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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
L'histoire de Martin Eden commence par l'ouverture d'une porte chez un inconnu. Dès la première page, la portée symbolique est posée : ouvrir une porte vers l'inconnu. (C'est cruellement d'actualité !) Qu'y aura-t-il derrière cette porte ? Si on l'ouvre, c'est qu'on en espère quelque chose. Et si nos attentes s'avèrent déçues, libre à nous de faire marche arrière et de refermer cette porte, non ?

Eh bien, d'après moi, c'est là tout l'enjeu du roman. Que se passe-t-il lorsqu'on franchit le seuil d'une porte ? Y a-t-il un retour en arrière possible ? Martin Eden est un rude gaillard de la classe populaire. Un gars qui s'est forgé à la force des poings et à la sueur de son front. Il est né dans une famille qui avait déjà bien d'autres chats à fouetter pour se maintenir à flot que d'offrir au jeune Martin le confort, le savoir ou l'affection.

En pareil cas, certains tombent dans l'alcool, la délinquance ou vivotent en s'érodant la santé pour un misérable salaire de cacahuètes à décortiquer. Martin a connu ça et même un peu plus que ça. Il a versé dans presque tous les travers qui s'offrent aux gens de sa catégorie. En plus, il a baroudé, il a connu des filles, il a commencé d'user sa fringante jeunesse sur les bateaux et dans les ports du Pacifique. Trente-six métiers, trente-six misères, comme on dit…

Mais Martin a soif de vivre ; il aime la vie : il la mord à pleines dents et brûle les journées par les deux bouts. Il sait qu'il est malin et il a foi en lui. Il sait, tout au fond de lui-même, qu'il n'est pas exactement de la même étoffe que celles et ceux qu'il côtoie ordinairement. Il a une volonté de réussir, mais pas de cette volonté vulgaire qui consiste à s'assurer une aisance matérielle, pas de cette réussite ordinaire qui se mesure à l'épaisseur du matelas de dollars sur lequel vous pouvez vous endormir chaque soir.

Non, la réussite qu'il vise, lui, concerne les choses de l'esprit. Il a soif d'apprendre, d'apprendre sur tout et partout, d'apprendre tout le temps, d'apprendre encore. C'est un observateur aigu des choses, du monde et des gens qu'il côtoie. Il en sait déjà très long sur la vie malgré son jeune âge (autour de la vingtaine) mais, au hasard d'une rixe dans la rue (à laquelle il décidera de prendre part, juste pour satisfaire à un noble instinct mais aussi, peut-être, pour la joie, pour la satisfaction intime de pouvoir coller un pain dans la gueule de quelqu'un), une rixe, disais-je, (entre un rupin et un homme de rien), une rixe donc, à l'issue de laquelle Martin Eden ouvrira une porte… une porte sur l'inconnu…

Quand Martin ouvre cette porte, entre chez ce jeune bourgeois ou, plus exactement, chez ses parents, il se sent comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. D'un coup, sa langue lui semble aussi épaisse et gluante que celle d'un gros lézard, propre à faire un sort aux insectes mais certainement pas de cueillir les raffinés pétales de l'existence, affreusement inapte à siroter les nectars ou les perles de rosée sur les flûtes en cristal. Lui trébuche, écorche, écorne, éborgne l'anglais à chaque virage quand eux, eux, ces gens éthérés, aux mains si blanches, si fines, si impeccables qu'on pourrait presque voir au travers, tandis qu'eux volent dans les nuages de la syntaxe, utilisent des mots précieux, inconnus de lui, qui brillent en leur bouche comme un chapelet d'étoiles sur le drap noir des nuits immaculées… immaculées…

Immaculée aussi cette jeune femme aux yeux, au teint, aux cheveux, si bleus, si blanc, si blonds, la soeur de celui qu'il a aidé dans la rue. Qu'est-il, lui, Martin Eden ? Lui le sait, lui s'en doute, lui le sent palpiter dans ses veines. Mais eux, eux, qu'en savent-ils ? S'imaginent-ils seulement qu'il puisse avoir une quelconque parcelle d'étoile cachée en lui, ensevelie sous les tonnes de fange qu'ont déjà remuées ses mains et sa langue ?

Il aimerait pourtant tellement le lui dire à elle, le lui faire comprendre, le lui faire vivre, qu'il possède lui aussi des trésors. Elle est si belle, si gracieuse, si distinguée quand elle parle, si cultivée quant aux livres. Les livres ! Les livres ! Bon dieu, oui, c'est cela, les livres ! L'abîme, le fossé, l'escarpe qui existe entre lui et elle est un gouffre empli de livres qu'il lui faudra traverser s'il escompte un jour la rejoindre, sur l'autre rive du savoir et de la culture…

L'écart mais aussi le lien entre elle et lui est un livre. Un livre entre sa main à elle et sa main à lui. Et s'il l'avalait, ce livre ? Il n'y aurait ainsi plus d'écart entre sa main à elle et sa main à lui, n'est-ce pas ? Aïe, aïe, aïe. Bien plus facile à dire qu'à faire cette affaire-là. Mais il en faudrait d'avantage pour l'effrayer notre Martin Eden. S'il lui faut gravir une montagne de livres pour atteindre le sommet, il se fera alpiniste du savoir ; et s'il lui faut franchir des crevasses vertigineuses, il utilisera le piolet de son courage et de sa bouillante énergie.

Car les espoirs qu'il met en Ruth Morse justifient pour lui tous les efforts, tous les sacrifices. (Je m'arrête quelques secondes pour souligner que Ruth est bien le prénom de la jeune fille et ne fait nullement référence à un quelconque état sexuel qu'éprouverait le jeune homme. Il en va de même du nom de famille qui est à rapprocher de l'inventeur de l'alphabet du même nom, bip - bip - biiiip - bip - bip - biiiip, et non de celui d'un quelconque animal à dents longues, aussi malhabile sur terre ferme que graisseux et dont l'anatomie ne rappelle en rien celle de la jeune fille.)

C'est donc tout cela que nous raconte Jack London dans ce roman très fréquemment autobiographique (à cet égard, la scène de la jeunesse de Martin Eden, obligé de se battre quasi-quotidiennement avec un enfant plus grand que lui, Tête-de-fromage, rappelle à s'y méprendre une scène similaire de Croc-Blanc où le jeune loup se fait rosser de la même façon par Lip-Lip jusqu'à ce qu'il parvienne à le battre). La lutte d'un jeune homme des classes populaires pour se faire une petite place dans un milieu lettré et intellectuel presque exclusivement gardé par les cerbères de la haute bourgeoisie.

Il est vrai qu'il n'a pas choisi le plus simple car en plus d'apprendre à parler correctement, il entend également apprendre à écrire. Il souhaite en effet faire sa route en tant qu'écrivain et même, espoir suprême, vivre dignement, honnêtement de sa plume. À ce prix et à ce prix seulement, pense-t-il, les bras de Ruth lui seront ouverts.

Vous aurez compris que le roman soulève beaucoup de questions : Est-il possible de s'extraire de son monde pour en atteindre un autre dont on ignore tous les codes ? L'amour est-il assez puissant pour surpasser les préjugés de classe ? Peut-on supporter le poids de vivre dans le no man's land situé entre les deux lignes de front constituées par l'ignorance crasse de vos anciens camarades et l'apparente inaccessibilité intellectuelle de ceux que vous aimeriez rallier ? Peut-on supporter l'étrange mélasse d'hypocrisie, d'effet de mode, de calcul, de flagornerie, de bienséance, de stratégies retorses et de sourires convenus dans les mondanités quand on a toujours eu à faire qu'à des gens vrais, aussi francs et généreux qu'un coup de poing dans le groin, aussi directs et naturels qu'un bon gros rot de marin après son verre de rhum ?

Et l'argent ? L'argent, oh, l'argent, l'argent… Tout le monde en veut de l'argent, et Martin Eden le premier. Il est tout prêt à jouer des poings pour lui. Et si les parents Morse ont une dent contre lui (pardonnez encore ce jeu de mots facile) c'est peut-être grandement et uniquement pour cela, l'argent. Car vous conviendrez qu'en terme de retour sur investissement, quand on dresse le bilan comptable de tout ce que l'on a déboursé dans l'élevage bio d'une jeune fille, intérêts et principal, et qu'on voit se pointer à la porte un Martin Eden avec ses gros bras et sa veste crasseuse, on se dit tout de même que c'est bien mince comme à valoir. Bon, imaginons le même Martin Eden, mais avec des billets plein les poches et une rente à vie proportionnée, on pourrait éventuellement se permettre de tolérer ses gros bras et sa veste crasseuse, et même peut-être de l'entendre débiter à longueur de journée des propos communistes, anarchistes, ou toute autre sorte de trucs en "iste" en rapport avec les classes populaires…

Je ne pense pas qu'il soit judicieux que j'en dévoile davantage. En ce qui concerne mon ressenti de lecture, dans l'ensemble, j'ai plutôt bien aimé ce roman de Jack London même si je lui trouve certains défauts. Au premier rang de ceux-ci, je considère qu'hormis le personnage principal, tous sont monolithiques, simplistes voire caricaturaux. Les deux beaux-frères de Martin, par exemples, unilatéralement bêtes et méchants. Maria, sa logeuse portugaise, qui, elle, est bonne et secourable à l'excès, presque toujours de façon univoque.

On voit beaucoup Martin Eden évoluer dans le roman, tant dans sa façon d'être, de s'exprimer que dans sa psychologie. Ceci se comprend facilement en raison de sa jeunesse et des expériences formatrices qu'il vit. En revanche, et bien qu'il côtoie d'autres jeunes personnes, au premier rang desquelles figure bien évidemment Ruth, j'ai le sentiment qu'elles demeurent toujours et invariablement telles qu'elles étaient quand l'auteur nous les a présentées plusieurs années auparavant. Elles ne s'épaississent ni ne se complexifient au fil de la narration.

Martin lui-même est toujours le bon Samaritain, qui vient toujours en aide aux démunis, qui donne même parfois les dollars qu'il n'a pas, tel un agneau sacrificiel alors qu'on nous l'a montré constamment comme un taureau écumant lancé dans l'arène de la vie. Personnellement, j'ai un peu de mal à y croire d'un point de vue psychologique.

J'irai même encore un peu plus loin sur ce volet de psychologie paradoxale du personnage. Tout au long du roman, il passe son temps à considérer pour rien la reconnaissance financière. Et que fait-il, lui, lorsqu'il se donne pour objectif de témoigner son estime à quelqu'un ? Il lui donne de l'argent… Surprenant, non ?

Bref, je vais m'arrêter là. En somme, d'après mes critères, un roman de formation intéressant, une sorte d'Illusions Perdues à la sauce américaine, mais pas un chef-d'oeuvre pour tout un tas de petites incohérences psychologiques dont je n'ai pas l'intention de faire le panorama complet. (J'aurais pu, par exemple, m'étendre sur le tableau à mon goût trop idyllique que l'auteur peint de l'amour de Martin pour Ruth, évoquer les personnages de Lizzie ou Joe le blanchisseur, etc.) Mais le mieux, c'est bien évidemment de vous en faire votre propre opinion par vous-même en le lisant et, si possible, en partageant votre ressenti afin que chacun s'enrichisse de la vision de l'autre.

Tout bien considéré, aurez-vous le coeur d'ouvrir une porte sur ce roman ? Pourrez-vous la refermer tranquillement lorsque vous l'aurez entrouverte ? Telle est la question. Pour le reste, ceci n'est qu'un avis, un de plus, et avait-il lieu d'être, car qu'est-il dans le fond ? Pas grand-chose, par les temps qui courent…

P. S. : Bon sang, 10 ans !… Je n'arrive pas à y croire : voilà aujourd'hui pile dix ans, jour pour jour, que je me suis inscrite sur Babelio… Je ne pensais pas que l'histoire aurait duré aussi longtemps… Depuis tout ce temps, vous avez sans doute constaté que j'ai eu des hauts et des bas — plus ou moins haut ou plus ou moins bas selon l'estime ou l'intérêt qu'on porte à ce que j'écris…

Ainsi, en dix ans, j'ai reçu des tonnes de messages vraiment sympas, vraiment stimulants, vraiment intéressants ; j'ai aussi reçu, comme tout le monde, des monceaux de messages ineptes ou orduriers, méprisants, vomissants, dégoulinants d'on-ne-sait-quoi, en somme, l'exact reflet de ce qu'on croise ailleurs dans le monde, le meilleur comme le pire s'y côtoient en permanence, parfois étroitement imbriqués, parfois à quelques secondes d'intervalle, parfois au même endroit…

Bref, c'est la vie ! (J'aime cette expression typiquement francophone que beaucoup de langues nous envient. Je l'aime parce qu'elle rend bien compte du hasard, de l'absence de sens qu'il y a dans l'enchaînement des faits et des événements, du caractère éminemment contingent de l'existence, de son imprévisibilité, de son insoutenable légèreté, comme aurait écrit quelqu'un…)
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Il fallait que j'aille au bout et je ne cache pas que ce fut long et pénible, comme la vie de Martin Eden, sortie de l'imagination du grand Jack London (1876 – 1916), de son vrai nom John Griffith Chaney, dont je me souviens avoir lu Croc-Blanc, il y a bien longtemps…

C'est le film superbe de Pietro Marcello que j'ai vu dans le cadre du Festival international du Premier film d'Annonay, qui a motivé la lecture du roman. Durant celle-ci, j'ai eu l'image de Luca Marcinelli qui campe un formidable Martin Eden. Mais quelle belle idée d'avoir situé l'histoire en Italie, à Naples, en lieu et place d'Oakland, de l'autre côté de la baie de San Francisco où Jack London a vu le jour et a vécu ! J'aurais adoré que le roman se passe dans ce cadre napolitain qui offre tellement plus de ressources à l'imaginaire et au rêve.
Malgré tout, je reconnais que le tableau de la société californienne du début du XXe siècle, dressé par l'auteur de L'Appel de la forêt, est fort instructif et éloquent. le peuple se débat dans la misère, constituant une classe laborieuse exploitée au maximum alors que la bourgeoisie étale insolemment sa richesse tout en méprisant celles et ceux qui créent cette richesse par leur travail. Ah bon ? Ça n'a pas beaucoup changé ?...
Même si Philippe Jaworski, professeur émérite à l'Université Paris Diderot, qui préface longuement le livre et assure un dossier complet, le conteste, il est certain que Jack London a mis beaucoup de son vécu dans son récit.
Avec une verve incroyable, un débit littéraire abondant, il campe un homme parti de rien, issu des plus basses couches du peuple, qui tente de se faire une place dans la littérature par la seule force de son travail, de l'étude solitaire. Il réussit à écrire, met sa santé en danger, souffre de la faim, se prive de sommeil pour réussir à parvenir au bout de son rêve fou.
Martin Eden était marin, se battait facilement pour se faire respecter mais, pour avoir porté secours à un jeune bourgeois, découvre un autre monde qui le fascine au début et tombe amoureux de Ruth qui l'éblouit et l'émerveille.
Séduit d'abord par les idées socialistes, ses lectures le poussent vers toujours plus d'individualisme. L'argent lui manque terriblement. Il tente de faire publier ses textes dans des magazines mais tous refusent. Malgré tout, il continue, écrit sans cesse, rêve de succès, suit les conseils de Russ Brissenden, un poète social et suicidaire.
Dans Martin Eden, Jack London montre toute la vanité du succès littéraire. Un écrivain de grand talent peut rester méconnu jusqu'au bout si personne ne lui donne sa chance. le succès peut survenir par le plus grand des hasards et un phénomène de mode s'empare alors du public, phénomène que les médias et les réseaux sociaux aujourd'hui tentent toujours d'amplifier.
À ce moment-là, que devient l'homme ? Ici, Jack London se montre très pessimiste. Dès que le succès tant attendu arrive, Martin Eden est incapable d'écrire. Il ne rédige plus une ligne et j'ai trouvé cela la pire chose qui puisse arriver à un homme qui a tout sacrifié à la littérature.

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Parfois il est bon de se plonger dans un classique de la littérature. La rentrée littéraire c'est sympa mais gare à l'overdose. Lire un classique s'apparente donc à une petite bulle surannée fort réconfortante dont on sait qu'on ne sera pas déçus (enfin je parle pour moi qui ai rarement été déçue par ce qu'on dénomme « Classiques »).

Jack London, prolifique auteur américain du début XX, fut ma cible. Comme Croc Blanc et L'appel de la forêt ne m'emballaient guère (je reste citadine c'est mon drame), je me suis rabattue sur un ouvrage unanimement qualifié de chef d'oeuvre, à savoir Martin Eden.

Pour commencer il me faut vous avertir que certains voient en Martin Eden, un alter ego romancé de Jack London mais gardons-nous de tout amalgame et concentrons-nous sur ce personnage haut en couleur pour éviter tout débat.

Notre récit débute avec l'arrivée du jeune Martin Eden, matelot au long cours, issu de la classe laborieuse, peu instruit et aux manières fort peu avenantes, dans une demeure classieuse de San Francisco. Il vient de sauver un jeune bourgeois d'une dérouillée sévère qui était parti s'encanailler sur les docks ; pour le remercier ce dernier l'invite à dîner à la table de sa respectueuse famille. L'intrusion dans ce monde raffiné de Martin Eden, naïf mais pourtant loin d'être bête, fait l'effet sur lui d'une révélation quasi divine, effet d'autant plus accentué par l'émoi subi devant la soeur de son hôte dont il tombe irrémédiablement et éperdument amoureux. Dès lors, il n'aura de cesse de s'affranchir de sa condition d'homme peu instruit pour parvenir à séduire sa bien-aimée. Par la seule force de son opiniâtreté à apprendre tout ce qu'il est possible d'apprendre en un temps record, à remédier aux lacunes de son savoir, Martin Eden change radicalement son destin et se mue en assoiffé de connaissance. Son but ultime : devenir écrivain et prouver que rien n'est jamais figé dans la vie dès lors qu'on se bat pour sortir de sa condition et qu'on y croit dur comme fer.

Martin Eden nous raconte cet éveil intellectuel et comment son héros lutte chaque jour pour prouver aux autres et à lui-même qu'il peut devenir quelqu'un. Face aux doutes, aux réserves émis notamment par sa bien-aimée qui ne croit pas en son ambition d'être écrivain et aimerait qu'il embrasse une carrière respectable d'employé de bureau, Martin Eden n'aura de cesse de lutter. Mais peut-on si facilement s'affranchir d'un déterminisme social ? C'est tout l'intérêt de ce roman social et profondément intime où Jack London nous livre les rêves et désillusions d'un jeune homme sensible.

Que l'histoire de Martin Eden soit proche du destin de Jack London n'a que peu d'impact sur la lecture de cette oeuvre puissante au souffle lyrique, romanesque et terrible à la fois de dureté sociale. La plume de Jack London sert merveilleusement bien le destin hors du commun de Martin Eden, doux rêveur qui en devient antipathique tant son ambition dépasse tout et lui fait renier qui il est. Certains passages envers la classe ouvrière tout comme la classe bourgeoise sont impitoyables de cynisme. Jack London n'épargne personne et nous livre un dénouement final qui m'a profondément heurtée.
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Au début du 20ème siècle, Martin Eden est un marin âgé de 20 ans, issu des quartiers défavorisés d'Oakland, Californie. Rustre et peu instruit, costaud et rude à la tâche, il n'hésite pas à sortir les poings pour régler ses comptes. Un jour, il sauve un jeune bourgeois d'une bagarre mal engagée. En remerciement, il est invité à dîner par la famille de celui-ci. Martin découvre alors une belle et grande demeure, une famille charmante et distinguée, un monde de raffinement dans lequel il se sent comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Son embarras s'accroît encore à la vue de Ruth, la fille de la famille, qui termine des études de littérature à l'université. Il tombe sous le charme de la jeune femme, cultivée, bienveillante, éthérée, douce, pure. La belle et la brute, en quelque sorte.

Martin Eden est inculte, mais n'en est pas moins doté de sensibilité et d'une grande intelligence. Au contact de Ruth et de sa famille, il entrevoit un monde, si différent du sien, de culture, de poésie et d'intellect, dont il tombe amoureux autant que de Ruth. Il comprend que pour conquérir celle-ci, il doit conquérir sa place dans celui-là, s'élever à sa hauteur. Il entreprend de lire et d'étudier toutes sortes d'ouvrages qu'il prend au hasard dans les rangées de la bibliothèque municipale. le chemin est ardu pour le jeune homme, autodidacte, qui s'attaque pêle-mêle à toutes les sciences et tous les savoirs et bien souvent à des livres trop difficiles pour lui. Mais il persiste, se constitue une certaine culture générale, se défait de son langage grossier, et se met à l'écriture. Sûr de son talent, il inonde journaux et magazines de textes et de nouvelles, sans aucun succès. Mais il s'acharne. Il connaît alors le manque d'argent, la faim, les privations et la pression de Ruth qui le pousse à trouver une "situation" honnête et confortable. Mais Martin, idéaliste, sûr de lui, ne veut pas de cette vie étriquée conventionnelle, et continue à écrire sans relâche. Et puis un jour, un de ses textes est publié, puis un autre, et un autre... Tout s'emballe, célébrité, succès, gloire, fortune, ceux qui l'ignoraient et le méprisaient l'invitent à dîner et lui font les honneurs, et Ruth est à nouveau conquise...

Mais tout cela arrive trop tard : Martin ne parviendra jamais à comprendre pourquoi le succès change le regard des autres sur lui, alors qu'il est resté le même, qu'il était déjà ce qu'il était, tel qu'il était, avant le succès ("mais j'étais le même...").

Que de finesse psychologique dans ce roman ! Martin Eden m'a agacée par son côté si sûr de lui et imbu de sa personne, mais il force l'admiration par sa ténacité, sa capacité de travail et surtout sa loyauté envers lui-même, qui refuse d'entrer dans le jeu du monde de l'édition et cesse d'écrire lorsque arrive le succès, qui refuse d'entrer dans les cases dans lesquelles Ruth veut l'attirer, celles d'une bourgeoisie conformiste, bornée, superficielle et sans horizons, finalement pas très éloignée de son propre milieu, l'argent en plus. Martin Eden, le marin au long cours, ne veut pas se laisser enfermer, ne veut pas se perdre lui-même. Mais la désillusion est terrible : l'amour n'était qu'une apparence, le succès est vain et la mode un phénomène aussi soudain que creux.

Malgré beaucoup de longueurs, l'analyse de la société américaine de l'époque et du milieu littéraire est fascinante. Un livre pessimiste et un grand roman.
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Martin Eden, c'est avant tout, en ce qui me concerne, un superbe héros éponyme aux pas duquel je me suis attachée, en raison de son côté à la fois tragique et prométhéen. Comment imaginer que ce marin "à la démarche chaloupée", bagarreur, buveur et épris d'aventures maritimes puisse à la fois conquérir le coeur de la belle Ruth Morse, une jeune fille de la bourgeoisie de Oakland et également devenir un écrivain de grand renom ? C'est pourtant sur cette gageure que repose en grande partie la problématique du roman.
Toute la première partie m'a conquise justement par la finesse de l'analyse psychologique du héros principal : Martin Eden. Un personnage hors du commun, qui porte en lui de fortes contradictions : un rebelle né mais d'une vulnérabilité désarmante ; un romantique inconditionnel mais un habitué, depuis sa tendre enfance, des combats de rue d'une extrême violence et d'une animalité révélatrice elle aussi d'une énergie vitale exceptionnelle. Assoiffé d'idéal et de beauté mais aussi avide de réussite sociale pour conquérir sa belle, il a tout du héros tragique qui échoue inexorablement... mais au terme d'un combat de titan qu'il va livrer sous nos yeux et qui est magnifié par la plume de Jack London.
Des scènes très fortes et réalistes émaillent cette première partie. Qu'elles évoquent les rixes de rue ou le travail harassant dans une blanchisserie, elles nous donnent à voir toute une galerie de personnages féminins - la soeur de Martin, sa logeuse, une jeune ouvrière du nom de Lizzie Connely - ou masculins - ses compagnons de travail ou de chambrée - qui nous rappellent fort à propos combien en cette deuxième moitié du XIXe siècle, les milieux populaires sont surexploités et maltraités. Pour les hommes deux échappatoires : l'alcool et le sexe ; pour les femmes la résignation ou les amourettes sans lendemain. L'écriture de Jack London tour à tour éruptive ou d'une précision chirurgicale dresse un tableau vivant et impitoyable de cette société sans oublier l'évocation de cette bourgeoisie à laquelle au début du roman, Martin Eden souhaite éperdument appartenir...
Mais mon intérêt pour le roman s'est un peu émoussé dans la deuxième partie lorsque sont évoqués les débats philosophiques qui opposent notre héros à ses interlocuteurs, au cours de longs dialogues qui rompent la fluidité du récit et sont presque digressifs. de même ai-je moins accroché à son combat contre le monde de l'édition : trop de scènes répétitives. En revanche la fin du roman m'a laissé sur ma faim... Je n'ai plus été autant en empathie avec Martin, sans doute parce que ses errements psychologiques et sa détresse puis son désespoir sont trop rapidement évoqués.
Il me restera de cette lecture, le souvenir d'un beau héros mais pas celui d'un roman inoubliable...
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Martin Eden, jeune marin solide croise par hasard Ruth, étincelle de raffinement qui se prend au jeu pour 'éduquer' un Martin séduit et qui, au prix de 19h de travail quotidien va vite dépasser sa maîtresse.

Ecrivain prolifique bien que dans la plus grande précarité, il devient prétentieux, imbu de lui-même, refusant tout travail car il ne veut vivre que de sa plume.

Adepte de Nietzsche et de Spencer, il est convaincu qu'à l'instar de la théorie de l'évolution, aucune société assistée n'est pérenne, seuls les plus forts pourront survivre et engendrer.

Je suis mitigé. C'est un peu comme si Jack London avait privilégié une construction, une thèse à démontrer au détriment de la crédibilité du personnage de Martin Eden.
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Mieux vaut tard que jamais…mon premier livre de Jack London. J'avais en tête des romans d'aventures pour adolescents et plutôt pour des garçons, et je suis passée complètement à côté durant des années.
Le premier mais sûrement pas le dernier car cet auteur a un style et un sens de la narration qui m'appellent à poursuivre. Et quel extraordinaire personnage que ce Martin Eden !
Je ne vais pas faire un énième résumé de l'histoire qui semble-t-il est assez autobiographique.
Je dirais donc simplement que j'ai suivi avec passion les affres de la création de Martin Eden, que j'ai adoré ce héros si passionné, pur et attachant, et que son désespoir lorsqu'il a enfin atteint son but m'a touché. le roman se lit vraiment facilement et reste très actuel.
Pour le reste, faites comme moi, plongez dans Martin Eden même tardivement !
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Martin Eden, un marin de vingt ans, issu d'un milieu pauvre mais aimant la poésie est accueilli par la famille Morse après avoir sauvé Norman, le fils de la famille d'une agression. Cette rencontre avec une famille bourgeoise et bien éduquée va changer son destin...La jeune fille Ruth, étudiante en lettres, subjugue le jeune homme, qui, à force de privations et d'abnégation, se lance dans les études pour acquérir les connaissances qui lui permettrait d'être au niveau de cette famille qu'il admire tant et devenir écrivain pour mériter l'amour de Ruth. Mais au fur et à mesure de son ascension intellectuelle, de sa compréhension du monde, de la fréquentation de la famille Morse et malgré son amour pour Ruth - le désenchantement va être à la mesure de son immense espérance.

Martin Eden, c'est le récit en partie autobiographique de la vie de Jack London, en particulier, sa recherche de connaissances et d'instruction et sa volonté d'ascension sociale. C'est surtout le franchissement du plafond de verre par un jeune homme pauvre, pétri d'illusions sur ce que représente une famille de la haute société californienne, et qui va, à force de travail et d'effort dominer les sujets étudiés, bien mieux que ses mentors... Il va alors comprendre la médiocrité de ce milieu, prendre conscience des sentiments creux et conformistes de la jeune Ruth, se heurter au milieu littéraire et journalistique qui l'a rejeté, puis encensé après le succès phénoménal d'un de ses récits, voir la publication de ses oeuvres au préalable refusées, une prise de conscience qui va lui laisser un goût amer et cruel.
Martin Eden est un roman d'apprentissage, de volonté d'ascension intellectuelle, de dépassement de soi, de recherche d'amour romantique et de sentiments nobles mais c'est également le roman des désillusions et des désenchantements et une critique de la société des élites que Jack London analyse brillamment.
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Pauvre Martin, pauvre misère, la vie n'est pas un long fleuve tranquille. Lorsqu'il fait son entrée dans le salon cossu des Morse, une famille bourgeoise de Oakland, Martin Eden est gêné. Ce prolétaire aux larges épaules fait penser à un éléphant dans un magasin de porcelaine. Il va pourtant être subjugué par l'apparition de Ruth, la fille des Morse. Tout les oppose : il est massif et bourru, elle est éthérée et séraphique ; il a quitté l'école pour travailler dès son plus jeune âge, elle est cultivée et étudie la poésie symboliste. Romance et lutte des classes. Par amour, il veut acquérir le bagage scolaire et culturel qui lui fait défaut, clé indispensable pour approcher la Vierge au teint crayeux. Martin se jette dans l'étude comme un forçat. Ses lectures vont révéler un esprit acéré et une ambition : écrire pour partager ses expériences de matelot. S'il rejoint les "plumitifs impécunieux", il n'en reste pas moins un prolétaire et se doit donc de vendre sa force de travail et d'y épuiser toute son énergie, sans quoi, il sera poursuivi par le spectre de la misère. Martin va être contraint de lutter pour créer et survivre.

Jack London dresse le portrait d'un homme qui réussit à s'arracher de la classe ouvrière sans pour autant parvenir à traverser le plafond de verre de la bourgeoisie. le voilà entre deux classes, déclassé, autrement dit nulle part. le roman est centré sur le processus de création, sur le souhait pour Eden de transcrire dans une oeuvre le feu de la vie, la liberté incandescente et un désir brûlant. Il veut une littérature avec des tripes, un réalisme riche du mystère palpitant de la vie. Cette ambition va se heurter aux milieux littéraires (revues, édition, université) imperméables à la nouveauté et à l'art. Pour ces gens-là, le beau est ce qui convenu comme tel, le talent se confond avec la célébrité. Des passages sont parfois lourds à digérer , l'auteur, à l'image de son protagoniste, offre un récit brut de décoffrage où il expose plus qu'il ne suggère. Le roman dévoile le projet artistique de Martin Eden, sa critique des conventions bourgeoises, sa philosophie individualiste et surtout il met à jour le feu qui le consume : sa fureur de vivre.
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Martin Eden traînait dans ma PAL et c'est l'émission de France culture qui m'a donné envie de le lire - enfin. Martin Eden s'inspire de la vie de son auteur, aventurier et « self made man ». C'est presqu'une autobiographie. « Martin Eden » (1909) a de commun avec « Gatsby le magnifique » (1925) son thème central : l'amour, le vrai, qui se place au-dessus des religions, des lois et de cet idéal bourgeois fait de confort et de sécurité. Fitzgerald a dû s'inspirer de London et contrairement à ce dernier, il est issu d'une famille aisée. Jack London, lui, a des origines très modestes, il s'est fait sur le tas, à la force du poignet. Il ne fait pas de compromis. Il transpire de ses lignes la foi en l'être humain, la sincérité des sentiments que les classes les plus hautes singent avec cynisme, parce que l'argent vient tout gâter.
Martin Eden (tout comme Jack London) ne sacrifie rien à ses intimes convictions. Quand Ruth, la femme qui fut sa muse et sa pygmalionne, veut raviver la flamme qui les avait embrasés, au mépris du scandale et des conventions, il ne cède en rien, car son coeur s'est éteint, et avec lui, l'insurpassable absolu qui en rythmait les battements.
London est venu tard à la littérature, tout comme son héros, avec ignorance et curiosité, mais avec une connaissance de la vie qui ne s'acquiert pas dans une bibliothèque. le livre de London nous pose la question suivante : que préférer ? Un autodidacte qui a pour lui l'expérience de plusieurs existences et dont la prose est impulsive, au risque d'en paraître parfois maladroite ? Ou un auteur plus académique qui n'a pas grand-chose à dire mais qui le dit si bien ? Moi, j'ai choisi.
Bilan : 🌹🌹🌹
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