restera pas grand-chose. Vous risquez même de vous ennuyer. Si, en revanche, vous vous offrez le temps nécessaire pour ressentir les personnages et vivez avec eux ces voyages, au sein de cet univers physique mais aussi et avant tout intérieur, vous devriez revenir changés et potentiellement plus profonds. C'est tout le mal que je vous souhaite.
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L'histoire se déroule sur Terremer qui est un archipel magique constitué d'îles innombrables, C'est un monde médiéval où la magie est largement présente et se fonde sur la connaissance du vrai nom des personnes et des choses.
Dans Terremer, trois contes sont à l'honneur : « Le sorcier de Terremer » sorti en 1968 qui nous présente le jeune Épervier, que certains dons prédisposent à l'usage de la magie. Il va suivre l'enseignement d'un vieux sorcier, puis rejoint l'école de magie de Roke. Il apprend que le pouvoir réside dans le vrai nom des choses... et que son propre vrai nom est Ged. Il est particulièrement doué mais va apprendre la sagesse de la plus terrible des façons.
Le deuxième conte « Les tombeaux d'Atuan » est sorti en 1971 : À sept ans Tenar a été enlevée à ses parents pour être conduite aux tombeaux Atuan. Réincarnation reconnue de la dernière prêtresse des Innommables, son existence est désormais vouée au culte des ces puissances . Elle devient Arha, la dévorée et son unique horizon est d'apprendre à servir ses maîtres ombrageux. Pourtant il existe d'autres lieux et d'autres façons de vivre de par le monde. Ne lui manque plus qu'une occasion et elle va la saisir avec Épervier qui lui, mène une autre quête.
Et enfin le troisième « L'ultime Rivage » sorti en 1972 nous ramène à Ged comme fil conducteur et pourchasseur d'Ombres.
 De plusieurs lieux différents parviennent à Roke des rumeurs inquiétantes. A l'Ouest, les dragons semblent avoir oublié le langage sacré et s'entre tuent. du lointain sud et du Nord-ouest, on colporte la nouvelle que la magie s'est perdue et que les habitants vivent dépourvus de toute joie de vivre. Pour l'Archimage Ged, le temps est venu de faire face à son destin quitte à l'accomplir jusqu'aux portes de la mort. Il est accompagné par Arren, prince des îles, jeune homme dans lequel il perçoit un grand destin. 
Ces trois contes ou gestes, nous entraîne dans un monde original et grandiose. Ses histoires ont pour toile de fond la mer, l'eau, élément central des aventures de Ged avec son bateau « Voiltloin ». Il affronte ses propres faiblesses, sa peur et son orgueil. Il vient au secours de Tenar, et la libère de l'emprise des ombres des dieux anciens et lui donne un nouveau sens à sa vie, et enfin en dernier lieu il conduit Arren vers son destin.
Ursula le Guin a une superbe écriture, dense, agréable et très prenante. Il faut prendre le temps de la lire, et de bien s'imprégner de son univers et on a plus qu'à se laisser emporter dans les aventures épiques d'Epervier, de Tenar et d'Arren ainsi que les autres protagonistes de leurs histoires. Terremer est le premier que je lis, mais le cycle comporte six volumes : cinq romans et un recueil de nouvelles , et il est centré sur les vies de Ged, Tenar, Lebannen et Tehanu que je ne pourrai que découvrir après avoir tant apprécié Terremer. J'ai déjà dans ma PAL « Tehanu » et « Le vent d'ailleurs ».
Merci à Walkatapus qui me l'a fait sortir de ma PAL pour la pioche de mars, je crois bien qu'il y serait encore sinon….
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Lu dans le cadre du challenge ABC.

Ce livre rassemble les trois premiers récits du cycle de Terremer.
Dans « le Sorcier de Terremer », nous est contée l'histoire de Ged, jeune chevrier possédant le don de magie, qui deviendra le plus grand sorcier de Terremer, au terme d'une initiation semée d'embûches.
Avec « Les Tombeaux d'Atuan », le récit se focalise sur Tenar, arrachée à l'âge de cinq ans à sa famille, pour devenir la nouvelle Grande Prêtresse des Tombeaux, dans un univers aride et ténébreux. Sa rencontre avec Ged bouleversera le cours de son destin.
« L'Ultime Rivage », aux confins de Terremer, est l'endroit où Ged aboutira à l'issue d'une quête périlleuse, l'endroit où il devra combattre pour rétablir le pouvoir de la magie et surtout l'Equilibre du monde, lentement absorbés par les forces des ténèbres.
Grand classique de la Fantasy, on trouve dans Terremer des sorciers et des dragons, des magiciens et des humains. Mais davantage qu'un combat acharné entre le Bien et le Mal, la Lumière et les Ténèbres, il s'agit plutôt d'une lutte pour préserver l'Equilibre du monde, l'harmonie, le juste milieu. Il n'y a donc pas de grandes batailles sanglantes avec violences guerrières et cadavres à profusion. Au contraire, c'est toute une ambiance poétique, narrée avec une grande finesse d'écriture, simple, fluide, dans une langue superbe (chapeau pour la traduction – pour une fois). le rythme est lent, ce n'est pas palpitant, on ne cherche pas à bousculer le lecteur, mais étonnamment, c'est tout sauf ennuyeux. Les descriptions de ce monde d'îles entre ciel et eau sont si détaillées qu'on s'y croirait, les personnages sont complexes, faillibles, tellement humains en fin de compte, que même les méchants en deviennent attachants.
C'est sensible, philosophique, captivant, magnifique. Pas étonnant que cela ait été adapté par G. Miyazaki, c'est le même univers : ça ressemble à un conte pour enfants, mais c'est tellement beau que ça emporte aussi les adultes dans un monde imaginaire d'où ils ont du mal à revenir…
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Jusqu'à aujourd'hui, jamais je n'avais pris la peine et encore moins le temps de lire Ursula le Guin, alors que mon entourage m'en parlait régulièrement, que les livres attendent bien sagement sur ma bibliothèque depuis des lustres, et surtout que je m'étais "contenté" des adaptations en animé de Goro Miyazaki et en téléfilm intitulé la prophétie du sorcier...
Grand tors j'ai eu car j'ai découvert une autrice, un univers, une plume et une poésie. J'ai redécouvert avec Ursula le Guin cette sorte d'essentialité qui définit le conte.
C'est bien simple, dès les premiers mots, je suis complètement happé, pris dans l'histoire et ce, jusqu'à la dernière page. Il y a quelque chose dans l'écriture de l'autrice que j'ai trouvé rarement chez certains autres, tel(le)s que Robert E Howard, Edgar Alan Poe, H P Lovecraft, Julia Verlanger, Robin Hobb, Lisa Tuttle, Stefan Wul, Clark Ashton Smith, pour ne citer que celles et ceux là parmi ma maigre connaissance de la littérature de l'imaginaire et du fantastique. J'ai vraiment eu l'impression en parcourant les lignes de Terremer, de faire un bon dans le temps, 40 ans en arrière, où je m'asseoie devant le feu de cheminée, et que j'écoute ma grand mère me raconter des histoires. Ou, comme je l'imagine parce que je ne l'ai jamais vécu, lorsqu'un enfant se couche au son de la voix de sa mère qui lui chantonne une berceuse. Ou bien encore lorsque je m'installe confortablement face à une conteuse, prête à raconter des histoires. Pour nous emmener dans un univers imaginaire mais qui semble tellement réel qu'on n'a aucun mal à y croire. C'est très troublant et jouissif à la fois. les mots d'Ursula le Guin possèdent ce pouvoir de réveiller l'enfant qui est en nous, de nous rappeler ce temps d'insouciance et de naïveté, qui nous permet de laisser libre cours à notre imagination et même de développer notre propre imaginaire.
L'univers de Terremer est bien défini, bien décrit, les descriptions de l'autrice y sont suffisamment nombreuses pour qu'on puisse aisément se le représenter, presque concrètement, et donc y croire. Mais la magie de ses mots fait qu'on peut aller encore plus loin et imaginer notre propre monde de Terremer. J'oserai dire qu'il existe autant de Terremer que de lectrices et lecteurs.
C'est en cela, pour moi, que l'on reconnaît un grand auteur, qui transcende les âges et les générations ( Terremer a été écrit en 1968!), et dont les écrits n'ont pas pris une ride.
Voilà j'ai fini... Enfin mon voyage ne fait que commencer... Cela aurait été dommage que mes livres continuent d'accumuler la poussière....!
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Trois longs récits composent ce recueil : « le sorcier de Terremer » qui est un roman d'apprentissage :comment Ged dit l'Epervier devient un puissant sorcier . le second « Les Tombeaux d'Atuan » met en scène sa rencontre avec Tenar , prêtresse du sombre culte des Innommables enfin , « L'ultime rivage » montre Ged devenu Archimage affrontant avec l'aide de dragons ,un fléau qui tue la magie. Une trilogie de contes magnifiques marquée par l'empathie de la romancière avec ses personnages et le profond humanisme de son esprit.
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Le livre Terremer publié en France rassemble les trois premiers livres de cette saga. Véritable épopée, il compte la vie d'un des plus grands sorciers de ce monde, surnommé l'Épervier.
C'est écrit comme un conte d'antan, c'est plaisant à lire et l'on se plonge avec délice dans ce monde magique peuplé d'êtres étranges et de mages puissants.
Pour ceux qui ne connaissent pas, c'est un livre incontournable de la Fantasy, un classique qui se lit facilement, dénué de véritables longueurs, sans avoir pour autant un rythme haletant. L'auteur est une conteuse dans l'âme et c'est avec bonheur que l'on écoute cette légende, pelotonné dans un coin, comme les contes que l'on écoutait enfants…
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L'année 2019 a décidément marqué un coup de foudre pour les livres d'Ursula le Guin ! Pour cette autrice, la Fantasy « n'est pas […] une pensée magique, mais une façon de refléter la réalité, et de la réfléchir ». Dans le monde onirique de Terremer, composé de nombreuses îles éparpillées sur la mer, le Mal n'est pas une menace extérieure mais réside à l'intérieur de chacun. Ursula le Guin refuse la dualité et le manichéisme pour valoriser la « complexité éthique et la richesse morale de nos vies ». Elle se cherche à travers ses livres, s'inscrivant dans la tradition de la Fantasy tout en cherchant à s'en détacher. Les romans composant le recueil de Terremer nous grandissent et nous enrichissent en nous faisant côtoyer des personnages complexes mais toujours attachants, qui tentent de préserver l'Équilibre du monde tout en cherchant à se connaître eux-mêmes ainsi que leur part d'ombre. La recherche de la simplicité et de la liberté y est importante. Entre magie, onirisme, voyages symboliques, et illustration du charme d'une vie quotidienne simple, Terremer fait souvent penser à l'univers d'Hayao Miyazaki. le fils de ce dernier, Goro Miyazaki a d'ailleurs adapté Terremer en animation.
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