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J'irai tuer pour vous" est un roman qui s'est naturellement imposé à moi, tant j'apprécie son auteur, bien que l'espionnage ne soit pas ma littérature de prédilection. Trop de personnages, trop de mouvements, trop d'enfumage me perdent souvent, me laissant errante dans un labyrinthe de suppositions. Donc, l'affaire n'était pas gagnée d'avance.
Il faut reconnaître que le ressenti d'une lecture n'est pas seulement le résultat de la lecture pure. Si le talent de l'écrivain, son style et le sujet sont les plus importants, il est des influences extérieures qui viennent le parasiter, par petites touches. Dans mon cas, le motard Bohem est toujours présent dans mon esprit avec sa conception bouleversante de l'amitié sans compromis. Henri Loevenbruck s'est surpassé dans ce roman à la fois très dur et d'une sensibilité extrême. L'ambiance d'espionnage de l'excellente série "Le bureau des Légendes" (bien qu'à mon avis, la dernière saison n'ait pas le même niveau d'exigence), était encore bien ancrée dans ma tête lorsque j'ai entamé ce pavé de plus de 800 pages.
Je reconnais la virtuosité de l'auteur à embarquer le lecteur dans une situation complexe d'un barbouze auquel on peut facilement s'attacher. Les chapitres courts sont une technique inestimable pour donner du rythme au récit et ils remplissent allègrement leurs rôles.
Marc Masson, alias Matthieu Malvaux, après une solide formation, part sur le terrain entre tests et véritables opérations, le lecteur tapi au fond de son sac de voyage.
Contrairement à l'habitude, je ne me suis pas ennuyée une seconde et, chose rare, je n'ai jamais perdu le fil de l'histoire. Peut-être est-ce dû aux différents événements tragiques et réels des années 80, avec les prises d'otages au Liban, la magnifique ville de Beyrouth déchiquetée par les bombes, la guerre civile, le Hezbollah, la guerre Iran-Irak, etc. Les médias de l'époque faisaient écho des faits et du soutien porté aux détenus arbitraires, servant de monnaie d'échange aux tractations secrètes entre gouvernements. Comment oublier le décompte journalier du nombre de jours de leur captivité, la liesse que déclenchait leur libération ainsi que la douleur et la colère qu'engendrait leur décès ?
Grâce à une solide documentation, le romancier ouvre les portes de l'Élysée, de l'Hôtel Matignon et de la place Beauvau. Ses occupants, préoccupés des affaires de l'État, ne le sont pas moins par des coups d'éclats qui peuvent leur apporter des voix lors des prochaines élections. La politique politicienne est mise à l'honneur dans le climat tendu de la cohabitation d'alors. Cet aspect du livre est très intéressant, car si les hommes ont changé, leurs ambitions et leurs manipulations sont toujours bien présentes, donnant un écho particulier aux événements actuels.
J'ai adhéré à presque tout le livre, mêlant avec brio fiction et réalité, bien que par moments, sans m'ennuyer, j'aurai apprécié quelques coupures dans des longueurs n'apportant pas grand-chose au corps du texte. Si je me suis un peu essoufflée sur la fin, je n'en reste pas moins admirative d'Henri Loevenbruck qui montre, à chaque roman, sa capacité à se fondre dans un registre différent avec beaucoup d'habileté et d'ingéniosité pour mon plus grand plaisir.