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Jean Joseph Mourot (Illustrateur)
TBE-Le scorpion brun (10/01/2013)
5/5   1 notes
Résumé :
UN LIVRE À LIRE ET À REGARDER...
Philippe Lhommet
Illustrations de Jean J. Mourot

Cauchois d’hier et d’autrefois
Scènes et récits de la vie cauchoise de 1900 à 1960

Ce recueil invite à côtoyer les Cauchois de la première moitié du 20ème siècle. Dans ce passé recomposé où le réel se transforme peu à peu en fiction, ces récits proposent un témoignage subjectif sur la vie à cette époque.
Les personnages permet... >Voir plus
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
La vigie



Juliette, la femme d’Etienne, un marin pêcheur, passe son temps, à longueur d’années, à compter les jours. Quand le Père-Joseph, le terre-neuvas sur lequel son mari embarque, est au port, elle compte les jours la séparant de l’appareillage ; quand il est en mer, elle compte les jours la séparant de son retour. Avant le départ, le nombre de jours est une certitude, avant le retour, un calcul approximatif, une espérance.
L’embarquement, c’est une affaire d’hommes. Les mères n’accompagnent pas les mousses, les fiancées n’accompagnent pas les novices, et évidemment les épouses n’accompagnent pas les matelots. Les adieux se passent à l’intérieur des maisons, loin des regards. Les hommes écourtent, souvent avec brusquerie, les effusions, lèvent la main quand la porte va se re-fermer et, dans la rue, ne se retournent pas, sachant celles qui restent les regardant derrière une fenêtre. Pour les femmes, le moment du départ est une déchirure, le début d’une longue attente avec alternance de rêves de retrouvailles et de cauchemars de naufrages.
Quand la période prévue pour le retour approche, l’angoisse commence à serrer le cœur des plus endurcies. La nervosité les gagne mais elles ne le montrent pas en public et évitent ce sujet de conversation. Le pire dans l’attente vient après le retour à quai des premiers bateaux et que l’attendu n’est pas parmi eux. Quand la porte s’ouvre sur le revenant, la femme l’attend, le plus souvent prévenue par des gamins ayant assisté à l’entrée du bateau concerné dans le port.
Juliette n’a pas besoin d’être avertie. A l’approche du moment tant espéré, elle monte chaque jour sur la falaise pour scruter la mer. Quand une voile apparaît à l’horizon, les bat-tements de son cœur s’accélèrent. Dès que le bateau est distinct, son visage se ferme ou s’illumine. A bord des bateaux on a l’habitude de voir depuis des années sa silhouette noire dressée sur la falaise et il y a toujours un matelot pour constater :
– La vigie est à son poste, le Père- Joseph n’est pas encore rentré.
Ou :
– La vigie n’est plus là, le Père- Joseph est déjà à quai.
Sur le Père- Joseph, parfois, un proche d’Etienne lui dit sur un ton admiratif où pointe un soupçon d’envie :
– Ta Juliette est là, toujours fidèle à t’attendre.
Etienne le sait. Depuis que la côte est en vue il guette discrètement cette apparition qui à chaque retour le remplit d’aise. Au début il était gêné par cette présence. Quelle que soit son impatience d’être rassurée, aucune femme de pêcheur ne doit montrer son anxiété, soit par superstition soit par pudeur. Juliette n’en a cure. Jamais ni Etienne ni elle n’eurent droit à des propos désobligeants. La dureté du travail en commun, les dangers affrontés ensemble ont cimenté une solide solidarité entre marins et renforcé les liens qui les unissent. Tous se respectent trop pour avoir une parole susceptible d’être blessante à l’égard de l’un des leurs.
Juliette a l’habitude de ce temps d’incertitude, entre l’apparition d’une voile et l’instant où le bateau est identi-fiable. Le terre-neuvas reconnu, c’est un soulagement mais cela ne la rassure pas entièrement. Une dernière inquiétude demeure. L’équipage est-il au complet ? Ne lui manque-il pas un homme tombé à la mer ou perdu dans le brouillard en allant sur son doris relever des lignes de fond et jamais retrouvé ? C’est trop souvent le lot des pêcheurs dont la plupart des femmes portent le deuil qui, d’un père, d’un frère, d’un oncle, voire d’un fils. Celles que le sort a épargnées ne s’habillent pas en noir, cela pourrait leur porter malheur. Elles ne s’habillent pas pour autant avec des couleurs voyantes, préférant le gris. Il ne sera pas dit qu’elles portaient une tenue pimpante alors que leur mari avait peut-être péri en mer, même si personne à terre ne le savait encore.
Juliette attend de voir Etienne, debout, jambes écartées, une main appuyée au mât, l’autre posée sur sa hanche et re-connaissable grâce à ce rituel tacite. Ni lui ni elle ne font le moindre geste de connivence, ils n’en ont pas besoin. Tran-quillisée elle peut regagner sa maison pour préparer le repas préféré de son mari.
***
Une nouvelle campagne de pêche s’achève. Les terre-neuvas rentrent au port les uns après les autres. Tous sauf un, le Père- Joseph.
Les jours passent. Juliette refuse la fatalité. Elle ignore la peine de celles qui partagent son destin et fuit la sollicitude des autres. Elle s’enfonce dans sa solitude en s’accrochant à une folle espérance.
Pas de cris, pas de pleurs. Chaque jour elle rejoint son poste d’observation, à petits pas de plus en plus traînants, le dos de plus en plus voûté. Elle explore sans relâche l’horizon où parfois un signe d’espoir se manifeste, mais le bateau entrevu dans le lointain poursuit sa route vers un autre port.
Du matin au soir elle scrute la mer, la sonde, la fouille du regard. Sa vue se brouille.
Aperçoit-elle une voile ? C’est une mouette qui vole au ras de l’eau. Une coque de bateau ? C’est un tronc d’arbre qui dérive. Plusieurs fois par jour, elle voit le Père-Joseph se diriger vers elle, bateau fantôme aussi vite disparu qu’apparu. Et toujours cet appel qui résonne dans sa tête :
– Ohé Juliette ! C’est moi.
***
Un matin, on a retrouvé le corps de Juliette sur les galets, au pied de la falaise.
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