Le sommeil donné par Dieu aux hommes est une grâce immense. Le Shaykh al-akbar fait la différence entre le sommeil qui offre un pur repos, et celui qui est occasion de « transfert ». Ce dernier est un sommeil donnant lieu à des rêves ; il permet d’obtenir un accès immédiat au monde imaginal.
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En quoi le rêve est-il utile au destin de l’homme selon Ibn ‘Arabî ? Ici, il faut revenir à l’idée de la « nouvelle création ». Toutes les données de la création changent à chaque instant. Les théophanies se succèdent à chaque fraction de seconde, sans obéir à une causalité linéaire. Ces instants sont des suites d’ « atomes de durée », non pas la simple frontière entre un passé et un avenir. Mais il est généralement impossible de s’en rendre compte, excepté en constatant un mouvement ou en écoutant un discours. Le mystique peut toutefois, en un instant, se détacher des formes transitoires apparentes dans une expérience d’ « extinction » (fanâ’) et ramener sa conscience au niveau de l’essence stable, immuable de la chose (c’est le baqâ’ ; voir Corbin, 1958, p. 156.) Dans cette conception, le rêve est une clé par laquelle Dieu permet de comprendre ce monde en perpétuelle mutation, et d’en comprendre les équivoques et les énigmes. Le sommeil a été accordé aux êtres animés afin qu’ils puissent témoigner de la Présence de l’Imagination (Ibn ‘Arabî, 1911, t. III, p. 198). (pp. 337-339)
Pierre Lory - La dignité de l'homme face aux anges, aux animaux et aux djinns