Recueil de poèmes composés de sonnets, dont une vaste sélection sont des sonnets à thèmes religieux. Il faut aimer le genre...
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À un vieil arbre
Tu réveilles en moi des souvenirs confus.
Je t’ai vu, n’est-ce pas? moins triste et moins modeste.
Ta tête sous l’orage avait un noble geste,
Et l’amour se cachait dans tes rameaux touffus.
D’autres, autour de toi, comme de riches fûts,
Poussaient leurs troncs noueux vers la voûte céleste.
Ils sont tombés, et rien de leur beauté ne reste;
Et toi-même, aujourd’hui, sait-on ce que tu fus?
Ô vieil arbre tremblant dans ton écorce grise;
Sens-tu couler encore une sève qui grise?
Les oiseaux chantent-ils sur tes rameaux gercés?
Moi, je suis un vieil arbre oublié dans la plaine,
Et, pour tromper l’ennui dont ma pauvre âme est pleine,
J’aime à me souvenir des nids que j’ai bercés.
(« Les gouttelettes », Librairie Beauchemin, 1904)
Les astres
Mondes qui, chaque soir, à mes regards ravis
Publiez la grandeur du Créateur suprême,
Passez-vous les premiers dans un lointain extrême,
Ou d’autres sont-ils morts, que vous avez suivis?
A d’implacables lois êtes-vous asservis?
La route parcourue est-elle encor la même?
Et, comme les fleurons autour d’un diadème,
Rayonnez-vous autour des célestes parvis?
Est-il parfois chez vous un cœur qui s’apitoie?
Est-il un gueux qui pleure, un riche qui festoie?
O mondes éclatants, vos sentiers sont-ils vieux?
Nous cherchez-vous aussi dans votre impatience?
Direz-vous vos secrets, un jour, à la science,
Ou faudra-t-il mourir pour vous connaître mieux?
LA VISITATION
L'envoyé du Seigneur, Gabriel, est venu...
La vierge de Juda qu'un chaste rêve obsède
Va se rendre à Kalem. Un ange la précède.
Il conduira ses pas jusqu'au bourg inconnu.
Le grand mystère émeut son esprit ingénu.
Ils sont loin. Un village au village succède.
Tout entière au bonheur que son âme possède
Elle trouve riant le chemin triste et nu.
Pour elle dans le sable une source s'épanche,
Les fruits naissent pour elle au rameau qui se penche,
Pour elle l'oiseau chante avec plus de douceur.
Et quand elle passa le seuil de Zacharie,
Elisabeth clamant:--Bénie es-tu, Marie!
Sentit frémir d'amour Jean, le saint précurseur.
ADAM
--Et le mal nous a pris, séduisant, enjôleur,
Comme un filet de soie en ses brillantes mailles.
Eve a senti l'amour embraser ses entrailles;
Elle a, bénissant Dieu, fait l'homme de douleur.
Dieu m'a dit irrité: "Tu scelles ton malheur.
Il faut que chaque jour tu souffres et travailles.
Mon ciel vous est fermé comme par des murailles,
Et vos regrets tardifs n'ont guère de valeur."
J'ai répondu, courbé sous l'amère sentence:
--Nous avons fait le mal, nous ferons pénitence,
Mais laissez à nos fronts leur céleste fierté.
Puis j'ai dit suppliant:--Lève donc l'anathème,
Et vois ce que je fais de notre liberté...
Je pourrais te haïr, ô mon Maître! et je t'aime.
MES SONNETS
Que le ciel bienveillant te garde des périls,
Moisson que mes sueurs ont souvent arrosée!
Qu'il répande sur toi sa lumière rosée,
Et que ta gerbe mûre embaume les fenils!
Vous tremblez, mes pauvrets, comme une larme aux cils,
Comme aux lèvres, l'aveu, comme aussi la rosée
Qu'un baiser de l'aurore a, sans bruit, déposée
Sur le feuillage vert, tout plein de gais babils.
Au sort qui vous attend il faudra vous soumettre.
Vous auriez plus d'éclat, si j'avais osé mettre
Un vêtement pompeux à la simple raison.
Mais la raison est belle en sa nudité chaste.
Gouttelettes, tombez. Tombez; dans le champ vaste
Il germera peut-être une humble floraison.