La fidélité d'un chien est un don précieux, qui entraîne une responsabilité morale non moins contraignante que l'amitié d'un être humain. Le lien établi avec un chien fidèle est aussi durable que peut l'être un lien terrestre, et quiconque désire un chien doit se pénétrer de ce fait.
Un chien normal ne mordra jamais une femelle de son espèce. La chienne est absolument tabou et peut tout se permettre à l'égard du chien, du mordillement aux vraies morsures. Le chien ne dispose d'aucun moyen de représailles, à l'exception des gestes de déférence et du masque de politesse au moyen duquel il peut essayer de faire dévier l'attaque de la chienne vers le jeu. La dignité masculine interdit la seule alternative -la fuite- car les chiens se donnent toujours un mal fou pour sauver la face devant les chiennes.
Deux animaux seulement ont pénétré dans la maison de l'homme autrement que comme des prisonniers, et ont été domestiqués par d'autres moyens que les travaux forcés : le chien et le chat. Ils ont en commun deux choses : ils appartiennent tous les deux à l'ordre des carnivores, et tous deux mettent au service de l'homme leur talent de chasseurs. A part cela, et surtout en ce qui concerne le style de leur association avec l'homme, ils sont comme le jour et la nuit. Il n'y a pas un animal domestique qui ait aussi radicalement changé son mode de vie, qui se soit fait aussi littéralement domestique, que le chien. Et il n'y a pas un animal qui, tout au long d'une association séculaire avec l'homme, ait changé si peu que l chat. Il n'est d'ailleurs pas exagéré de dire que le chat -à l'exception de quelques catégories de grand luxe : angoras, persans, siamois...- n'est pas en fait un animal domestique, mais une petite bête sauvage. Conservant toute son autonomie, il a choisi d'habiter les maisons des hommes et leurs dépendances pour la simple raison qu'on y trouve davantage de souris que partout ailleurs. Tout le charme du chien réside dans la profondeur de l'amitié, dans la force des liens moraux qu'il a développés avec l'homme. Mais la séduction du chat vient justement de ce qu'il n'a jamais formé de tels liens ; lorsqu'il chasse dans nos granges et nos greniers, il affirme la même indépendance jalouse que le tigre ou le léopard et il reste aussi mystérieux, aussi lointain au moment même où il se frotte gentiment contre les jambes de sa maîtresse, ou ronronne pieusement devant un feu de bois.
On peut prendre pour critère de l'amitié la plus forte,entre deux hommes, la faculté de faire le plus grand sacrifice sans espoir de récompense. Nietzsche, qui, contrairement à beaucoup de gens, portait un masque de brutalité pour cacher une bonté véritable, a dit très joliment : « Que ton ambition soit d'aimer toujours plus que l'autre, de n'être jamais le second... »
Si aujourd'hui encore l'animal est toujours présent dans l'homme, l'homme n'est jamais présent dans l'animal.
La haine de l'humanité et l'amour des bêtes forment une épouvantable combinaison.
Le chow-chow est impénétrable pour les gens accoutumés aux chiens à sang de chacal, de même que le visage asiatique est impénétrable à beaucoup d'Européens.
Le besoin de préserver son prestige et sa dignité n'est pas spécifiquement humain. Il est fortement enraciné dans les couches instinctives de l'esprit, si proche du nôtre, des animaux supérieurs.
En fait, on ne doit jamais attendre d'un animal sauvage qu'il considère un humain autrement que ses propres congénères.
...ce n'est pas en dépit de ces faiblesses, mais à cause d'elles, que l'homme est devenu supérieur aux animaux. La perte des instincts, de ces structures fixes qui déterminent le plus clair du comportement animal, était une des conditions préalables à l'éveil d'une liberté d'actions spécifiquement humaine.