LA SOEUR NOVICE
Lorsque tout douloureux regret fut mort en elle
Et qu'elle eut bien perdu tout espoir décevant,
Résignée, elle alla chercher dans un couvent
Le calme qui prépare à la vie éternelle.
Le chapelet battant la jupe de flanelle,
Et pâle, elle venait se promener souvent
Dans le jardin sans fleurs, bien abrité du vent,
Avec ses plants de choux et sa vigne en tonnelle.
Pourtant elle cueillit, un jour, dans ce jardin,
Une fleur exhalant un souvenir mondain,
Oui poussait là malgré la sainte obédience;
Elle la respira longtemps, puis, vers le soir,
Saintement, ayant mis en paix sa conscience,
Mourut, comme s'éteint lame d'un encensoir.
O l'odieuse obscurité
Du jour le plus gai de l'année
Dans la monstrueuse cité
Où se fit notre destinée !
Au lieu du bonheur attendu,
Quel deuil profond, quelles ténèbres !
J'en étais comme un mort, et tu
Flottais en des pensées funèbres.
La nuit croissait avec le jour
Sur notre vitre et sur notre âme,
Tel un pur, un sublime amour
Qu'eût étreint la luxure infâme ;
Et l'affreux brouillard refluait
Jusqu'en la chambre où la bougie
Semblait un reproche muet
Pour quelque lendemain d'orgie.
Un remords de péché mortel
Serrait notre coeur solitaire...
Puis notre désespoir fut tel
Que nous oubliâmes la terre,
Et que, pensant au seul Jésus
Né rien que pour nous ce jour même,
Notre foi prenant le dessus
Nous éclaira du jour suprême.
— Bonne tristesse qu'aima Dieu !
Brume dont se voilait la Grâce,
Crainte que l'éclat de son feu
Ne fatiguât notre âme lasse.
Délicates attentions
D'une Providence attendrie !...
O parfois encore soyons
Ainsi tristes, âme chérie !
Paul Verlaine