Auteur sino-américain,
Ken Liu rencontre un succès grandissant auprès les lecteurs amateurs de romans fantastiques et de science-fiction. Il multiplie les prix littéraires : prix Hugo, prix Nebula de la meilleure nouvelle science-fiction, le World Fantasy Award pour n'en citer que quelques-uns.
J'ai voulu me rendre compte de son style en choisissant un recueil de nouvelles.
Le titre, «
La ménagerie de papier », tout simplement magnifique, a déterminé mon choix de lecture.
Ken Liu ne peut être enfermé dans un genre littéraire. En alternant des textes fantastiques, de science-fiction, d'anticipation, de policier, … l'auteur nous offre une belle palette de tons et de plaisirs. Guidé par nos avancées technologiques et scientifiques, ce recueil imagine l'évolution de l'espèce humaine en proposant différents futurs possibles.
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Ses dix-neuf nouvelles offrent un large éventail de textes très différents les uns des autres, permettant de mettre en évidence le talent de cet auteur qui sait se renouveler et proposer des histoires qui interrogent et font réfléchir.
Il sait également maîtriser des récits très courts de quelques pages seulement, comme des récits un peu plus longs d'une cinquantaine de pages.
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Je ne résumerai pas chacune de ces nouvelles. L'intérêt est de se laisser porter par toutes ces histoires originales et surprenantes, qui se finissent souvent de manière inattendue, touchante ou triste.
Bien sûr, elles ne se valent pas toutes. Chaque lecteur trouvera forcément, suivant ses goûts et ses envies, le récit tant attendu, celui qui le marquera, le touchera, le troublera, le bouleversera, l'indignera, le réconfortera, ou le questionnera.
Mon premier choix se portera sans aucun doute sur le récit fantastique qui a donné le nom à ce recueil de nouvelles, «
La ménagerie de papier ».
Ken Liu nous parle de manière pudique et délicate de l'amour d'une mère pour son fils. Par un jeu de miroirs, la magie des origamis révèle la personnalité de cette mère discrète et sensible.
La seconde nouvelle dont je vous parlerai est « Mono no Aware » ou la sensibilité de l'éphémère que je résumerai par cette belle phrase.
« Mais c'est la conscience de la mort toujours proche, de la beauté inhérente à chaque instant, qui nous permet de tout supporter. »
Cette nouvelle, constellée de magnifiques haïkus sur le temps, à la fois fugitif et éternel, est une tendre réflexion sur l'importance de l'autre, sur la notion de sacrifice et d'amour.
« Rien ne dit
Dans le chant de la cigale
Qu'elle est près de sa fin. »
« Les étoiles brillent
Nous sommes des invités
Un sourire, un nom. »
« Trajectoire » est aussi une nouvelle percutante qui m'a séduite par son héroïne attachante dans sa quête d'immortalité.
« Et malgré tout ce qu'il m'avait enseigné sur la liberté, j'avais fini par m'attendre à sentir ses épaules larges contre ma joue le matin, sa main entre mes cuisses le soir. J'avais fini par avoir l'impression que je lui appartenais et qu'il était à moi. Si on ne s'était jamais dit « je t'aime », je comprenais à présent que ça n'avait aucune importance. »
Une belle leçon de vie sur l'art qui façonne les morts pour « simuler la vie avec la mort ».
Une autre nouvelle a retenu mon attention. C'est « La forme de la pensée », qui interroge sur les difficultés de communication, l'incompréhension qui peut résulter des variations du langage et de la pensée.
On suit Sarah, une petite terrienne qui va se lier d'amitié avec un enfant Kalathanis. En s'ouvrant à une culture étrangère, elle va construire un pont entre les deux peuples et leur culture, mais cette voie est obstruée par la peur de l'autre, la volonté de dominer et l'ignorance.
Il y en a bien sûr d'autres nouvelles qui m'ont plu comme « le Golem », avec ses dialogues amusants entre une petite fille impertinente et Dieu, ou « Nova Verba, Mundus Novus » qui fait un clin d'oeil au Disque-Monde de
Terry Pratchett. Ou bien, « L'algorithme de l'amour » et son émouvante héroïne. Ou encore « Emily vous répond », un récit épistolaire drôle et cynique sur l'importance des souvenirs.
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Toujours est-il que
Ken Liu pose un regard sur notre société et l'individu, parfois critique, parfois triste, souvent touchant. Il met en lumière notre volonté de conformisme alors que ce sont nos différences qui font notre richesse. Il aborde de nombreux thèmes touchant à la famille, la transmission intergénérationnelle, la religion, la liberté, le langage, la pensée, la mémoire et l'oubli, le temps, la vieillesse et la mort.
Le ton employé varie en fonction des nouvelles. Parfois humoristique, moqueur, sarcastique, dramatique, il est le plus souvent nostalgique ou mélancolique.
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La plume de
Ken Liu, savant mélange de culture asiatique et américaine, est magnifique, poétique, subtile, pertinente. L'émotion est souvent présente. Les thèmes chers à l'auteur sont porteurs de réflexions intéressantes et de questionnements sur le sens de la vie, sur notre Histoire passée, présente et future.
J'ai passé un très bon moment de lecture. Je dois reconnaître que la nouvelle littéraire n'est pas un genre que j'affectionne. J'ai besoin de temps pour entrer dans l'histoire et faire la connaissance des personnages.
Mais
Ken Liu a réussi le pari de me faire voyager dans son monde avec intelligence et émotions, il m'a captivée la plupart du temps, m'a fait aussi sourire, et surtout, il m'a souvent interrogée sur la vie, la mienne également, mes attentes, mes projets, mon futur.
Je poursuivrai sans aucun doute mon exploration de son oeuvre, peut-être avec le second recueil de nouvelles intitulé «
Jardins de poussière ».
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