Ce tome fait suite à Colorado (épisodes 1 à 5) qu'il faut impérativement avoir lu avant. Il comprend les épisodes 6 à 9, initialement parus en 2015, écrits par
Jeff Lemire, dessinés par
Butch Guice. L'encrage des épisodes 6 et 7 a été réalisé par Guice, celui des épisodes 8 et 9 par
Tom Palmer. La mise en couleurs a été réalisée par
David Baron. Les couvertures sont l'oeuvre de
Mico Suayan.
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- ATTENTION - Ce commentaire révèle des points clé de l'intrigue du premier tome. -
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Ray Garrison et Magic (une jeune femme) sont sur la route, à la recherche des autres individus infectés par des nanites. Garrison a demandé à Magic de lire son dossier de Projet Rising Spirit, pour que quelqu'un sache qui il était avant qu'on ne lui injecte des nanites, mais il n'est toujours pas décidé à l'apprendre lui-même. Ils finissent par s'arrêter dans un motel. Garrison explique à Magic qu'il va aller à la rencontre d'un autre porteur de nanites pour lui extirper, avec plus ou moins de violence en fonction de la durée pendant laquelle elles ont déjà séjourné dans le porteur. Il refuse catégoriquement que Magic l'accompagne du fait du danger.
De leur côté, les agents Diane Festival et David Hoyt progressent également dans leur enquête, et ils sont aussi sur la route. Ils s'arrêtent également dans un motel pour faire une étape. Festival a houspillé Hoyt qui semblait la prendre en pitié, en lui racontant comment ses parents sont morts. Pendant ce temps, un autre individu infecté de nanites progresse lui aussi, mais en bus. Enfin, David Hoyt a réussi à obtenir un rendez-vous officieux avec un de ses contacts au Projet Rising Spirit, pour essayer d'en apprendre plus sur le projet Bloodshot.
Petite déception en découvrant ce tome,
Mico Suayan ne réalise que les couvertures qui sont superbes en jouant sur le contraste entre les surfaces noires et les rouges profonds. Pour des raisons de délai de production, la mise en images de ces 4 épisodes est confiée à
Jackson Guice. Lui-même semble donner des signes de fatigue puisqu'il n'a été en mesure d'assurer l'encrage que sur la première moitié du tome, avant de passer la main au vétéran
Tom Palmer. Les dessins de Guice n'ont pas ce petit côté léché de
Mico Suayan, mais ils conservent une approche descriptive, en faisant ressortir l'âpreté par un encrage sec et légèrement irrégulier, évoquant l'apparence des dessins de
Michael Lark.
Jackson Guice modifie sa composition de page en fonction de la nature des séquences. Dans la première partie il s'attache à montrer le visage particulier de l'Amérique des autoroutes et des motels. le lecteur voit ces larges routes traversant d'immenses étendues, sans beaucoup de circulation. Avec les personnages, il s'arrête sur un parking au pied de la réception du motel, avec un bâtiment tout en longueur, sans étage. Il découvre une chambre sans personnalité, fonctionnelle, que ce soit celle de Ray Garrison, ou celle de Diane Festival. Il s'installe sur des sièges usés dans un diner à l'agencement stéréotypé. Il parcourt les rues de la ville de nuit avec des alignements de maisons en périphérie, des bâtiments sans âme dans le centre. L'artiste dépeint une Amérique de province sans âge, figée dans des structures sans identité, sans importance accordée aux paysages naturels. Ce n'est pas que le constat d'un urbanisme préfabriqué, mais aussi le constat que les personnages ne s'intéressent pas à leur environnement, qu'ils sont entièrement absorbés par leur enquête.
Dans cette première moitié, le dessinateur surprend à plusieurs reprises le lecteur en montrant des émotions inattendues sur les visages des personnages, Ray Garrison allant même jusqu'à sourire, et Diane Festival à éprouver de la surprise. Dans la deuxième moitié, l'action reprend le dessus.
Jackson Guice représente donc plus des émotions comme la colère, la souffrance, la détermination, associées à des affrontements physiques. L'action s'est déplacée dans des milieux plus naturels, et il utilise plus des cases de la largeur de la page pour montrer où se tiennent les personnages dans un grand champ de maïs, ou une zone rocheuse.
Au départ, ces cases de la largeur de la page montrent effectivement comment se situent les personnages dans le milieu naturel, à quoi ressemble le relief de l'endroit où ils évoluent. Mais au fur et à mesure, il apparaît que c'est aussi une manière d'aller plus vite pour dessiner en se concentrant sur la mise en scène. Or
Tom Palmer ne se charge que de l'encrage, sans ajouter de détails ou de textures à ce qui est dessiné.
David Baron noie le tout dans un éclairage rouge (en rapport avec le rouge du cercle de Bloodshot) pour achever de donner une impression de densité visuelle. Par contre, les personnages restent réalistes du début jusqu'à la fin, avec des morphologies et des vêtements normaux. D'ailleurs, lorsque Ray Garrison commence à avoir la peau qui blanchit sous l'effet des nanites, il dépare un peu trop fortement de cet environnement si réaliste.
Jeff Lemire poursuit son histoire sur sa lancée : Ray Garrison doit retrouver les autres porteurs de nanites et les neutraliser. le lecteur se dit qu'il n'y a pas plus linéaire comme intrigue et qu'il peut facilement anticiper les étapes suivantes : Garrison retrouve les autres porteurs et triomphe parce que c'est sa série et que c'est un personnage de fiction récurent. Au final, il récupère toutes les nanites avec quelques morts violentes sur le chemin et une confrontation avec les agents Festival & Hoyt, et on passe à la suite. Effectivement, c'est exactement ça, et pourtant la lecture reste divertissante avec son lot de surprises.
Pour commencer, Bloodsquirt et Kay McHenry ont disparu. Alors que le lecteur les croyait bien installés en tant qu'interlocuteurs de Ray Garrison pour qu'il puisse interagir avec d'autres personnes et exprimer son point de vue, ils ne sont plus là.
Jeff Lemire se prive ainsi d'un dispositif narratif pratique qui fournissait également un ressort comique par le biais de Bloodsquirt. Si le développement de la relation entre Garryson et Magic suit bien le schéma prévisible, celle entre Diane Festival et David Hoyt emprunte des chemins moins prévisibles et permet d'en découvrir plus sur la personnalité de la première. Tout aussi inattendu, un personnage du premier tome revient dans le deuxième donnant plus d'épaisseur aux motivations de l'un des individus infestés de nanites.
Certes le personnage de Ray Garrison prend les décisions les plus prévisibles, mais le scénariste a l'art et la manière pour montrer comment le caractère de Ray Garrison l'amène à les prendre. D'un autre point de vue, il est possible de considérer Bloodshot comme un personnage particulièrement monolithique, une sorte de sous-Punisher, avec une approche vaguement paramilitaire et une capacité à survivre à toutes les blessures grâce à la technologie des nanites. Or
Jeff Lemire a imaginé un angle d'approche qui contourne ces particularités stéréotypées pour faire exister le personnage. En effet, il ne débite pas des criminels endurcis à tour de bras et à chaque page, il n'est donc pas lancé dans une guerre contre toute forme de crime comme l'est Frank Castle. Si les nanites lui confèrent des capacités régénératives impressionnantes, elles ne peuvent rien contre ses erreurs de jugement, ou plus simplement son impossibilité de tout prévoir. du coup, l'histoire de Ray Garrison n'est pas une suite d'aventures pour éliminer des adversaires plus puissants, se terminant par le triomphe de la volonté du héros (comme par exemple celles de Wolverine ou de Lobo).
Avec ce deuxième tome,
Jeff Lemire confirme que sa façon de penser le personnage de Bloodshot lui permet de le rendre original, différent d'un simple ersatz du Punisher, ou d'un comics d'aventure de plus à la manière de Wolverine. Il développe la psychologie du personnage, à la fois lors des dialogues avec Magic, mais aussi par les décisions qu'il prend et sa volonté de ne pas se plier aux diktats des circonstances. Face à ce spécimen viril, il installe 3 femmes qu'il ne réduit pas au stade de demoiselle en détresse, mais qui sont tout aussi autonomes et courageuses que Ray Garrison. Il réussit le pari de reconstruire le personnage après sa transformation dans
The Valiant exactement comme le lecteur l'avait prédit, mais dans un récit original. Les dessins de
Jackson Guice sont moins séduisants que ceux de
Mico Suayan, tout en restant dans une tonalité réaliste adaptée au récit. Ils perdent un peu en finesse dans la deuxième moitié du tome. 4 étoiles pour un bon thriller auquel il manque un peu d'un deuxième niveau de lecture.